Ainsi donc il suffirait d'avoir écrit une chanson enregistrée par Françoise Hardy pour être considéré par la critique comme un auteur accompli? Sur L'AMOUR FOU (2012), l'égérie chantait Normandia signée Julien Doré. Mélodie pâlichonne, texte sibyllin, fourre-tout et abscons. Mais Françoise Hardy n'a pas toujours chanté que de bonnes chansons. C'est pourtant avec une réputation de «parolier» que Julien Doré a sorti LØVE en octobre 2013, son troisième album. On aimerait aimer Julien Doré, lui trouver un souffle d'inédit; ce serait bienvenu pour notre variété. Pour prouver sa différence, n'affirme-t-il pas crânement: «Quand je bosse, je me sers davantage de Kendrick Lamar ou de Frank Ocean que de Charles Aznavour ou Benjamin Biolay»? Si l'on excepte la chanson Paris-Seychelles, joliment clipée - l'image, c'est le point fort de Doré -, ce disque bavard conçu sur des musiques sans ressorts sent un peu trop la satisfaction pour ne pas paraître prétentieux. Le chanteur s'écoute chanter ses mots, ses divagations, ses métaphores qu'il voudrait grandioses, artistiques, colorées - Julien Doré, qui a fréquenté l'école des Beaux-Arts de Nîmes, a admiré Tristan Tzara, Marcel Duchamp, ses ready made et Rrose Sélavy (il faut voir Duchamp en Rrose Sélavy et sans doute aussi relire le poème de Robert Desnos: «Rrose Sélavy voudrait bien savoir si l'amour, cette colle à mouche, rend plus dures les molles couches...»); des références que tous les chanteurs n'ont pas.
On croise donc au fil de morceaux «gris spleen» visiblement pensés comme des collages pour créer des téléscopages entre la réalité et l'illusion, des «corbeaux blancs», des «oies rouges», des «vipères rousses», des «canards bleus» sur fond de «mer citron». Et c'est sans doute parce que LØVE est né d'une rupture amoureuse - encore faut-il le comprendre !- qu'un des titres précise: «Que c'est long de s'attendre» (On attendra l'hiver)... Aznavour n'aurait pas osé.
Baptiste Vignol