Conseille-moi un disque de chansons.

Pourquoi sommes-nous encore quelques-uns à acheter des CD ? Parce que nous avons été des ados qui prenaient le métro ou le bus pour aller se payer un disque, dévoraient le livret en rentrant chez eux et se précipitaient pour l’écouter dans leur chambre.
À quelques heures du réveillon, pour ceux qui ne savent toujours pas quoi offrir à leurs proches, un i-phone ?... un parfum ?... le dernier bouquin de Yann Arthus Bertrand ?... Achetez-leur donc un album de chansons ! Histoire de vous dévoiler un brin en espérant un coup de cœur, en retour.


Pour un frère encore trentenaire et toujours célibataire, l’idéal serait CHARADE de Jeanne Cherhal. Il devrait s’y retrouver (Certains animaux sont lâches) et chiper, pour l'avenir, la mise en garde qui tue : “Si tu me quittes, je me quitte avec” (J’ai pas peur). Dernière cartouche.


À votre voisin de palier, webmaster aux goûts chics quoiqu'anglo-saxons, pourquoi pas LE MEILLEUR DES CHOSES de Guy Béart ?
- Tiens, c’est le nouveau Guy Beart (prononcez à l’anglaise: Gaille Beurte). Écoute-le, on en reparle.
Avec Je vais au Burkina Faso, le dernier géant de la Chanson française nous livre le morceau le plus cool jamais écrit sur la Burqa !


- Mon père est casanier, n’écoute plus de musique depuis belle lurette, se passionne pour le destin de Georges Klein, "El chico Klein", qu'on surnommait aussi le "Français de la Moneda", et la version latine des lettres de Pline-le-Jeune…
- Bien. Les chansons vagabondes et hantées de Bertrand Belin (HYPERNUIT) devraient rassasier son imaginaire.


À votre nièce journaliste qui n’aime que l’art contemporain, les vidéos de Laurent Grasso, les pièces d’Agnès Rosse ou les installations de Nicolas Moulin, offrez ROSA LA ROUGE de Claire Diterzi, inspiré par la vie de Rosa Luxemburg, et précisez-lui que Claire Diterzi est la première artiste de musique "non savante" à intégrer la fameuse Villa Médicis. Ça devrait l’intriguer…


- Musicalement parlant, voilà trente ans que ma belle-mère se passionne exclusivement pour Francis Cabrel…
Aïe ! L’ancien moustachu ne publie qu’un disque par lustre… Et son dernier date seulement de 2008… Tentons Luc de Larochellière dont le nouveau 10 titres, UN TOI DANS MA TÊTE, pourrait lui faire lever les yeux de son tricot et l’initier à des refrains complices.


- Ma cousine est ingénieur du son ! Elle vomit la variète dit-elle, sauf Bashung. Serge Gainsbourg à la rigueur…
- Ok. ALLEZ L’AMOUR de Ludéal la réconciliera avec la langue de chez nous.
-Très bien, mais quoi offrir à son frère, coach en Programmation neuro linguistique?
-L’intrigant et vicieux COURCHEVEL de Florent Marchet.


Pour étonner votre grand-père qui relit sans se lasser sa collection complète d’Hara-Kiri, choisissez LUNATIC de Booba. Distingué en octobre 2003 par Thomas A. Ravier dans la Nouvelle Revue française (“Booba ou le démon des images”, Gallimard, n°567), le rappeur désormais installé à Miami saisira le vieil homme qui vous fit découvrir jadis Brassens, Brel et Ferré.


AOU AMWIN est sans conteste l’indispensable album de musique du monde paru en 2010. Envoûtant et radieux, le chant de Danyel Waro rafraîchira les oreilles de votre copine “Directrice artistique” qui bosse dans une grande maison de disques à Paris.


Aux amoureux de Manset, qui sont souvent graphistes ou météorologues, tendez L’ARMURE d’Erik Arnaud. En précisant que les chansons du disque valent la reprise magnifique qu’Arnaud fait également de Vies monotones, c’est dire.


Voilà deux ans que son mec, sociologue, bloque sur GRACE/WASTELANDS de Peter Doherty. Il s’apprête à partir pour six mois d’études aux Kerguelen… Mouais. Les chansons glaçantes d’Arnaud Fleurent-Didier (LA REPRODUCTION) semblent être le meilleur complément aux bouquins de Bourdieu qui encombrent déjà ses valises.
Sympa, l’ambiance, aux îles de la Désolation.


À la jolie fille, enfin, rencontrée l’avant-veille au soir et que vous souhaiteriez séduire, la RIVIÈRE DE PLUMES de Louis Ronan Choisy pourrait lever le voile sur vos émois en crue. “Elle vivait dans le blanc des lunes/
Et moi, un songe d'été/ De l'autre côté des lagunes/ Deux miroirs séparés…” (La rencontre). Romantique.
Voilà 11 (pourquoi onze? parce que) albums essentiels de l'année qui s'achève.

Baptiste Vignol

Qu'est-ce qui fait pleurer les blondes?


Réponse : le désamour du public.
Amusant comme les chanteurs - ou leur entourage, mais avec leur bénédiction - peuvent raconter n'importe quoi aux journalistes qui les croient et relaient l'information sans aucune vérification. À lire Télé 7 jours, Sylvie Vartan n'aurait vendu "que" 200.000 exemplaires de son avant-dernier album, TOUTES PEINES CONFONDUES, sorti en 2009 - ce qui aurait été triomphal ! À titre d'exemple, LA SUPERBE de Benjamin Biolay, plébiscité par la critique et le public, a tout juste dépassé le cap des 200.000... L'«échec» de TOUTES PEINES CONFONDUES étant par ailleurs imputé, par l'ancienne vedette des Ring Parade de Guy Lux, à Carla Bruni qui, lui ayant offert une chanson, Je chante le blues, aurait causé sa disgrâce auprès des programmateurs-radio. Sympa. Chacun sait en outre à quel point Carla Bruni est boycottée par les médias...
Sylvie Vartan n'a besoin de personne pour susciter le désintérêt des radios et surtout celui du public. Son dernier succès date de mai 1980 (Nicolas, #21), son dernier tube de mars 76 (Qu'est-ce qui fait pleurer les blondes, #1). Quant à l'émission Tout le monde l'appelle Sylvie diffusée en prime time sur France 3 en septembre 2010, elle avait recueilli 6% de parts de marché... Une déroute.
TOUTES PEINES CONFONDUES s'est classé 16ème la semaine de sa sortie (septembre 2009), s'écoulant à quelques 5000 exemplaires, chutait de 13 places en deuxième semaine (#29) avec 1900 CD vendus, se retrouvant à la 66ème position du Top en troisième semaine (1380 CD) et la 87ème en quatrième (715 CD). Soit à peine 9000 albums vendus en un mois.
Selon une règle bien établie, un chanteur populaire réalise 60% des ventes de son nouveau produit le premier mois de son exploitation. Trois semaines plus tard, après être passé par les 125ème (470 CD), 167ème (310 CD) et 192ème (295 CD) places, TOUTES PEINES CONFONDUES quittait le top qu'il n'aura fréquenté que sept semaines successives, avant d'y revenir deux semaines supplémentaires au 114ème rang (800 CD), puis au 144ème (440 CD)... Au final, les ventes réelles de ce disque auront-elles seulement atteint le cap des 15.000 exemplaires? Treize fois moins que ce qu'annonce la chanteuse, ou son entourage. Pourquoi se gêner? Une pratique symptomatique du petit monde des variétés dont les chiffres de vente sont savamment occultés.
On affaiblit toujours ce qu'on exagère.

