Grande Sophie


Drôle de façon d'ouvrir un disque, d'accueillir l'auditeur, avec une chanson d'au-revoir, Bye-bye etc. Chanson de femme moulée dans sa quarantaine face à laquelle se fanent quelques rêves précieux. «L'important dans une chanson, c'est la quantité de désir et la densité du chagrin. La nostalgie compte aussi» écrivait Patrick Besson dans l'un de ses textes pour Le Point réunis dans «Au Point» chez Fayard. Comme souvent, Besson dit tout en peu de mots. Besson le chroniqueur qui a parfois fait dans la critique musicale avec un fil conducteur imparable : parler du disque en présentant une à une les chansons qui le composent. Aussi simple qu'efficace. À suivre donc.
L'album, LA PLACE DU FANTÔME, qui débute par Bye-bye etc (3'40), est le sixième de La Grande Sophie. Les précédents étaient plaisants, celui-ci dévoile un auteur-compositeur considérable.
2) En deuxième position, Peut-être jamais (4'27). C'est la grande chanson du CD, articulée autour «d'un désir aujourd'hui périmé/ [dont] la date limite est dépassée à court». Chanson majeure où La Grande Sophie (178 cm) aborde avec pudeur et légèreté l'insondable drame que ce doit être de ne pas pouvoir donner la vie.
3) Ne m'oublie pas (3'35). Déclaration (d'amour) sur un air entêtant tricoté d'injonctions imagées («Ne m'oublie pas sur la porte au milieu de tes clefs...»), avec cette précision qui montre ô combien Sophie sait parler aux garçons : « Ne m'oublie pas quand tu touches une autre avec ta peau
La Grande Sophie traite des thématiques essentielles, la Vie (Peut-être jamais), l'Amour (Ne m'oublie pas), la Mort avec 4) Sucrer les fraises (3'09), mais elle le fait avec doigté, en posant la question qui tue : «Qui changera l'eau des fleurs?»
5) Dans ton royaume (2'56). Les «Directeurs artistiques» appellent ça un morceau «up tempo», pour dire qu'il est censé faire danser. Ici, l'invitation est lancée sur un rythme d'Afrique Noire.
6) Ma radio (5'36). Après Brigitte Fontaine (Comme à la radio, 1970), Stone et Charden (La musique du camionneur, 1971), Julos Beaucarne (Femmes qui parlez dans les radios, 1980), Michel Polnareff (Radio, 1981), Michel Jonasz (La FM qui s’est spécialisée funky, 1985), Renaud (Allongé sous la vagues, 1988), Hélène Ségara (Une voix dans la nuit, 1996), Dorian (La radio signale, 1999) ou Robert Charlebois (Les ondes, 2001), La Grande Sophie chante à son tour le poste dans lequel elle aimerait sûrement s'entendre chanter plus souvent. La Grande Sophie possède un grain de plus en plus radiogénique, ça tombe bien.
7) Tu fais ton âge (3'16). À fredonner aux femmes qui n'ont plus l'âge de jouer les adolescentes mais s'habillent comme leur petite fille et aux quadras qui promènent leur bedaine en jean slim.
8) Quand on parle de toi (2'56). Deuxième morceau «up tempo» du CD. De ces chansons-miroirs dans lesquelles nous souhaiterions tous voir notre reflet («T'es ma plage mon élégance/ T'es mon badge, mon arrogance...»). Sinon, en consultant les crédits du livret, on peut lire que le guitariste du disque, dont précisément la chanson Quand on parle de toi est la seule sur laquelle il n'officie pas, s'appelle Ludovic Bruni. Un cousin de? Une recherche sur Wikipédia informe simplement que le jeune homme né en 1976 à Hyères (où le poète Stéphen Liégeard inventa en 1887 le terme Côte d'Azur pour remplacer la dénomination Riviera) a joué pour Charlotte Gainsbourg, Françoise Hardy, Piers Faccini, Émilie Simon; la crème quoi.
9) Écris-moi (4'26). Requête périmée; on n'envoie plus que des sms de nos jours. Sûr que la parolière Sophie Huriaux prend encore la peine d'attraper un stylo. Ses mots sont choisis, ils ont passé l'épreuve de la rature, du gommage. Ils ont la chaleur du papier et semblent donc couler de source. «Écrire pour ne pas mourir» chantait Anne Sylvestre.
10) Suzanne (4'10). Une chanson d'amitié, qu'il faut aussi écouter pour la voix claire de la chanteuse, par instants cristalline, et sa diction exemplaire.
Au final un album quatre étoiles qui marquera 2012 et dont le seul ratage est la pochette, vilaine et... fantomatique. C'est souvent une erreur que de vouloir coller au titre. Les jolies photos figurent à l'intérieur du livret... Raison de plus d'acheter le CD.

