Pourquoi Julio Iglesias?


El señor Iglesias vient de sortir NUMERO UNO, un album à ne pas écouter en compagnie d'une fille à qui l'on souhaiterait conter fleurette. Elle préférera se repasser Manuela, El amor ou Abrazame. Don Julio. L'homme qui affolait ses admiratrices en tenant simplement son micro. Une voix dite de velours, soixante-dix-huit disques interprétés en six langues différentes et vendus à trois-cents millions d'exemplaires. Des duos avec Frank Sinatra, Diana Ross, Paul Anka, Françoise Hardy, Stevie Wonder, Dolly Parton, Charles Aznavour, Nana Mouskouri...
Comme quelques-uns de ses confrères, dont Michel Drucker, le journaliste Benjamin Locoge, pour Paris Match (n°3297), a été reçu chez la star, en Andalousie. Pieds nus, éperdument bronzé, en chemise blanche et pantalon léger, le chanteur s'est paraît-il montré aussi simple qu'accueillant. L'occasion d'une conversation en toute liberté! À 68 ans, Julio Iglesias n'a plus rien à prouver. L'entretien s'avère hélas terrassant, truffé de platitudes mille fois resservies. «Quelle était votre ambition? [quand à l'âge de 19 ans, Julio Iglesias s'est retrouvé cloué sur un lit d'hôpital après un grave accident de voiture]?». Marcher, pardi. «Comment imaginez-vous votre avenir?», «Avez-vous peur de la mort?»... Il y aurait pourtant tellement de questions à poser au plus fameux des Espagnols! En voici quelques-unes, trouvées sans forcer, grâce auxquelles l'envoyé spécial de Paris Match aurait existé dix minutes dans les yeux de Julio.


-Pourquoi un homme vêtu de blanc parait-il plus jeune alors que cette couleur grossit?
-Pourquoi le vrai gaspacho ne s'apprécie-t-il qu'en Andalousie?
-Pourquoi la chirurgie esthétique? Pourquoi les jolies femmes continuent-elles de se faire refaire la bouche quand on voit le carnage?
-Pourquoi ne pas solliciter Carla Bruni et Benjamin Biolay pour vous écrire en français de nouvelles chansons d'amour?
-Pourquoi la corrida a-t-elle suscité tant de refrains hostiles alors que le gavage des oies n'en a inspiré aucun?
-Pourquoi trop de soleil nuit?
-Pourquoi le bronzage intégral?
-Pourquoi les vieux (et bons) chanteurs de charme se teignent-ils les cheveux façon Mouammar Kadhafi?
-Pourquoi les fils de gynécologues admirent-ils en général tant leurs pères?
-Pourquoi la lumière la plus belle du monde est celle du soir sur la femme qu'on aime?


-Pourquoi posséder un domaine de 200 hectares à Marbella avec vue sur le Maroc, une maison à Miami, une autre en République Dominicaine et n'être même pas fichu d'avoir un pied-à-terre parisien?
-Pourquoi les êtres les plus précieux - professeurs, infirmières, médecins, journalistes - sont-ils payés des clopinettes tandis que les gens sans importance - présentateurs télés, footballeurs, mannequins- ne se déplacent pas sans chauffeur?
-Pourquoi répondre encore aux questions de Michel Drucker?
-Pourquoi vos fans ont-ils du goût alors qu'ils regardent Masterchef ?
-Pourquoi les danseuses de flamenco ont-elles un sexe à la place de la bouche, du désir plein les yeux avec, entre les jambes, un igloo en Espagne?
-Pourquoi me recevez-vous?

Baptiste Vignol

Souverain Séverin

Un chanteur, c'est d'abord une voix. Celle de Séverin fait l'effet d'un ventilateur par temps de canicule. Elle aère. Ce sont ensuite des chansons. Les dix morceaux qui composent SÉVERIN sorti chez Cinq7 en mai 2012 en disent beaucoup sur leur interprète. Des chansons-miroir, à l'image de l'autoportrait qui fait la pochette du CD, délicates et nullement maniérées. Un disque pop qui se découvre comme on visiterait une maison cachée par de hauts peupliers tout au bout d'une allée. Tour du propriétaire.