Baptiste Vignol

(Pour zoomer, cliquer sur l'image)

Wouah le mic-mac!

Ça y est, l’écrémage arrive presque à son terme. Les zheureux zélecteurs du collège des Victoires ont reçu mardi 14 décembre 2010 la liste des derniers «nominables» aux prochains trophées : ils doivent maintenant, avant le 29 décembre, choisir un nom par catégorie. Les artistes «nominés» seront les trois qui recueilleront le plus grand nombre de suffrages. Rappelons que pour concourir aux Victoires 2011, il fallait avoir publié un album entre le 9 décembre 2009 et le 29 novembre 2010.


La Victoire de l’«Artiste interprète masculin» devrait donc se jouer entre Jean-Louis Aubert, dont le disque ROC’ÉCLAIR est sorti le 29 novembre - il était moins une, Jean-Louis! -, et Bernard Lavilliers pour CAUSES PERDUES ET MUSIQUES TROPICALES. Leur heure de gloire paraît venue, eux qui n’ont, sauf erreur, jamais été honorés par les Victoires.
La prestigieuse progéniture de Louis Chédid semble octroyer à l’auteur de ON NE DIT JAMAIS ASSEZ AUX GENS QU’ON AIME QU’ON LES AIME (2010) un crédit artistique dont il ne jouissait pas voici vingt ans quand il sortait ses disques dans l’indifférence générale (fut-il nominé aux Victoires de la Musique pour ses albums ZAP-ZAP en 1989, CES MOTS SONT POUR TOI en 1991, ENTRE NOUS en 1994, RÉPONDEZ-MOI en 1997 ?). À défaut d’obtenir la Victoire du «Père de», Louis vivra peut-être le bonheur de jouer les figurants aux côtés d’Aubert et Bernard, sauf si le collège des Victoires ne verse une prime à la jeunesse en «nominant» Yodelice… Allez savoir. L’évidence voudrait quand même que Gaëtan Roussel emporte le morceau pour GINGER, vu les quelques tubes contagieux que contient ce CD.


Côté fille, c’est le gros fricotage. Exit Jeanne Cherhal, Claire Diterzi, Lynda Lemay ou Zazie, alors que Zazie est toujours nominée! Cœur de Pirate dont l’unique album à ce jour est sorti en septembre 2008, pour lequel elle était déjà nominée en 2009, catégorie “Révélation”, est candidate pour devenir cette fois-ci la chanteuse 2010! Aurait-elle gagné un abonnement? Elle-même ne doit rien y comprendre… Tout comme Vanessa Paradis également présente avec son best of acoustique: UNE NUIT À VERSAILLES, sorti le 29 novembre. Ouf! Vanessa fait même figure de grande favorite, avec Françoise Hardy dont LA PLUIE SANS PARAPLUIE est tombé du ciel en mars 2010.
Tiens, Sylvie Vartan pourrait également prétendre à la Victoire de l’«Artiste interprète féminine» de l'année grâce à SOLEIL BLEU, paru le 29 novembre, et qui s’annonce déjà comme un flop. Depuis trois décennies, tous les disques de Sylvie sont des bides commerciaux. Quel est son dernier succès? Nicolas, 21ème du hit-parade en mai 1980. N’en déplaise à Michel Drucker, le grand public n’aime plus Sylvie Vartan, mais le métier lui fait croire qu’elle est encore dans le coup. Sa tête quand on lui dira ne pas être du trio des possibles lauréates… Car tout se jouera entre Françoise, Vanessa et Yael. C’est écrit.


«Révélation» maintenant. Au diable Babet, Bertrand Belin, Brune, Dorémus, Ludéal et Karimouche qui figuraient sur la pré-liste des postulants… Clarika, dix-huit ans de carrière, cinq disques originaux, des centaines de concerts, semble encore être une découverte pour les gens du métier... Même si l’on sait déjà que c'est Camelia Jordana qui pleurera de bonheur. À moins que ce ne soit Zaz et sa petite comédie…
Question : qui est Guillaume Grand?


Pour l’«Album de chansons», l’affaire se réglera entre garçons. Pas une femme parmi les huit candidats encore en lice… Sans surprise, c’est à Raphaël - qui n'a pas été retenu dans la liste des «Interprètes masculins» de l'année !- que Nagui remettra le trophée.


«Album musiques du monde». Le 31 octobre dernier à Copenhague, le chanteur réunionnais Danyel Waro recevait lors du World Music Expo, la plus grosse rencontre professionnelle autour des musiques du monde, le Womex Artist Award 2010 pour son album AOU AMWIN paru en septembre. Mieux qu'une victoire, une consécration pour ce poète d'une rare intégrité dont le génie n’a pas encore fracassé les murs insonorisés du show biz parisien. En revanche et comme tous les ans, Tiken Jah Fakoly, I Muvrini, Raul Paz et Youssou N’Dour seront bel et bien de la fête. Ils vont finir par se lasser.


La «Chanson originale» de l’année sera signée Zaz (Je veux), Stromae (Alors on danse) ou Gaetan Roussel (Help myself). Seul petit suspens de la soirée. Sinon, que fichent ici Bab X avec Mourir au Japon, une (très belle) chanson du disque CRISTAL BALLROOM sorti en avril 2009, et Benjamin Biolay avec Ton héritage (extrait de LA SUPERBE), lui qui a déjà tout raflé l’an passé?


«Spectacle musical, tournée ou concert» enfin. Tous les gros sont là, Mitchell, Higelin, -M-, Biolay, Dutronc… Tous, sauf le carton de l’année, celui qui a rempli pendant trois mois le Palais des Sports de Paris et tous les Zénith de France, et qui remet ça avant de s’en aller parcourir les scènes du monde entier… Par quel snobisme «Mozart, l’Opéra Rock» est-il écarté des Victoires? Ce show dont le CD s’est écoulé à 800.000 exemplaires, le plus gros score des dix-huit derniers mois. Il s’en vend encore 5.000 par semaine... Une cadence irréelle aujourd’hui.