Baptiste Vignol

Un effet «Victoires»?


La vingt-septième édition des Victoires de la Musique s'est tenue le samedi 3 mars. Aura-t-elle eu quelque incidence sur les ventes des disques des artistes sacrés ce soir-là? Il suffit pour le savoir de consulter le classement des meilleures ventes du lundi 5 mars au dimanche 11 mars. SUPPLÉMENTS DE MENSONGE d'Hubert-Félix Thiéfaine, récipiendaire de deux Victoires («Artiste masculin de l'année», «Album de chansons de l'année»), fait une montée notable dans le Top 200, passant de la 59ème à la 10ème place, mais ne s'écoulant qu'à 5.162 exemplaires, loin, très loin derrière L'APOGÉE de Sexion D'Assaut (#1 du Top avec 51.401 cd vendus), l'inépuisable 21 d'Adèle (#2, 20.194) et le nouveau Bruce Springsteen, WRECKING BALL (#3, 19.551). SUPPLÉMENTS DE MENSONGE se trouve juste derrière LYS AND LOVE de Laurent Voulzy (5.900 cd), dont Jeanne a décroché la Victoire de la Chanson de l'année. Le SO MUCH TROUBLE d'Izia (Victoire du Meilleur album Rock) a lui aussi gagné quelques places, passant de la 66ème à la 33ème position pour 2.120 disques vendus, contre 1.118 la semaine précédente. Pas folichon. Même constat pour l'album des Musiques urbaines de l'année, LE CHANT DES SIRÈNES d'Orelsan (également célébré «Artiste révélation du public»), remontant de vingt places dans le top (#45) et trouvant 1.650 acquéreurs. ILO VEYOU de Camille, qui figurait en 95ème position du Top la semaine avant les Victoires (pour 615 disques vendus), ne gagne que vingt-trois places (#72) avec 1.042 exemplaires malgré une prestation haut de gamme de la chanteuse... Piètre récompense. L, que la plupart des 2,5 millions de téléspectateurs (le plus faible score des Victoires...) a découvert ce soir-là, passe du 118ème au 114ème rang, séduisant 503 nouveaux fans. Quant à Catherine Ringer, la reine de la soirée, Artiste féminine de l'année, elle réintègre le Top 200 en 109ème position, vendant, misère, 522 RING N ROLL. La variété française ne peut donc hélas se réjouir d'aucun effet «Victoires»... De quoi inciter les artistes à boycotter cette cérémonie dont ils ne sont au final que des figurants? Assez sans doute pour qu'ils se satisfassent de ne pas en être.

Baptiste Vignol

Emmanuel


Il semble que par la modestie qu'il affiche, Emmanuel «Moi Je» Marolle vive corps à cœur déçu de n'être que journaliste au Parisien. Dieu soit loué, il a tout loisir de s'épancher sur son blog qu'il convient quand même de feuilleter puisque le bonhomme y fait les tiroirs du show-biz sans omettre d'en dépeindre les coulisses, même s'il zigzague parfois du côté des poubelles. N'est-ce point là que par prédilection il aime à se mettre en scène? Le sujet, en effet, ça n'est pas tant la chanson, c'est lui, Emmanuel. Comment s'est-il disputé avec Zazie? Dans quelles circonstances a-t-il serré la main de Bertrand Cantat? Pourquoi Lionel Jospin lui a-t-il téléphoné?... Mais en homme important, respecté, voire craint des vedettes, il distille également ses souvenirs, son après-midi passée dans la cuisine d'une diva («Cesaria m'avait reçu au Cap-Vert»), l'influence qu'il a sur les muses les plus impénétrables («Charlotte Gainsbourg pense à moi»); il mène l'enquête («Lavilliers a-t-il menti?»), affole la toile de scoops insensés («J'ai écouté le nouveau Thomas Dutronc»), terrifiants («J'ai failli mourir pour Britney Spears»), règle ses comptes avec Johnny Hallyday («Je n'avais pas prévu d'en parler. Mais je crois qu'il va falloir mettre deux ou trois petites choses au point. Tranquillement, sans s'énerver. Pourtant, il y aurait de quoi, depuis la conférence de presse de Johnny Hallyday, où "Le Parisien" a été vivement critiqué par le chanteur...»)!... Non mais. Il ouvre aussi son cœur («Mon nouvel ami Sardou»), prend ses rêves pour des réalités et va même jusqu'à mettre à nu ses questionnement les plus intimes: «Je commençais à désespérer. Et surtout à ne pas comprendre. Pourquoi Hubert-Félix Thiéfaine n'illustrait pas sa "Ruelle des Morts" avec une vraie vidéo?» C'est vrai, ça! Pourquoi? Chaque 31 décembre, plus influente que la cérémonie des Victoires, Monsieur dévoile la liste de ses disques favoris. «Il était temps. Le voilà donc enfin mon top 10 des albums de l'année, en ce 31 décembre. Il fera des heureux, des mécontents, car l'exercice est forcément frustrant.» Il était temps en effet, car Emmanuel exagère à jouer de la sorte avec les nerfs des artistes qui n'attendent que ça, entre Noël et le jour de l'An, le palmarès de ses préférences.
Le 18 mars 2012, de retour d'un concert, l'envoyé spécial du Parisien annonçait aux foules inquiètes : «Izia m'a enfin convaincu!», expliquant dans la foulée: «J'ai vécu une première, vendredi soir. Je suis resté jusqu'à la fin du concert d'Izia au Bataclan. D'habitude je tenais une demi-heure.» Ouf! Izia réhabilitée, le rock français peut respirer.