1.Dans les graviers (3'48). Avec cette cantilène sur l'absence, écrite après la mort de son père, Séverin touche. Un canon de simplicité à placer, bien en évidence, entre Le plus fort c'est mon père (1993) de Lynda Lemay - eh oui! - et, moins connue, Mon papa (1990) de Sarclo. La plus émotionnelle des chansons entendues cette année. Ouverture idéale.
2.Sexplication (3'01). «Pourquoi tu veux plus faire l'amour avec moi? / Pourquoi ce soir tu veux pas comme avant?...» Chanson dansante et synthétique sur le couple et le cul passé le temps des «avant»... Mise en garde: si l'amour dure tout le temps, l'érotisme s'étiole dangereusement.
3.Dans La revanche (4'05), Séverin poursuit sa pop textuelle avec le souvenir d'une camarade de lycée, Élise, devenue chanteuse à tubes. Perdue dans son showbiz, mais chroniquée dans Elle, Élise ou la fausse vie. Un air dont le jeune homme tout en cheveux devra se rappeler quand viendra le succès, ce qui ne devrait pas tarder.
4.Identité (3'04). Quand il l'a écrite, Séverin devait se morfondre! «Je fais des puzzles de notre passé...». Avant d'exploser en solo, Séverin, au milieu des années 2000, chantait en anglais au sein du duo One-Two. Plus avant, il aurait étudié le cinéma. «Identité effacée / Il y a plus que ce miroir à embrasser» chante-t-il sur la piste 4... Dans «Plein Soleil» de René Clément, un classique, Delon embrassait aussi son reflet.


5.Un été andalou (3'09). Attention, bijou. Dans la lignée du Week-end à Rome de Daho. Tout serait dit si l'on n'ajoutait qu'en place de Vanda Ribeiro de Vasconcelos, dite Lio («mmm la note la note...»), c'est Kiwi Da Gama - le nom - qui donne ici la réplique.
6.Dommage collatéral (4'16). N'est-il pas touchant que cette chanson d'amour lui fut inspirée par le veuvage de sa grand-mère ? De quoi retirer son chapeau devant un auteur-compositeur aussi moderne que précieux. Parfois jamais la douleur ne s'écoule. «Ouh ouh / Ceux qui souffrent / Sont ceux qui restent...» répète-t-il en fin de morceau. Claude François le disait en 1973: «Le plus malheureux, c'est celui qui reste» (Celui qui reste). Tout a déjà été chanté, oui, mais Séverin vernit ses morceaux d'une ébouriffante justesse.


7.Première déclaration (3'14). Trente-trois ans après Ma gonzesse de Renaud («Ma gonzesse, celle que j'suis avec / Ma princesse, celle que j'suis son mec oh oh oh»), Séverin remet au goût du jour la pure et franche déclaration («Plus je m'imagine et plus / Je m'imagine plus sans toi») truffée de détails attachants («Aujourd'hui je connais par cœur / Ses gestes, ses manières, ses humeurs / Même les contours embarrassants / De son tatouage, ses seize ans». Aubade écrite en un heure paraît-il. Charmant.
8.Les sirènes (4'10). Voilà une peinture glaçante du monde de l'entreprise dans laquelle se reconnaîtraient, s'ils avaient encore simplement le temps d'écouter un peu de chanson française, les milliers de noyés qui chaque jour s'échouent station «Esplénade de La Défense».
9.En noir et blanc (2'59) sonne le grand retour des synthétiseurs dans la variété. En 1981, Lio et Jacques Duvall auraient probablement fait de cette chanson de rupture un hit européen, façon Amoureux solitaires. Qu'en sera-t-il avec Séverin? Sinon, serait-ce Kiwi Da Gama la choriste qui danse et porte des gants blancs dans le clip?


10.Le dernier tube (5'06). Partir avant d'avoir été pourrait être la morale de cet épilogue, conclusion d'un disque qui marquera la décennie. Un chanteur vient de naître.
Question collaborations, cet auteur-compositeur surdoué multi-instrumentiste et producteur, qu'on sait avoir tenu en lisière certains titres de Camélia Jordana, Liza Manili, Rose..., pourrait même, en empiétant sur son territoire, enquiquiner son altesse Benjamin Biolay. À suivre.

Baptiste Vignol