Connaissez-vous Vincent Baguian ? Il a enregistré trois albums remarquables (PAS MAL en 1996 ; MES CHANTS en 2000 ; CE SOIR, C’EST MOI QUI FAIS LA FILLE en 2007), écrit avec Zazie un conte musical, SOL EN CIRQUE (2003), auquel participèrent Christophe, Carla Bruni, Francis Cabrel, Alain Souchon, Anne Sylvestre et Claude Nougaro. Claude Nougaro, qui qualifiait Baguian d’«écrivain de chansons»… Mais en 2008, sa maison de disques lui a rendu son contrat. Alors Dove Attia l’a approché pour écrire MOZART. Car Dove Attia a du nez! Au final Baguian, en co-signant dix-sept morceaux du spectacle, dont quelques tubes (L’Assasymphonie, etc.), aura gagné sa liberté – il est également l’éditeur de ses titres. Quand on interroge le parolier de «Mozart» sur l’absence du spectacle aux Victoires, Vincent répond avec la malice qui le caractérise : « Je ne suis pas au courant de ce que trament les Victoires de la Musique, de ce que crament les Victoires de la Musique, de ce drame des Victoire de la Musique. Ni mes albums, ni SOL EN CIRQUE, ni MOZART n'ont jamais figuré dans cette jolie mascarade. Alors je les laisse se congratuler entre eux et se refiler des Victoires qui adouciront peut-être l'amertume de ne plus vendre de disques. Quand je ne vendais pas de disques, je croyais que c'était un signe de talent. L'esprit sait s'adapter aux désillusions. J'aurais trouvé normal que l'on me récompense pour ma géniale abnégation… Aujourd'hui je me moque de ces idiots qui en connaissent autant sur la musique et la chanson que moi sur la télévision. Ils m'ennuient et me déconcentrent quand je suis en train de compter mes euros. » Tout est dit.

Baptiste Vignol

Le retour de Larochellière

Luc de Larochellière a reçu le Félix 2010 (l’équivalent d’une Victoire de la Musique au Québec) de l’auteur-compositeur de l’année pour le disque UN TOI DANS MA TÊTE sorti en août 2009. Un album d’une beauté inquiétante qui pourrait bien marquer la décennie, être le JAUNE (Jean-Pierre Ferland) des années 2000.
Le chanteur répond ici à quelques questions naïves nées pendant l’écoute de ses plus récentes chansons.


L’album débute par une chanson de rupture, Beauté perdue. Ni complainte type Ne me quitte pas (Brel), ni allégeance genre Voilà, c’est fini (Aubert), c’est une chanson constat, glaciale, presque une revanche. Bienvenue chez Larochellière 2010?

Luc de Larochellière - Lorsque j’ai écrit la chanson Beauté perdue, j’ai bien compris que je venais d’ouvrir un nouveau chapitre à ma production. Cette chanson-là avait le potentiel de surprendre mon public et d’en gagner un nouveau. Aussi, la mettre au tout début de l’album et la choisir comme premier extrait était, il me semblait, envoyer un message clair aux auditeurs. La suite des choses m’a donné raison là-dessus.

Elle viendra bien, la fracture, oui/ Elle viendra bien la facture” chantez-vous dans Rage dedans. Derrière ce titre jeu de mots, se cache une menace, comme un danger qui nous pend au nez…

- Dans la chanson Rage dedans, je chante que les apparences sont souvent trompeuses et que tout a un prix… à commencer par le mépris. Les évènements du 11 septembre 2001 et ses suites nous l’ont montré abondamment et n’ont malheureusement pas fini de le faire.


Rage dedans est porté par une remarquable partie violoncelle. “Un archet sur mes veines” chantait William Sheller… L’album, très acoustique, rompt avec vos productions précédentes.

- Lorsqu’est venu le temps d’écrire les chansons de cet album, je me suis rappelé des paroles de mon bon ami, et réalisateur de tous mes albums, Marc Pérusse: « Si tu fais toujours les choses de la même façon, tu risques fortement d’arriver aux mêmes résultats ». Aussi, j’avais la volonté d’arriver à autre chose. Dès l’écriture, j’ai décidé de débuter par les textes, ce que je ne faisais pas avant. Bien qu’on me parle de mes textes depuis mes débuts, ils avaient jusqu’à cet album toujours été au service de mélodies préétablies. Pour ce projet là, je m’étais dit que le propos devait venir avant et que, de toute façon, après sept albums, si je n’avais rien à dire, ça ne valait pas la peine d’en faire un huitième. Il semble qu’il me reste des choses à dire… Ensuite, lorsqu’est venu le temps d’orchestrer les chansons, une approche plus acoustique et plus orchestrale nous a semblé une bonne façon de marquer une coupure. De plus, c’était l’approche qui mettait ces chansons-là le plus en valeur. J’avais aussi envie de quelque chose d’un peu « hors du temps ».

Tu m’as eu est le deuxième extrait du disque et fait, comme Beauté perdue, l’objet d’un vidéo clip. Vos clips, depuis vos débuts, sont toujours particulièrement soignés, scénarisés.

- Le travail sur l’image n’est pas vraiment une priorité pour moi, bien que je vienne de là : j’ai fais mes études en Beaux Arts… Par contre, comme l’image fait partie de mon métier, tant qu’à l’utiliser, aussi bien que ce soit bien fait. On essaye à tout le moins.

Songez-vous sortir un DVD de vos clips? Il y aurait de quoi faire!

- Je ne sais pas si ça vaut la peine et l’investissement de sortir un DVD de mes clips… le principal diffuseur aujourd’hui étant Youtube, et étant accessible à tous.


Vous avez également réalisé les illustrations du livret. On sent que pour vous, le disque en tant qu’objet n’a pas une valeur négligeable.

- J’ai décidé de m’impliquer un peu plus dans le visuel de l’album UN TOI DANS MA TÊTE, en faisant les illustrations. Je crois que si la pochette d’un album représente un intérêt en elle-même, les gens seront plus porter à vouloir se le procurer. Dans ce sens, on voit un certain retour du disque vinyle en ce moment qui dénote l’attachement à « l’objet » dans la mesure où il est intéressant.
Pour ce qui est du piratage, je crois qu’on n’est pas sorti du bois et qu’avant que ce soit réglé, une redevance sur les outils du piratage (mp3, ipod, iphone et même les serveurs internet) qui serait versée aux créateurs nous aiderait à garder la tête hors de l’eau.

À ce propos, une centaine d'artistes, dont plusieurs ténors (Robert Charlebois, Louise Forestier, Richard Séguin, Ariane Moffatt, Luc Plamondon, Michel Rivard…) sont allés en bus à Ottawa, le 30 novembre dernier, pour contester le projet de loi C-32 sur le droit d'auteur au Canada. Et souligner le fait que la redevance de 0,29$ perçue sur chaque CD vierge est aujourd’hui dépassée puisqu’il ne se vend presque plus de CD

- Avec les nouvelles technologies, toute la bataille du droit d’auteur est à refaire. Sinon, c’est la mort du métier qui est annoncée… et d’une certaine idée de la culture aussi. Les artistes sont mobilisés, mais nous faisons face à un gouvernement de droite pour qui la culture et ses artisans semblent surtout être des ennemis à abattre… Bref, ça va pas être simple.

