L'action se déroule à 9000 kilomètres de Paris, sur l'île de La Réunion.
Le 2 février 2016, j'écrivais dans le Jir (Journal de l'Île de La Réunion) ce papier adressé aux directeurs des deux théâtres départementaux de Saint-Gilles-les-Bains et de Saint-Denis de La Réunion, Bernard Faille et l'ancien danseur Pascal Montrouge, en place depuis 2009:
Cette chanson qu'il fait bon détester
L’île de La Réunion possède l’une des plus belles scènes du monde, à ciel ouvert, au-dessus de Saint-Gilles-les-Bains. Mille places assises dans un écrin. Les Réunionnais qui aiment la chanson française - et il doit en rester quelques-uns !- ont pu jadis, en famille parfois, y applaudir Claude Nougaro, Francis Cabrel, Georges Moustaki, Jean-Jacques Goldman ou bien encore Les Innocents... Belles nuits étoilées. Laurent Voulzy aussi il n’y a pas si longtemps, au début des années 2000, qui s’y produisit plusieurs soirées de rang, tout comme, naguère, Jean-Louis Aubert, Lynda Lemay, Bernard Lavilliers ou Zazie. Parmi tant d’autres. Comment se fait-il que la chanson soit aussi méprisée aujourd’hui par les théâtres départementaux ? Pourquoi, par exemple, Alain Souchon et Laurent Voulzy n’y ont pas été programmés ce mois de janvier 2016 ? [Ils y ont chanté au Stade de l'Est, un hangar de 4000 places assises à l'acoustique épouvantable.] Pas plus que le seront d’ailleurs Louane et Francis Cabrel cette année. Calogero ou -M- ne l’ayant pas été en 2015… La dernière chanteuse de renommée nationale à avoir été invitée par le « teat en plein air » demeure, sauf erreur, La Grande Sophie, en mars 2013 ! Alors messieurs les directeurs, d’où vient-il ce dégoût pour la variété populaire ? Franchement, une fois par semestre, deux fois par an, le théâtre de Saint-Gilles ne pourrait-il pas proposer dans sa programmation officielle une soirée mettant à l’honneur une figure de la scène francophone ? Bizarre ce mépris quand on semble, à l’instar de Pascal Montrouge, si fier et si heureux de faire partie du jury de « The Voice » à la sauce créole et qu’on a commencé sa carrière en dansant avec Karen Cheryl.
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Aujourd'hui 12 février, l'une des plumes culturelles du Jir s'interroge sur mon compte :
Puisqu'il y est insinué que j'agis sur commande (la direction des théâtres départementaux sera renouvelée en avril pour un nouveau mandat de sept ans), j'ai naturellement adressé dans la foulée cette réponse à la journaliste, la remerciant au passage de me permettre, par son article, de développer mon propos. Tout débat n'est-il pas bon à prendre? Mais l'on vient de me faire savoir que ma réponse ne serait pas publiée. La voici donc (précisons qu'aucun des artistes cités plus bas, mis à part les Innocent il y a 20 ans, Camille en 2007, Dominique A en 2010 et Jeanne Cherhal en 2012, n'est venu se produire à La Réunion):
Et si l’on remettait la chanson à l’endroit ?
Victime de l'effondrement de l'économie du disque et de l'invasion des télés-crochet qui ont décimé, en imposant leurs starlettes, les jeunes auteurs-interprètes qui faisaient sa richesse et son avenir, la chanson française de caractère, qu’elle soit pop, rock ou classique, suscite un sourire bébête chez ceux qu'encombre une culture faux-cul. C'est donc aujourd'hui toute une expression artistique qui se trouve menacée d'extinction. Il est alors du devoir des politiques culturelles de la soutenir, ne serait-ce qu'au nom de la francophonie. Comme l’équipe dirigeant les théâtres départementaux a fait preuve ces dernières années de son inaptitude sur le sujet, voici, pour l’aider, à moindre frais, quelques noms d'artistes de tous âges parmi lesquels elle pourra piocher afin de proposer aux Réunionnais amateurs de variété deux soirées annuelles, « de haut niveau », rassurez-vous, contenant chacune, par exemple, une première partie adéquate. Deux soirées. Ça n'est pas le lagon à boire !
En vedettes, suggérons Jean-Louis Murat, Les Innocents, Ariane Moffatt (dix Félix au Québec, l’équivalent de nos Victoires de la musique), Graeme Allwright (vous souvenez-vous de Graeme ? Il vécut à La Réunion et chante encore, à 89 ans !), Clarika, Claire Diterzi (la seule chanteuse à avoir été pensionnaire de la Villa Médicis), Pierre Lapointe, Robert Charlebois, Jeanne Cherhal, Alex Beaupain, Anne Sylvestre, Diane Dufresne, Juliette, William Sheller, Maissiat (son prochain album qui sort en mars, absolument extraordinaire, va devenir illico un classique), Hervé Vilard (oui, Hervé Vilard ; Michel Delpech c’est trop tard - tout comme Christine and the Queen, fallait se réveiller avant…), Damien Saez, Thomas Fersen, Camille ou Dominique A.
Avec, pour ouvrir le bal, puisqu’il faut aussi soutenir la «nouveauté», disons Séverin (son nouveau disque, qui vient de sortir, est une merveille absolue), Barbara Carlotti, Bertrand Belin, Raphaële Lannadère, Vincent Baguian (un « écrivain de chansons » disait Claude Nougaro), Mustang, Aline, Bastien Lallemant, Arman Méliès, Katel, Franck Monnet, Jérémie Kisling, BabX… Autant d'artistes, de « haut niveau », qu'on n’applaudira jamais au Stade de l'Est et pour qui l'écrin surplombant Saint-Gilles-les-Bains semble être la scène idéale. Deux soirées par an. Franchement ! Ça n’entre pas dans un cahier des charges ? Le sacro-saint cahier des charges. Alors, quoi ? Murat, Sheller, Dufresne, les Innocents, Charlebois, c'est la honte? C'est vulgaire? C'est... trop populaire? Pas plus que de se trémousser avec une jolie conviction derrière Karen Cheryl quand elle chantait À l'endroit, à l'envers.
Baptiste Vignol