Baptiste Vignol

Du in, du off


Oh non, mon To-Tof, pas toi, dont les «billets durs» sont comme des sandwichs pour bien des lecteurs affamés qui les dévorent chaque mercredi aussitôt ouvert leur nouveau numéro des Inrocks. Pas toi, mon gros chat, pour griffer Jean-Louis Murat, sans jugeote ni recul. Serais-tu devenu brebis dans le troupeau des indignés? Comment donc n'as-tu pas pu voir dans l'interview qu'a donnée le chanteur des Arvernes à tes confrères de Technikart le piège qui a dû lui être tendu? Après, certains s'étonnent qu'on puisse dire des «journalistes» qu'ils sont une sale race, toujours là à laisser tourner le magnéto... Procédé dégueulasse, mais bien dans l'air du temps. Je l'imagine la scène, sans forcer : JLM et les encartés du Passage du Cheval Blanc (où se trouvent les bureaux de Technikart, Paris, 11ème) en train de «sympathiser», de refaire le monde et la chanson française en enfilant des broutilles indigestes que tu aurais pu tenir toi, mon broutard, un coup dans le nez, non? À moins que tu ne t'échappes jamais du pré... Pourtant, comme tu as du mal à croire que Murat ait pu se montrer dans le cadre d'une interview aussi vulgaire, tu écris (les Inrockuptibles, n°850 du 14 au 20 mars 2012) : «Après vérification il n'y aurait pas méprise, tu aurais bien dit ça? Sans déconner?» Si ton enquête rend ces propos avérés, pourquoi emploies-tu le conditionnel? Non, mais sérieusement, tu l'imagines, Murat, balancer ce genre de saloperies, à jeun et droit dans les yeux? Il ne faut jamais, cher Christophe Conte, douter de l'intelligence des gens qui le sont plus que nous, intelligents. En attendant, ta consœur, dont tu n'omets pas d'indiquer le canard pour lequel elle travaille, a, probablement pétrie de doutes, eu l'exquise intelligence de ne pas en rajouter. La classe. Avant de te laisser à ton prochain brûlot, laisse-moi t'encourager à découvrir un titre inédit du père Murat, en écoute sur son site officiel - et qu'il aurait d'ailleurs été fort inspiré de glisser sur GRAND LIÈVRE : Ne t'attends qu'à toi seul. Une ode au cunnilingus paraît-il. Je ne t'embrasse pas, j'ai à faire.

Baptiste Vignol

La polémique, trois ans après...


Faut-il brûler Orelsan? Éteinte il y a déjà plus de deux ans en France, voilà que la controverse renaît de ses cendres en pays mascarin, à onze heures d'avion de Paris. Depuis que le rappeur est à l'affiche du Sakifo 2012, des pétitions circulent, des intellectuel(le)s s'indignent et les comparaisons vont bon train: Bertrand Cantat ici, Louis-Ferdinand Céline par là, sans oublier Adolf Hitler ! La Région menacerait maintenant de supprimer sa subvention... N'est-il pas attristant d'avoir à rappeler qu'Aurélien Cotentin, alias Orelsan, coupable d'un morceau indigeste, n'a pas de sang sur les mains? L'immense majorité des Réunionnais, elle, se fiche bien de cette mêlée tandis que les fans de rap et de chanson française, ils sont quelques milliers, espèrent pouvoir applaudir comme prévu celui dont le dernier album, LE CHANT DES SIRÈNES sorti fin 2011, a bluffé les médias. Car le show d'Orelsan mérite le détour ! Carré, dansant, drôle, cru, émouvant, Orelsan est un rappeur d'élite. Il vise juste, se joue des clichés, dépeint l'époque avec une exactitude éclairante et musicalement défriche le genre en s'adjugeant sur scène les services d'un batteur et d'un guitariste. La polémique qui agite aujourd'hui le Landerneau culturel réunionnais n'a pas lieu d'être puisqu'au final la raison arbitrera ces querelles. Rendez-vous donc le 3 juin 2012 pour un set du tonnerre qui s'annonce déjà comme l'un des sommets du festival phare de l'océan Indien.