(Les chanteurs québécois en partance pour Ottawa)

J’ai vu enchevêtre dans un constat plutôt amère plusieurs thématiques, sociétales, écologiques, politiques même qui vous sont chères… On retrouve dans cette chanson des sujets évoqués jadis dans Cash City, Sauvez mon âme ou Ma génération. Des chansons bluesy, engagées presque, façon Cabrel période PHOTOS DE VOYAGE. Francis Cabrel, justement, chante avec vous Cash city en duo sur l’album VOIX CROISÉES sorti en 2006, où vous revisitiez votre répertoire avec plusieurs artistes dont également Gilles Vigneault, Michel Rivard…

- Cet album de reprises de mes succès en duo a un peu lancé une mode d’albums de duos au Québec… Mes influences musicales sont beaucoup celles de l’Amérique du Nord, où j’habite. Bien sûr, le fait que je sois francophone et que j’aie le souci de bien utiliser ma langue et la musique interne qu’elle porte, m’a incité à m’intéresser à la chanson française. J’essaie d’être fidèle à ces deux pôles, ce que certains artistes (dont Cabrel) font plutôt bien.

Quels chanteurs québécois conseilleriez-vous d’écouter à qui voudrait les découvrir?

- En ce moment, j’aime beaucoup le travail d’un groupe comme KarKwa, ou d’artistes comme Vincent Vallières et Yann Perreau.


Les Français vous ont découvert avec Cash City (#10 du top en février 1992), deux mois avant qu’ils ne découvrent un autre chanteur québécois, Jean Leloup, dont la chanson 1990 atteindrait également la dixième place du top en avril. Puis l’un comme l’autre vous êtes faits oublier des Français… Pour quelles raisons les albums qui ont suivi SAUVEZ MON ÂME, sur lequel figure Cash City, mais également Si fragile, qui est devenu un standard au Québec, sont-ils passés inaperçus en France?

- Après Cash City, et l’album SAUVEZ MON ÂME qui avait plutôt bien marché en France, il y a eu deux autres albums à être sortis sur l’étiquette Tréma ; l’album LOS ANGELES (1993) et LES NOUVEAUX HÉROS (1996). Déjà la facture de LOS ANGELES était beaucoup plus « rock » et avait un peu démobilisé le public plutôt « pop » que j’avais en France. Pour la suite, les chiffres de ventes n’étant pas au rendez-vous, la maison de disque Tréma n’a tout simplement pas renouvelé le contrat et personne n’a voulu prendre la suite là-bas. De mon côté, les constants voyages au dessus de l’océan commençaient à me fatiguer et je ne me suis pas battu pour sauver mes acquis. Bonne décision personnelle, mauvaise décision professionnelle… Il est vrai que chez nous, j’ai plusieurs «classiques» à mon actif qui sont inconnus en France. Je ne sais pas si ces chansons finiront par faire leur chemin là-bas… ni comment ça pourrait se passer : beaucoup d’appelés, peu d’élus.

À qui s’adresse Pour ne plus avoir peur quand vous dites “Je t’ai tout laissé, j’ai tout renié/ T’ai légué mes clefs, ma vie et mon âme”?

- Pour ne plus avoir peur est une autre chanson post 11 septembre 2001. Elle parle du renoncement à notre bon sens et à une certaine éthique, au nom d’une fausse impression de sécurité. Mais chacun peut l’adapter à lui et en faire sa propre lecture!

Non amour, mon amour parle d’un homme amoureux d’une femme homosexuelle. Un thème finalement rarement abordé dans la chanson! Il y a eu La bourgeoisie des sensations (2009) de Calogero sur des paroles de Pierre Lapointe… Ou bien encore P’tite Pédale (2010) d’Emmanuelle Seigner, le pendant de votre chanson!... Question indiscrète: Non-amour mon amour, confidence ou invention?

- Non-amour mon amour vient d’une histoire vécue… plus d’une fois ! Je me suis beaucoup nourri à mon vécu pour cet album et j’ai été à même de constater par la suite que les histoires les plus personnelles sont souvent aussi les plus universelles.


Voilà pour le futur, il nous faudra des murs/ Pour sauver notre culture, nos musées et nos banques/ Nos écoles et nos tanks…” (Les murs). Vive le Québec libre?

- Les murs ne parle pas de l’indépendance du Québec, mais bien de ces murs dont on a besoin lorsque le vent que l’on a semé nous revient en tempête. Avec l’invitation sous-entendue de cesser de semer ainsi le vent… Pour ce qui est de l’indépendance du Québec, je suis un Québécois citoyen du monde. Je crois que pour s’ouvrir au monde et lui offrir quelque chose, il faut s’appartenir soi-même. Et que notre différence est notre plus grande richesse, ce qui ne va pas trop dans le sens d’un mouvement d’uniformisation en cours en ce moment où la rentabilité économique semble être la seule mesure acceptable…

Un toi dans ma tête est un modèle de chanson, et d’interprétation, quasiment magnétique! Avec cette fin, universelle, unie vers celle : “Car vois-tu parfois, encore aujourd’hui/ Je te parle en moi, comme en ce moment/ Quand je te tutoie/ Toi qui n’es pas là.”

- Un toi dans ma tête me semblait être le meilleur titre à donner à l’album puisqu’il y a dans cette phrase l’essence du propos de l’album, c’est-à-dire la présence de l’autre et son impact dans ce que nous avons de plus intime. C’est moi qui parle, mais dans moi, il y a toi, il y a nous.

Le morceau suivant est sous-titré “Chanson écrite à vol de papillon”…

- Comme un beau soir de neige parle d’amour inaccessible et la phrase “Chanson écrite à vol de papillon” était un message envoyé, à ce moment là, à une personne inaccessible…


Vous avez reçu le 8 novembre 2010 le Félix de l’auteur-compositeur de l’année (les Félix sont les Victoires de la musique de la chanson québécoise). Avez-vous conscience d’avoir écrit un disque qui fera date?

- Beaucoup de gens, dont plusieurs confrères et consœurs de même que plusieurs journalistes me disent que cet album-là en est un important. Je crois que je vais les croire. Chose certaine, moi, c’est mon préféré dans ma discographie et je sens que j’aurai longtemps du plaisir à chanter ces chansons-là sur scène.

Dernière question, dont la réponse peut être parlante pour ceux qui ne vous connaissent pas: quelles sont vos trois chansons préférées, celles dont vous auriez aimé être l’auteur?

- Dur de répondre à cette question… Disons pour aujourd’hui, Voir un ami pleurer, La nuit je mens et Le temps des cerises.

