Aussi zozo qu'elle en a l'air


Imprévisible Zaz. Comme elle en a «un peu marre de tous ces albums de reprises» (Le Parisien, 15 septembre 2014), qu'est-ce qu'elle fait? Un album de reprises… consacré à Paris. Avec le serment fallacieux qu'elle a enregistré ces chansons (Paris sera toujours Paris dont elle mâchouille les paroles, À Paris, Paris Canaille, Sous le ciel de Paris, etc.) «comme s'il s'agissait de nouvelles compositions». Quelle star de la production son label a-t-il dépêchée pour parfaire cette mise en bouteille? David Guetta? Yvan Cassar?... Quincy Jones! «J'aime Quincy. Ce qu'il a fait pour rendre le jazz populaire est extraordinaire» prend soin de préciser cette femme en cheveux qui chante en goualeuse des rues, sans penser qu'on peut chanter autrement. «Dès mon deuxième album, je rêvais de travailler avec lui» ajoute-t-elle, la bouche pleine de tarte à la crème. Inutile de commenter son portrait d'un octogénaire qui, à la lire, serait presque retombé en enfance: «trop rigolo», «coquinou», d'une «espièglerie» que, forcément, elle «adore». «Zaz a cette racine blues dans la voix que l'on jurerait tout droit sortie d'un ghetto». Si c'est ce vieux «Q» qui le dit.

Baptiste Vignol

En voix


Céline, Isabelle, Ginette, Lhasa, Marie-Pierre, Nanette, Diane, Ariane et Lisa… Elles ont un secret de fabrication ou quoi? Il suffit de tomber sur la voix d'Ariane Moffatt, aussi réconfortante qu'une lueur éternelle, magnifier Les callas qu'elle interprète en duo avec Pierre Lapointe, ou celle de Lisa Leblanc rugir sur le premier extrait de son prochain EP, You look like trouble, pour se dire que, oui, les chanteuses francophones d'Amérique du Nord possèdent une grâce dont sont privées les Françaises. Alors? L'anglais, probablement. Le fait de le parler naturellement, ça doit modifier la voix. Lui donner l'air de ne jamais forcer, d'être toujours dans l'aisance, d'atteindre des rondeurs sensuelles. Ce qui charme chez les Québécoises grimace souvent avec les Françaises… Le bilinguisme les ferait-elle mieux chanter? Ces voix qu'on a faim d'entendre.

Baptiste Vignol

La peinture d'Archimède


Pour les quadras qui au début des années 80 brûlaient leurs économies dans les vignettes Panini, Laval évoquera vaguement les «Tangos» du SL, avec Jean-Pierre Tempet dans les buts... Sinon, rien de bien net n'émane d'une cité où naquit le Douanier Rousseau. Pourtant, depuis 2008, deux frangins mayennais, les Boisnard, à la tête d'Archimède, s'illustrent avec tempérament. Donneront-ils à leur ville ses lettres de noblesse? Frédéric, l'ainé, compose des musiques électriques qu'on dirait venues d'Angleterre, carrées, aériennes, tandis que Nicolas, le chanteur, qui co-signe certaines mélodies, y colle des textes quatre étoiles, figuratifs, teigneux, drôles et dotés d'un Ton. Par surcroit, Archimède est un groupe de scène, vif et nerveux, sans jouer les rebelles. ARCADIE, son troisième album, est sorti juste avant l'été. Un mauvais disque n'avance pas. Non seulement celui-ci démarre fort, mais il va crescendo et foisonne d'idées, de «singles». L'espiègle Ça fly away par exemple, spéciale dédicace aux jeunes pousses parisiennes prétendument anglophiles, et qui rappelle avec panache la fibre rénaldienne du 33 tours MARCHE À L'OMBRE; ou Toi qui peines au bureau, genre de sagacité qu'aimerait tant écrire Bénabar… Avec une tranquillité savoureuse, Archimède déroule des tableaux auxquels il est douteux de résister (Au Marché des Amandiers, Oh viens ma chérie), élevant encore le niveau pour s'achever sur un bijou d'émotion dont le cadre est l'hôpital Necker: Le Grand jour. Que de nostalgies, d'influences dans la Variété! Benjamin Biolay a beaucoup écouté Serge Gainsbourg, Étienne Daho Françoise Hardy, Delerm Frida Boccara... Les Boisnard, eux, se sont shooté à l'Oasis (comme d'autres à la poésie parnassienne), et ça donne des chansons papillonnantes dont les ailes en fleurs, teintées d'azur et d'écarlate, se posent par instants sur les ouïes délicates en y laissant de leurs couleurs.

Baptiste Vignol


15€ jetés par la fenêtre


Au fond, il serait presque plaisant d'affirmer crânement: «Le nouveau Bénabar n'est pas si mal fichu que ça!». La réalité, c'est qu'INSPIRÉ DE FAITS RÉELS est un disque à la médiocrité affligeante. Parce qu'avec ce parolier les «arbres» sont «obséquieux» et les «orages» forcément «déchaînés», sans parler des «yeux qui klaxonnent» ni du mot «route» qui rime avec «minute» entre autres vers épouvantables… Tout est stéréotypé, prévisible, approximatif et cucul la praline. Quand il veut se montrer comique (Gilles César), Bénabar fait peine à entendre, et s'il souhaite insuffler de l'émotion (Titouan), c'est l'interprétation qui flanche. Avec Paris by night, on sent bien son désir de taper dans le bon gros refrain populaire, mais à ce jeu-là, plus compliqué qu'il n'en a l'air, Serge Lama (Les P'tites femmes de Pigalle) et Michel Sardou (La Java de Broadway) le dépassent encore de trois têtes. Nul besoin d'évoquer Les deux chiens, cette insupportable chanson, le mauvais goût des arrangements ni la fainéantise des musiques… Cependant, si dans Coming in (dont on taira l'inanité de la chute), l'auteur précise d'entrée: «"Surpris"! C'est pas le mot / C'est plutôt "stupéfait"», il a encore tout faux! Le terme approprié aurait dû être «étonné». «Chacun a ses faiblesses, écrivaient Alain Duchesne et Thierry Leguay dans  leur dictionnaire des subtilités du français. Littré en avait pour sa bonne. Un jour qu’il la lutinait, Madame Littré poussa la porte et s’écria: "Ah, monsieur, je suis surprise !" Et le regretté Littré, se rajustant, lui répondit: "Non, madame, vous êtes étonnée. C’est nous qui sommes surpris."» Nuance.
À la fin du livret, le chanteur dédie son album «à tous ceux qui voudront bien l'écouter». «C'est à vous, souligne-t-il, rien qu'à vous qu'il est destiné.» Comment le remercier?

Baptiste Vignol