Redécouverte


Guatémaltèque de naissance, Carmen Maria Vega, victime d'un trafic d'enfants, a toujours vécu en France, adoptée par des parents lyonnais. Après avoir au cours de ces dernières années remonté le fil de ses origines, et son lot de souffrances, la chanteuse aux yeux de jaguar, dont on avait pu remarquer le caractère, la gouaille et les talents de meneuse dans la comédie musicale «Mistinguett, les Années folles», a prié des auteurs et des compositeurs (parmi lesquels Mathias Malzieu, Zaza Fournier, Belle du Berry, Chet, Jean-Pierre Pilot…) de mettre en musique sa quête d'identité. Car la jeune femme, et c'est le signe de son intelligence, a l'humilité des grands interprètes : évitant de se prendre pour ce qu'elle n'est pas, une parolière, une mélodiste, elle donne corps, et avec quelle félinité, d'une voix douce et profonde comme un pelage fauve, aux textes qu'elle se choisit. Son nouvel et quatrième album compte une douzaine de chansons tempétueuses et impolies, dont deux absolument parfaites, ce qui n'est pas rien. La première, Santa Maria, rappellera «Les Conquérants» d'Heredia. «Départ du navire sous les astres dorés / J'entame le voyage sur l'océan déployé…» Écrite par Baptiste W. Hamon sur une partition d'Alma Forrer, cette complainte phosphorescente ne met pas les pieds dans le plat mais peint de biais le retour au pays de l'enfant déracinée, ivre d'un rêve héroïque et brutal. Quant à la seconde, Aigre-doux, elle est l'œuvre du crack Jean Felzine dont on reconnait illico le style rétro rock, ce qui jamais ne nuit au propos. Ce slow parfait, la chanteuse le sublime et l'on voudrait le danser dans ses bras. Muchas gracias señorita.

Baptiste Vignol


Entre deux tours



«On a les dirigeants qu'on mérite, / On se les coltine en mode repeat / Drôle de vie qu'on mène : / Métro, boulot, problèmes» (Je singe le monkey),  «Pardon pour le monde qu'on vous lègue, / Pardon pour les mers un peu deg', / Y avait pas de poubelle à la ronde ! / Pardon pour les plages qu'on bétonne, / Pardon pour les baleines qu'on harponne, / Fallait bien des cosmétiques pour nos blondes…» (Toujours plus con), «J'aurais pu végéter / Jusqu'à devenir une ombre / Mais j'ai préféré finir et te dédier / Cette chanson qu'à ton attention / J'ai nommée “La joie de rompre”» (La joie de rompre), «Je t'emmènerais bien en lune de miel aux Canaries, / Je t'offrirais carrément la lune si j'étais Qatari» (Je t'aime low cost), «Si j'étais le chérubin d'Higelin / Ou d'Jacques Dutronc, j'aurais le bras long, / Si Johnny m'avait donné le sein, / Si Chedid était mon daron, / J'aurais des comités de soutien / Dans leurs cérémonies bidon…» (Fils de), «T'es comme le formica / Au milieu des eighties / Plus personne ne veut de toi / Tous les garçons te squeezent…» (Accroche-toi), «À quoi bon viser l'évasion / Quand tu pèses une tonne de chagrin? / Je reste au ras du béton / Lourd et triste comme un parpaing» (Rien ne sert de courir), «Il ne possède rien du tout, / C'est dire comme il est blindé / Contre le sort, les à-coups, / Quand on n'a rien, faut avouer / Qu'on est tranquille et surtout / Qu'on ne craint pas d'être fauché / C'est sa richesse, son atout, / Il est le branleur parfait» (Le branleur parfait). Des textes carrés qui dépeignent l'époque sur des musiques barrées, rock et pas baroques, Archimède avec MÉHARI survole le salmigondis des fanas de Dutronc, de Renaud, d'Oasis. Et tout ça fait un disque d'enfer (leur quatrième), plein de singles, d'humour et de sens. Comme d'hab.

Baptiste Vignol


Entendre encore Danielle Darrieux


Elle chantait fort joliment, Danielle Darrieux, et mieux que ça. Aussi naturellement que son charme piquant illuminait le grand écran. D'ailleurs, de toutes les véritables stars du cinéma français qui possèdent une discographie digne de ce nom (elle fut Grand Prix de l'Académie Charles Cros en 1960), Danielle Darrieux est celle qui, avec Vanessa Paradis, chantait le plus juste. Elle est pourtant celle dont on a oublié les chansons, qu'elle choisissait avec tact. Trenet, Bécaud, Lemarque, Rivgauche et Nougaro, les tandems Nyel-Verlor, Marnay-Stern, Cour-Popp et Vaucaire-Dumont lui permettront d'atteindre la grâce d'une Gréco blonde. En 1968, l'héroïne de «Marie-Octobre» sortit chez RCA un 33 tours de collection parce qu'il contient notamment quelques bijoux de Roland Arlay, celui-là qui, en 1966, chantait Catherine pour Deneuve. Vol 349, ce chef-d'œuvre évoquant une rencontre en Afrique équatoriale, le temps d'une escale… L'immense Black Street Blues sur une femme «mise en cage» par l'industriel dont elle est la maitresse. «Et parce que la cage est dorée / Voilà, tu te crois quitte…» L'enverra-t-elle valser? Suspens. L'impeccable et mauve Venise en a tant vu bien sûr. Comme au théâtre aussi qu'elle enregistre avant Cora Vaucaire. Mademoiselle Danielle Darrieux fête son siècle d'existence aujourd'hui 1er mai 2017. Si sa filmographie a l'éclat du diamant (Litvak, Decoin, Autant-Lara, Ophuls, Mankiewicz, Duvivier, Demy, Téchiné, Sautet, Ozon), ses chansons intrigantes, câlines, espiègles, ont gardé intact le parfum de leur époque. Voilà leur classe. Indélébile.

Baptiste Vignol