(entretien Baptiste Vignol)
Photo Félix: Pascal Ratthé


Le plein de Lolita


Novembre 2010, Renaud publie l'intégrale de son œuvre en vinyle et sort une nouvelle compilation, LE PLEIN DE SUPER. "L'occasion de faire parler de moi, de relancer ma carrière" explique-t-il dans Serge (n°2, décembre 2010-janvier 2011)... L'opportunité surtout de se pencher sur sa muse à lui, celle qui lui inspira ses plus belles chansons, l'imprimant dans l'imaginaire des Français.
« T’es la seule gonzesse que j’peux t’nir dans mes bras/ Sans m’démettre une épaule, sans plier sous ton poids » chantait-il dans Morgane de toi, une ode à celle qui verrait son prénom briller dans le ciel des muses légendaires de la chanson, aux côtés de Brigitte Bardot, de Juliette Gréco ou de Jane Birkin.
Pendue au cou de son père, dans une salopette en blue-jean, elle porte un t-shirt à rayures rouges. Le flou du cliché embue son visage, mais on devine une couette dans sa chevelure brune. Quel âge a-t-elle? Deux ans, peut-être moins. Un détail saute aux yeux : elle est sans chaussures.
Vêtu d’un blouson en denim, les manches retroussées, il marche pieds nus dans un pantalon de toile blanc. Portant sa fille du bras gauche, il tient de la main droite sa guitare électrique sous laquelle pend, clin d’œil pour initiés, une paire de mini-santiags, ces bottes naguère évoquées quand, sentant l’instinct paternel naître et se développer en lui, il adressait quelques couplets à l’enfant de ses rêves : “Dans un coin de ma tête/ Y a déjà ton trousseau:/ Un jean, une mobylette/ Une paire de Santiago” (Chanson pour Pierrot).
On dirait une photo volée. La luminosité du jour suggère le printemps. Dernière précision, ils portent le même t-shirt à rayures rouges.
Nous sommes en septembre 1983. La France découvre Lolita Séchan, fille du chanteur Renaud et de son épouse Dominique. La photo illustre l’album MORGANE DE TOI, son nouveau 33 tours enregistré à Los Angeles - qui ferait de l’artiste une figure majeure des années Mitterrand. Cette pochette résume l’univers rénaldien, alors en pleine mutation, mais conforme à ses idéaux. Le béton, la banlieue, la verdure d’un fourré, tignasse et poignet de force, tatouage en avant… La dégaine rebelle quoi, même si le paladin a remplacé son inamovible perfecto, celui du desesperado, par un blouson en blue-jean dont l’aspect moins “dur à cuir” renforce toutefois l’écorce faubourienne. D’ailleurs, dès la chanson d’ouverture (Dès que le vent soufflera), l’auteur délaisse son image de loubard pour enfiler le costume du corsaire qui s’en va larguer les amarres : “J’ai troqué mes santiags/ Et mon cuir un peu zone/ Contre une paire de Docksides/ Et un vieux ciré jaune”.
Son univers était jusque là de bitume, de bistrots balayés par des néons blafards. L’arrivée d’un mouflet va affiner son écriture, enrichir son inspiration et lui fournir de nouveaux leitmotivs tamisés de halos apaisants.
- Et si c’était une fille ?, lui dit un jour Coluche.
Une fille ? Renaud n’y avait jamais pensé. Mais bien sûr ! Si c’était une fille. Lolita naît en août 1980, et devient la filleule du clown préféré des Français. Trente années et six albums plus tard, elle aura été, chose unique, l’initiatrice d’une quinzaine de chansons dont certaines, fait notoire, sont parmi les plus belles des trois dernières décennies.
C’est en 1979 que le chanteur confesse pour la première fois son désir d’enfanter (“J’aim’rais bien, un d’ces jours/ Lui coller un marmot/ Ah ouais, un vrai, qui chiale et tout…”, Ma gonzesse) ; aveu confirmé dans sa supplique à Pierrot (“Allez viens mon Pierrot,/ J’t’ai trouvé une maman:/ Tous les trois, ça s’ra bien/ Allez viens, je t’attends”). Sitôt sa prière exaucée, Renaud engage son enfant dans son paysage poétique. Ainsi nous est-elle présentée, en 1981, dans J’ai raté Télé-foot, récit d’une soirée lamentable où sa blonde le rappelle à l’ordre: « Au lieu d’t’aliéner/ Avec cette télé à la con/ T’entends pas qu’ta gosse s’est réveillée/ Va lui faire chauffer son biberon » ! À partir de cette injonction, le Parisien va s’appliquer à versifier la relation qu’il entretient avec sa fille. Chroniqueur du quotidien, Renaud met son existence en refrains. Et Lolita va prendre dans son répertoire autant d’importance qu’elle en a dans sa vie.
En qualité de poète, Renaud excelle dans la description des angoisses et des p’tits bonheurs ordinaires. S’il s’ingénie à bâtir une œuvre accessible, animée de portraits auxquels chacun peut s’identifier, “Lola” lui a permis de se mettre en abîme et de concevoir le profil d’un promoteur à part, pionnier d’une paternité permissive, certes, mais sans cesse aux aguets. En 1949, Simone de Beauvoir avait fait voler en éclats, au profit des femmes, des mères et des épouses, les vieux carcans machistes de la société (cf. Le Deuxième Sexe) en revendiquant la liberté de la femme dans le couple et en affirmant qu’elle n’était pas prédéterminée à se définir par la maternité. Trente-quatre ans plus tard, Renaud redora le blason de la figure paternelle en exaltant l’autorité d’un jeune homme détendu, moderne et attentif, qui met la main à la pâte, sans jamais hésiter à témoigner son amour. Bien sûr, Claude Nougaro avait déjà ciselé Cécile, Aznavour écrit À ma fille ou Jacques Brel chanté Isabelle. OK, Serge Gainsbourg avait psalmodié Susch susch Charlotte avant d’enregistrer, dans des duos dérangeants, parce qu’impudiques, Lemon inceste ou Charlotte for ever. Mais l’amour d’un père pour sa fille n’avait jamais été porté si haut. Depuis l’album MORGANE DE TOI, dédié à Lolita, la verve de Renaud s’est imposée dans l’imaginaire des Français. Dès le 4ème vers de la chanson-titre, son prénom est lâché : « Lolita, défends-toi, fous-y un coup d’râteau dans l’dos ! » Comment imaginer entrée plus théâtrale ? Un homme qu’on croyait rangé des bastons exhorte sa fille à la vengeance parce qu’un « mariolle » de quatre ans a voulu lui chiper sa pelle et son seau ! Dans cette comédie qu’est la vie, l’heure des premiers pas, des premiers coups de bec, a souvent pour cadre le jardin d’enfants. Hors de question donc de se laisser « emmerder » par un « play-boy des bacs à sable » puisque le respect se gagne aussi à l’aube des relations humaines.