Baptiste Vignol

Alexandrie, Alessandra


Pourquoi ne pas éviter les sarcasmes quand il s'agit des Victoires de la Musique? Il est vrai que la cérémonie, dont c'était la vingt-septième édition, n'a jamais su devenir attrayante, audacieuse, pertinente, innovante, contribuant plutôt à ringardiser avec ses présentateurs convenus la variété française. Mais ce samedi 3 mars 2012, le programme aurait pu, pour qui n'avait pas lu la sélection des nominés, insuffler un élan, l'animation étant confiée à la très contemporaine Alessandra Sublet. Une nouvelle désillusion tant la jeune femme s'accapara le show, voulait faire la vedette à la place des chanteurs, surjouant sa partition, s'égarant dans un bla-bla lourdingue avec une voix off parfaitement superflue, dansant, parodiant Lady Gaga, donnant, déguisée en Nana Mouskouri, la réplique à Claude François, en somme tellement occupée à se mettre en scène qu'elle priva d'antenne des artistes dont le temps de parole était, lui, fort limité. N'est pas Valérie Lemercier qui veut. Inutile de s'attarder sur les sketchs du dénommé Thomas VDB, jeune homme à qui des gogos ont dû trop dire qu'il était drôle pour qu'il le croie et se noie dans un humour de potache. Au final, on en regretta presque les prestations poussiéreuses de Nagui ou de Michel Drucker. Un exploit! Sinon? La prestation de Camille, sautillante et toute en seins, formidable; Catherine Ringer, punchy, souriante, lumineuse; Brigitte, et sa référence aux «looseuses»; L, suprêmement élégante dans son smoking blanc, n'empêchèrent pas, «comme chaque année, les mauvaises langues de buzzer que beaucoup avaient été prévenus de leur victoire» rapporte sur son blog Gilles Médioni de L'Express. Car c'est la faille des Victoires, l'ombre qui gâche tout : le palmarès n'a pas vraiment l'air d'être inédit pour tout le monde. Le bruit courait par exemple qu'Izia, parmi d'autres, connaissait sa Victoire depuis plusieurs jours déjà. La voir interpréter sa chanson deux minutes après avoir reçu son trophée avec son groupe au complet qui l'attendait sur scène pour faire rugir le son ne peut qu'épaissir le doute. Si la rumeur dit vrai, voilà qui rend outrancière sa surprise d'être la gagnante et franchement scandaleux d'avoir laissé croire aux frangins d'Archimède, auteurs d'un album du tonnerre, TRAFALGAR, qu'ils étaient là en course. Sinon, outre les hommages gnangnans à Michel Berger et Barbara - ah, Zaz hilare massacrant Dis, quand reviendras-tu?... -, que fabriquaient au Palais Benjamin Biolay, dont le disque sur lequel figure Padam, la chanson qu'il est venu chanter faux, a reçu la Victoire 2010 du meilleur album? Zaz, primée en 2011? Alexis HK, quinze ans de carrière et cinq albums au compteur, nominé dans la catégorie "Révélation scène" et venu défendre un morceau, Les Affranchis, qui concourait déjà en 2010 dans la catégorie "Vidéo-clip de l'année"? Et Stromae, et Booba, nominés en 2011... Autant de places qui semblaient pourtant devoir être dévolues à Jean-Louis Murat (GRAND LIÈVRE), Alister (DOUBLE DÉTENTE), Yelle (SAFARI DISCO CLUB), Miossec (CHANSONS ORDINAIRES), Bertrand Belin (HYPERNUIT), Housse de Racket (ALESIA), six grands disques de l'année étrangement effacés des tablettes. Ah! l'arrière cuisine de la chanson française... Gloire à l'ancêtre Hubert-Félix Thiéfaine d'avoir pris le temps de citer les noms de ses compositeurs, JP Nataf, Ludéal, Dominique Dalcan parmi les têtes chercheuses constamment oubliées d'un courant libéré qui fait encore battre le cœur de la production francophone. Enfin, pour évoquer les morts de l'année écoulée dans la traditionnelle séquence «Ils vont tant nous manquer», Allain Leprest, jamais invité aux Victoires, voyait son prénom amputé d'un «l» quand manquait au générique Ricet Barrier... Et Maurice André, aurait-il choisi, pour donner à la cérémonie sa minute funerarium, de jouer l'Ave Maria de Schubert quand il avait dans sa trompette tant de pièces propres à réjouir les trépassés les plus inapaisés? Allain Leprest, Ricet Barrier, Maurice André. Trois figures inconnues d'Alessandra Sublet, alors pourquoi pinailler?

Baptiste Vignol