Lecture d'été


Demande-t-on à Maïwenn, quand on la rencontre fortuitement, de quelle manière se tourne un film ? On doit plutôt espérer qu'elle vous propose le premier rôle dans son prochain. Interroge-t-on Philippe Djian sur sa façon d'écrire ? Ernest Pignon-Ernest sur la couleur qu'il utilise pour peindre ses images ? Jean-Marie Perrier sur l'appareil avec lequel il flashait sur Françoise Hardy ? Car il s'agit bien de technique ici. Aux paroliers et compositeurs de chansons, c'est souvent la première question qu'on pose lorsqu'on les croise après un gala, dans un salon du livre ou par hasard dans le train: comment faites-vous pour écrire une chanson ? Comment «ça» vient ? Sans doute parce que la chanson, art de l'immédiateté qui s'apprécie sans avoir besoin d'être initié laisse supposer que sa fabrication est aussi simple qu'est simple son écoute. Sans doute aussi parce que la chanson, dans l'esprit des gens, c'est aussi synonyme de tube, donc d'argent vite gagné. De nombreux essais existent sur le sujet, par Boris Vian (En avant la zizique !), Jacques Bertin (Chante toujours, tu m'intéresses - ou les combines du show-biz), Marcel Amont (Une chanson, qu'y a-t-il à l'intérieur d'une chanson ?), Claude Lemesle (L'art d'écrire une chanson)… Qui donnent des pistes, sans livrer de recette, puisqu'il n'y en a pas. Kent est un artiste, un vrai: il chante des chansons qu'il écrit et compte quelques francs succès, des livres aussi, et des bandes dessinées puisqu'il sait aussi dessiner. Par-dessus le marché, c'est un homme sympathique, abordable, qui vous écoute quand on lui parle. Cette satanée question, on la lui a mainte fois posée... Il vient de publier un chouette petit livre, qui s'intitule Dans la tête d'un chanteur où il apporte des réponses, les siennes, sur ce mystère-là de la création, où il propose des clefs, où il évoque les bons ou les mauvais conseils qu'on a pu lui donner et où il parle enfin des chansons des chanteurs qu'il admire. Un bouquin qui se lit tout seul, comme on écoute une bonne chanson. Pas qu'instructif et drôle, émouvant aussi quand il explique comment lui est venue l'idée d'écrire Je suis un kilomètre, ce bijou.

Baptiste Vignol

Radiographie


Dans un monde normal, Julien Baer, Pierre Schott ou Jean-François Coen continueraient pépères d'apparaitre tous les deux-trois ans chargés d'une cargaison d'airs soyeux qu'ils écouleraient facilement à quarante mille exemplaires au moins, ce qui leur permettrait d'en vivre et d'orner la chanson française de leurs démons. Dans un monde normal, 2014 aurait été l'année de Dominique Dalcan (HIRUNDO); Circé Deslandes, la It girl du moment. Quoi encore? Les Innocents casseraient la baraque avec MANDARINE. Dick Annegarn remplirait l'Olympia. Pareil pour Ariane Moffatt, Mokaïesh, Barbara Carlotti, Lisa Leblanc ou Fred Métayer... Dans un monde normal, le clip des Babas passerait sur W9 et Anaïs n'aurait pas en juin 2015 annoncé sa retraite sur facebook sans que cela n'émeuve aucun chroniqueur - elle qui avait emballé le métier un soir de mars 2006. 



Mais dans nos pays à deux balles, la rengaine ne vaut plus tripette si elle ne tourne pas en radio. Pourtant, des «artistes» «poètes», au sens que leur donnait Verlaine, «fous de vers» et «de musique», s'organisent encore en contrebande! Loin des sentiers battus, Sébastien Polloni affiche leur bravoure, leur aisance, leur désinvolture. «On se rêvait pirates aux allures de dandy / Un peu plus de voilure, un peu moins d'interdits…» Il vient de sortir RAVINES, onze chansons courtes et encaissées que sa belle voix boisée dompte comme les eaux d'un fleuve sur des arrangements clairs de Guillaume Cantillon, l'ancien chanteur de Kaolin. Mieux qu'un espoir, ce premier disque devrait être une promesse. Dans un monde normal.

Baptiste Vignol



À moitié effeuillée


Voilée sa voix mais fraternelle. Sexy aussi quand elle s'ébrèche. Ses mots sont les bons, pour dire l'amour et ses misères, compter les saisons envolées. Les musiques, qu'elle compose souvent, leur vont comme une peau. C'est Pierre Jaconelli qui a orchestré cet album et Jaconelli est un as. Le disque s'appelle PINK LADY. De l'excellente variété. Sauf qu'après l'avoir entamé - combien ? quinze ou vingt fois déjà, impossible d'aller outre la cinquième chanson. Son «N°5». Qu'on écoute et qu'on ré-écoute, à s'en filer le bourdon, devant Rose sur son tabouret. Visage de chat, chevelure idéale et regard d'héroïne. Photographe: Emma Picq. Elle en a de la chance, Emma. Mais Titan qui appelle, l'arrivée du tour, ce fichu bouquin à finir et la porte qui claque - les alizés soufflent fort cet hiver. Toutes ces choses... Je l'écouterai demain, au casque ou dans la caisse. Partie remise. Jusqu'à la cinq. Non mais ce duo ! Soleil des mourants. Rose et Murat. Pour être deux. Drôle de vertige. Quand la plus belle femme du monde nous donne à ré-entendre Jean-Louis au meilleur de sa voix… Sur une mélodie de Loane. Il reste sept titres à découvrir, et Jeanne m'a dit qu'elle aimait beaucoup Maman est en bad. Alors quoi? Zapper la cinq? Sacrilège. Puisqu'un bon disque se prend comme on dévore une nouvelle, de la première à la dernière plage.

Baptiste Vignol