Morgane de toi est une incontestable réussite, berceau de vers émouvants dans leur simplicité, leur vérité : « Tu sais ma môme/ Que j’suis morgane de toi » - avec cette traduction au dos du disque : (amoureux de toi) pour ceux qui n’auraient pas compris… Une épître où l’Apache de la chanson admet qu’il s’est assagi, semblant même accepter l’idée que sa fille puisse un jour être scolarisée, quand il prévenait, quatre ans auparavant, plus anarchiste que jamais : «T’iras pas à l’école/ J’t’apprendrai les gros mots. » (Chanson pour Pierrot). Les gros mots ne sont pas de mise quand il s’agit de Lolita ! Les couplets qu’elle lui inspire sont taillés sur mesure. Loin de n’être que des déclarations enflammées, ils sont chargés d’éducation, de sagesse et de vérité, et répondent aux questions les plus naïves, autrement dit fondamentales : “Dis, Papa, [notons le plaisir que prend le parolier à placer l’onomatopée au cœur de ses chansons…] pourquoi des gros dégueulasses/ Font du mal partout”? (Marchand d’cailloux); ou bien encore: “Explique-moi, Papa/ C’est quand qu’on va où?” (C’est quand qu’on va où?). “Marche près de moi” lui répond-il, et “fais gaffe à [ne] jamais/ Suivre les troupeaux” (C’est pas du pipeau), tout en lui précisant: “Y aura toujours des Bastille/ À faire tomber, Lolita/ Les hommes entre eux sont bien pires/ Que les rats” (Lolito Lolita).
En narrant leur intimité, des soirées passées sans elle (Baby sitting blue) aux caprices de l’adolescence (Mon amoureux), sans omettre les premières fâcheries (Il pleut), ni l’heure du dépucelage (Elle a vu le loup), Renaud a inventé un nouveau personnage : l’héroïne familière dont on aime avoir des nouvelles en chansons. Et quand l’épistolaire rumine sa mélancolie, il dépeint son inspiratrice sous couvert de (sa) nostalgie. “Ah… m’asseoir sur un banc/ Cinq minutes avec toi…” (Mistral gagnant). Quel chanteur n’aurait pas aimé signer ce canon-là, sorte de Yesterday à la française ? Effrayé par le temps qui passe, tenté par l’immaturité (“Marcher sous la pluie […]/ Sauter dans les flaques […]/ Bousiller nos godasses et s’marrer”), l’auteur est vite rattrapé par sa volonté d’inculquer l’essentiel: “Te raconter enfin/ Qu’il faut aimer la vie,/ Et l’aimer même si/ Le temps est assassin.” Et quand, vingt ans plus tard, d’une voix devenue caverneuse, Renaud évoque le “joli temps disparu” des 10 ans de sa fille, il écrit : “Ton existence/ À l’évidence/ A embelli la mienne/ Et donné un sens à ma vie” (Adieu l’enfance); mais son spleen le tenaille assez pour qu’il finisse par le nommer, ce fichu sentiment qui parfois l’emprisonne : “La vie brûlait comme aujourd’hui/ Mais sans cette nostalgie”…
Aujourd’hui Lolita Séchan conçoit des livres, vit avec un chanteur disciple de Georges Brassens et transcrit sur son blog quelques cocasses tranches de vie. Pour relater par exemple son aversion du shopping, elle dit en rentrer toujours bredouille, sauf qu’“à chaque fois ou presque, corrige-t-elle, je craque sur un t-shirt à rayures et je l’achète, alors que j’en ai déjà 122 000 dans mes armoires!
Serait-ce le souvenir d’une ancienne photo, quand son paternel pouvait encore la porter dans ses bras, qui la pousse à cette dépense compulsive? Les muses non plus ne guérissent pas de leur enfance…

Baptiste Vignol

Tous azimuts


«Je fais part de ma décision de ne pas reprendre avec Noir Désir, pour désaccords émotionnels, humains et musicaux avec Bertrand Cantat, rajoutés au sentiment d’indécence qui caractérise la situation du groupe depuis plusieurs années» (Serge Teyssot-Gay). La gifle. Mortelle. Ad hominem.

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(François Jouffa descendant d'un avion avec The Beatles)

70 ans. L’âge qu’aurait eu John Lennon en octobre 2010 s’il n’avait pas été assassiné le 8 décembre 1980. Soixante-dix ans, de quoi ressortir des intégrales, publier des bouquins, exhumer toutes sortes d’archives et des témoignages douteux. Bizarre que les maisons de disques qui devraient en ces temps de crise fourmiller d’idées n’aient pas eu celle de concevoir une compilation de chansons françaises écrites sur John Lennon et plus largement les Beatles puisque le dernier album du groupe, LET IT BE, est sorti en mai 70, il y a quarante ans… Il fallait le demander à François Jouffa qui, lui, les a bien connus. Pour établir son track-listing, parmi les dizaines de titres dédiés aux Anglais, Jouffa aurait probablement choisi, entre succès, bizarreries et raretés, un panachage ressemblant :

-Je préfère naturellement, Dalida 1966
-Et Paul chantait Yesterday, Michel Delpech 1970
-Ringo Starr, La Grande Sophie 2003
-Et tu pourras aller au ciel chercher les diamants de Lucy, Darras et Desumeur 1975
-Liverpool, Patsy 1985
-Merci John d’être venu, Christophe 1976
-Il a neigé sur Yesterday, Marie Laforêt 1977
-Je chante pour ça, Jean-Jacques Goldman 1984
-Adieu Lennon, Michèle Torr 1981
-Idées d’idylle, Étienne Auberger, 1987
-Liverpool, Weepers Circus 2007
-Lennon Kaput valse, Alain Souchon 1983
-Lettre de Paul à John, Éric Charden 1990
-Les Beatles de 40, Mouloudji 1965
-J’aimais quatre garçons, Marie-Paule Belle 1989
-Héros in héros out, Yves Simon 1981


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Le “Billet dur” que Christophe Conte signe chaque semaine dans les Inrockuptibles justifierait à lui seul l’achat de ce magazine. Celui paru dans le numéro du 1er au 7 décembre 2010 est adressé au chanteur Grégoire qui, dans le Grand Journal de Canal +, a repris Across the Universe : “Avec ton anglais de 5ème, lui écrit Christophe Conte, tu as fait la vertigineuse démonstration du rapport cosmique entre l’infiniment petit et l’infiniment grand. À la place de John Lennon, j’aurais eu vite fait de voler “across the universe” pour t’en coller deux, mais par chance je pense qu’il ne fut pas mis au courant de ce nouvel assassinat.” Les précédentes torpilles de Christophe visaient Mylène Farmer, Raphaël, Florent Pagny, etc.
À noter l’entretien avec Booba (pour qui Mistral gagnant est la plus belle chanson française) et Nicolas Anelka, qui déteste La Marseillaise et affirme: “En équipe de France, je n’ai jamais voulu la chanter, ça ne m’est jamais venu à l’idée. Et si on m’avait demandé de le faire, j’aurais refusé, j’aurais quitté l’équipe.” Booba de rebondir: “Pourquoi on chanterait La Marseillaise? On ne se sent pas intégré, pas respecté. Quand Florent Pagny dit qu’il ne veut pas mettre ses enfants dans telle école pour qu’ils ne parlent pas comme des Algériens, il n’est pas emmerdé. Comment ne pas être dégoûté?

