Jour 5


L'originalité, vois-tu, c’est comme les tatouages, elle consiste désormais à ne pas en porter. Alors, pour se distinguer, quand on est chanteur de variété, mieux vaudrait aujourd'hui se faire discret, échapper au troupeau, cultiver le mystère quoi. Mais le ventre mou de la chanson française se vautre en chœur sur Facebook et c’est pas jojo… Ah! Voir Jean-Louis Aubert, sous son bonnet, se trémousser, glousser et balancer chez lui ses rengaines de supermarché sensées, pense-t-il, «nous» faire du bien… Et que dire de Patrick Bruel, plus brun que jamais, guitare sur la bedaine, dans son salon XXL, philosophant dur entre deux beuglantes? «Ché pas si j'ai raison, je vous imagine chez vous en train de, pour ceux qui sont pas tout seuls – moi je suis tout seul, j'ai décidé ce confinement tout seul, tout seul. Pour ceux qui sont pas tout seuls, vous pouvez chanter, danser, participer... Même si vous êtes seuls d'ailleurs, vous pouvez danser... Euh, ouais, c'est intéressant ce, ce, ce moment dans cette dinguerie totale, y a toujours quelque chose à prendre, à tirer... Y a des enseignements forcément... Y aura un avant, un après... Euh... Ouais... Et ça fait revenir à, peut-être, des valeurs un peu plus fondamentales, se poser des questions, se remettre en question, euh... Aller lire des livres qu'on n'a pas encore lus, euh... des livres qu'on veut relire. Prendre du temps... Prendre du temps! C'est joli de prendre du temps. Prendre du temps pour faire des choses! Et... voilà, euh...». Par pitié, qu'il se taise. Le pays n’en est qu’à son cinquième jour de confinement mais cette vogue virale laisse craindre le plus tiédasse des défilés. Chacun y va de son petit rendez-vous charitable, racole à sa fenêtre et c'est souvent pathétique. Ce contentement de soi, quand même. Cette conviction d’être indispensable et réconfortant… La seule question que devraient se poser les chanteurs avant d'entreprendre quoique ce soit, c'est: «Brassens, Barbara, Gainsbourg l'auraient-ils fait?» Cela éviterait bien des outrecuidances. Pourtant, parmi les va-t-en-guerre, il faut saluer Francis Cabrel dont l'éternelle discrétion paysanne permet de penser qu'il ne court pas, lui, après le public. Chaque soir, Cabrel exhume un trésor méconnu de son répertoire, et c'est admirable. Jeu de guitare, interprétation, sobriété, tout est là. Jusqu’au clin d’œil final, qui dit tout. Des instantanés de poésie.

Baptiste Vignol