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Florent Pagny. C’est sa fête, cette semaine! Interrogé par Sophie Delassein dans le Nouvel Observateur du 2 au 8 décembre 2010, Benjamin Biolay compare l’époque actuelle à celle des cabarets, qui vit éclore Barbara, Brel, Brassens... “Aujourd’hui, les artistes sont mieux traités. On ne part pas en tournée dans une fourgonnette, et personne ne nous impose de faire la première partie de Florent Pagny.” Et toc! Puis il insiste, en s’emportant: “À l’époque des Brel et Barbara, on pouvait imposer aux artistes d’être en vedette américaine de Dario Moreno.” Oups. Là, Biolay s’égare. Et Sophie Delassein, qui connaît la chanson, aurait dû aussitôt lui rappeler qu’on ne mélange pas les torchons avec les serviettes. Mais Sophie manqua de répartie, noyée, probablement, dans le regard brumeux du chanteur… Contrairement à Florent Pagny, Dario Moreno n’était pas «qu»’un ténor d’opérette. Né d’un père juif turc et d’une mère mexicaine, éminemment cultivé, c’était un artiste épatant, polyglotte, excellent danseur, bon comédien, suffisamment talentueux pour que Brel en personne lui demande d’interpréter le rôle de Sancho Pança dans L’Homme de la Mancha, créé à Bruxelles en octobre 68. Le 1er décembre 1968, dix jours avant la première parisienne, Dario Moreno succombe à une hémorragie cérébrale alors qu’il se trouve à Istambul pour y présenter ses nouvelles chansons enregistrées en turc. Il avait 47 ans. Il sera remplacé au pied levé par Robert Manuel. Dernière précision: “Avec Dario Moreno, je me suis beaucoup amusé. C’était un musicien formidable, très audacieux.” Citation signée Michel Legrand.
Un peu plus loin dans l’interview, Sophie interroge Benjamin sur ses goûts du moment. “J’écoute de vieilles chansons que je ne connaissais pas, comme celles d’Enrico Macias, que j’adore. Toute une partie de sa discographie est en béton armé. Macias est un grand musicien doté d’une voix en or qui fait des choses incroyables à la guitare.” Là, Biolay dit vrai. Aimer Macias doit d’ailleurs être la marque des mélodistes inspirés. Julien Baer, par exemple, le plus érudit des chanteurs français, demandera facilement à une heure du matin : “Mets-moi Les gens du Nord de Macias, c’est tellement beau!
Il faudrait que Julien Baer fasse découvrir Dario à Biolay.

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Les deux as du football français des vingt dernières années. Zidane et Cantona, issus des quartiers populaires de Marseille. Tandis que le premier bazarde son nom et sa réputation à coups de millions d’euros, le second tire une sonnette d'alarme en appellant les Français à vider leurs comptes en banque. “Je ne crois pas qu’on puisse être complètement heureux en voyant la misère autour de nous. Ou alors on vit dans un cocon hermétique à tout. Mais il y a quelque chose à faire: le système est bâti sur le pouvoir des banques. Donc il peut être détruit par les banques. Au lieu que trois millions de gens descendent dans la rue pour manifester, ils vont à la banque, ils retirent leur argent et les banques s’écroulent… Pas d’armes, pas de sang, rien du tout, une révolution à la Spaggiari.” Rien d’étonnant à ce que des chansons (la dernière en date étant Cantona de Cali, 2010), des films et des bouquins statufient le King d’Old Trafford, quand l’image de Zidane se liquéfie.

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Dans le n°2 du magazine Serge, Patrice Bardot et Didier Varrod interrogent Renaud à l’occasion de la sortie de son intégrale vinyle. Après une vingtaine de questions dont seize n’ont rien à voir avec la chanson (mais plutôt avec l’alcool, la drogue, la politique, la paternité, la vie en banlieue loin des bistrots du quatorzième arrondissement…), Bardot et Varrod concluent leur "mise au point" par cette question: “Est-ce que vous regrettez que les journalistes ne vous parlent pas plus de vos chansons ?

Baptiste Vignol


Deux secondes d'éternité


La fille qui danse derrière Bernard Lavilliers, qu’on nous donne son nom! Des jours que le clip de L’Éxilé est visible sur le site Rue 89 sans qu’on puisse le regarder jusqu’au bout, tellement tout s’arrête à la vingt-troisième seconde de la deuxième minute quand elle surgit à l’image, plein centre, derrière le chanteur. Who’s that girl? Probablement l’amoureuse du réalisateur, à moins qu’elle ne soit l'ultime conquête de Bernard. Cette apparition fugace et ensorcelante ne peut être qu’un hommage. Deux secondes à l’écran, mais deux secondes de chaloupée parfaite. À tel point qu’étourdi, on ne sait pas vraiment comment se termine cette chanson, qui dure 3 min 44 sec.

Baptiste Vignol

Des coups de pied au cul qui se perdent


Révélation : personne dont il est brusquement donné au public de découvrir le talent, les performances. La dernière révélation de la chanson française.
Les Victoires de la Musique n’oublient pas de fêter les jeunes talents de la variété en leur dédiant une catégorie, la bien nommée “Révélation”. Mais plutôt que de faire simple en “nominant” quatre ou cinq artistes ayant publié leur premier ou deuxième album de chansons originales (il y avait de quoi cette année proposer un plateau plutôt coloré parmi Babet, Brune, Dorémus, Féfé, Féloche, Arnaud Fleurent-Didier, Katel, Karimouche, Ludéal, Zaz et sa petite comédie…), l’organisation des Victoires a cru judicieux de scinder ce trophée : une “Révélation du public” et une “Révélation scène” consacrent désormais les artistes “apparus récemment dans l’actualité musicale” explique le livret des Victoires. Bien.
Un listing comprenant deux cents prétendants a été envoyé mi-novembre aux professionnels du spectacle pour arrêter trois noms, parmi lesquels Bertrand Belin qui vient de sortir HYPERNUIT, sa troisième réalisation, son premier album datant de 2005 ;
Ag
nès Bihl, quatre disques au compteur (le premier, LA TERRE EST BLONDE, est sorti en 2001) + un Grand Prix de l’Académie Charles Cros pour MERCI MAMAN, MERCI PAPA en 2005 ;
Louis Ronan Choisy
, quatre CD à ce jour (le premier, D'APPARENCE EN APPARENCE, date de 2003) + une bande originale pour un film de François Ozon ("Le refuge", 2010) ;
Clarika
, cinq albums (le premier, J’ATTENDRAI PAS CENT ANS, remonte à 1993), finaliste avec JOKER du Prix Constantin 2006 (un prix justement créé en 2002 afin d’honorer les révélations de la production francophone, signe que pour les professionnels du disque, les Victoires de la Musique ne remplissaient pas leur mission…), des centaines de concerts, des duos enregistrés avec Michel Delpech, Michel Jonasz & Bernard Lavilliers ;
Eiffel
, cinq albums (le premier paraissait en 1996), autant de tournées au long cours + des collaborations avec Dominique A, Noir Désir, les Têtes Raides… ;
Lo’Jo, 28 ans de carrière, une dizaine d’albums, des spectacles en Russie, au Canada, en Allemagne, aux États-Unis, en Angleterre, en Australie, au Cameroun, en Nouvelle-Zélande, en Amérique Latine… ;
Florent Marchet
, trois CD (le premier, GARGILESSE, est sorti en 2004), Prix de l’Académie Charles Cros 2004, finaliste du Prix Constantin 2005 pour GARGILESSE puis en 2007 pour RIO BARIL, programmé à plusieurs reprises au Printemps de Bourges, aux Francofolies de la Rochelle et de Montréal, au festival des Vieilles Charrues…
Que des blancs-becs en somme, “apparus récemment dans l’actualité musicale”.

Moi, Clarika, chanteuse de variété, 18 ans de carrière, 5 albums, des centaines de concerts;
nominable aux Victoires de la Musique, catégorie "Révélation 2011".


Une sélection inepte, irrespectueuse pour les artistes sus-cités (un peu comme si l’académie des Césars nominait en 2011 Jeanne Balibar, Bruno Putzulu ou Natacha Regnier dans la catégorie “Espoir de l’année”), et parfaitement inutile quand on sait que la grande gagnante, et cela n’a rien d’une révélation, sera Camélia Jordana…
Le problème avec la cérémonie des Victoires, c’est qu’elle est devenue par trop prévisible, et la prévisibilité n’est pas signe de bonne santé artistique. Reste une chose à éclaircir : le nom des nullards qui ont établi cette pré-sélection.

Baptiste Vignol


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Une explication vaudrait mieux

Les Victoires de la Musique. Il faudra qu'on nous explique. Mi-novembre 2010, la liste des artistes "nominables" aux Victoires 2011 (dont la cérémonie devrait se dérouler début mars au Palais des Congrès de Paris) est envoyée aux gens du métier, artistes, producteurs, éditeurs, directeurs artistiques, programmateurs radio, tourneurs, journalistes introduits... Un collège d'un millier de votants. De ce livret, par catégorie (artiste féminine de l'année, artiste masculin, révélations, albums rock/rap/musiques du monde, etc.), les zheureux zélecteurs doivent dégager un nom, et un seul ! Bonjour l'éclectisme. Les trois prétendants les plus cités concourront au trophée. Trois. Pas un de plus. Au diable le sectarisme.

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Elles sont 39 à pouvoir faire partie du trio de tête et décrocher une Victoire. Trente-neuf chanteuses, dont certaines étaient déjà présentes les années précédentes, avec peu ou prou le même produit, autrement dit son succédané: un disque live.
La question devrait se poser, mais elle ne se pose pas semble-il: un album studio, composé de chansons inédites, peut-il être comparé et concourir avec un enregistrement public composé de chansons anciennes? A fortiori, l’enregistrement du concert d’un artiste peut-il avoir quelque ambition quand son disque original le plus récent a été nominé lors d'une édition précédente? Bien que Vanessa Paradis ait emporté la Victoire 2008 grâce à DIVINYDILLE, elle concourt encore cette année avec UNE NUIT À VERSAILLES, captation d’un spectacle acoustique né dans la foulée de DIVINYDILLE ! Du pouvoir des majors de placer coûte que coûte leurs vedettes, au détriment de créations originales d’une part et de la diversité d’autre part. Qu'on en juge: Cœur de Pirate, qui ne dispose pas d'un nouvel album, se retrouve dans la liste des possibles prétendantes alors qu'elle était déjà nominée en 2010. Diam's l'est également pour l’incarnation scénique d'un CD sorti en octobre 2009 (S.O.S.) et curieusement oublié en mars 2010. Même chose pour Arielle Dombasle, retenue alors que GLAMOUR À MORT est sorti en avril 2009. Pour ce qui est d'Ariane Moffatt, toujours en course cette année, elle était déjà nominée en 2010, catégorie Révélation, tandis que (l'excellent) TOUS LES SENS est sorti en avril 2008... Sans parler des disques "nominables" avant même qu'ils ne soient dans le commerce! UNE NUIT À VERSAILLES de Vanessa Paradis et SOLEIL BLEU de Sylvie Vartan, par exemple, paraîtront le 29 novembre ! Comment voter pour un disque qui n'est pas sorti? Quant au CD de Line Renaud (RUE WASHINGTON), il n’a paru que le 8 novembre 2010, quelques heures avant l’envoi des bulletins… Façon d’imposer aux votants, et par ricochet au public, les productions jugées «importantes»? Dans son édition du 19 novembre, le Figaro annonçait que Warner espérait vendre 70.000 unités de RUE WASHINGTON, présenté comme un événement. C'est mal parti. Malgré le battage médiatique, il s'en est écoulé moins de 6.000 exemplaires (3.829 ex. + 2.033) en deux semaines d’exploitation...
Il serait tellement plus simple et plus juste de faire concourir des artistes qui ont publié un album de nouvelles chansons au cours des douze mois qui précédent la cérémonie.
Pour 2010, l'affaire au final se réglerait entre 3 ou 4 de ces demoiselles: Jeanne Cherhal (pour CHARADE), Françoise Hardy (LA PLUIE SANS PARAPLUIE), Claire Diterzi (ROSA LA ROUGE), Souad Massi (O HOURIA), Zazie (7) - car Zazie est toujours nominée!..., et Lynda Lemay (BLESSÉE). Il y aurait du suspens et du show.
Côté garçons, ils ne sont pas trente-neuf, mais quatre-vingt quatre (84!) à se disputer un fauteuil au Palais des Congrès, dans un embrouillamini de styles musicaux, de redites « live » et d'absurdités artistiques (Dany Brillant, Patrick Fiori, Gilbert Montagné, Michel Sardou…), sans que n'y figurent les disques remarquables d’Érik Arnaud (L’ARMURE, son troisième album-studio), Bertrand Belin (HYPERNUIT, son troisième), Louis-Ronan Choisy (RIVIÈRE DE PLUMES, son quatrième), Bertrand Louis (LE CENTRE COMMERCIAL, son quatrième) et Florent Marchet (COURCHEVEL, son troisième) qui sont tout sauf des débutants, mais jouent sous les couleurs d’un petit label… Les Victoires de la Musique, ça sent l'embrouille.

Baptiste Vignol