Joyeux Noël!


Il n'avait tué ni dénoncé personne mais pâtissait d'une sale réputation pour son «comportement» pendant la Deuxième Guerre mondiale. Faut dire, il avait chanté en Allemagne, le «collabo». Comme Maurice Chevalier et Édith Piaf. Cinquante plus tard, il répondrait: «Nous, on savait que la vie peut parfois être brève / Nous, dans nos rêves, on savait / C'est pour ça qu'on rêvait.» (Nous, on rêvait) Son goût pour les jeunes gens n'avait pas arrangé son cas, à une époque où la majorité se gagnait à 21 ans. On avait donc parlé de «ballets bleus» et de pédophilie forcément. Cette tendance à faire outrage, à voir l'horreur où elle n'est pas, et à pardonner aux ordures. Décembre 1988, à l'âge de soixante-quinze ans, il fête son retour en donnant une exceptionnelle série de récitals au Châtelet. De Trenet, nous connaissions le surnom, ainsi que deux ou trois chansons, La Mer, Y a d'la joie et Je chante. Des monuments qui avaient fini par étouffer son œuvre. Mais les enfants de Pompidou qui en pinçaient pour la chanson savaient l'admiration que Serge Gainsbourg, Georges Brassens ou Jacques Brel portaient au père Trenet. Assez éloquent pour, à 17 ans, laisser un vendredi soir de côté nos «disques laser» des Rita, Daho, Higelin et Souchon qui cartonnaient alors, et courir voir en bande ce vieux monsieur chapeauté, pas mécontents à l'idée de rajeunir l'assistance. Au Bal de la nuit, Les Chiens-loups et Le Revenant ouvrirent cet époustouflant tour de chant composé d'une trentaine de chefs-d'œuvre. Suffisant pour galvaniser le théâtre et nous subjuguer, reléguant même deux heures durant nos idoles (ne trouvait-on pas du Trenet dans Marcia Baïla, Week-end à Rome, Tombé du ciel ou Ultra moderne solitude?) au statut d'aimables auteurs-compositeurs. Fut-ce là le plus beau concert de nos jeunes années? 


Un quart de siècle plus tard, il en reste d'immarcescibles souvenirs, un album live (LE FOU CHANTANT EN PUBLIC) et un éblouissement qui nous pousserait à retourner applaudir Trenet sur scène une vingtaine de fois, au Palais des Congrès, à l'Opéra Bastille en 1993 à l'occasion de ses 80 ans, au Festival «Chante!» de Montauban jusqu'à la salle Pleyel en 1999. 
Didier Varrod lui a consacré un feuilleton radiophonique sur France Inter («Tout l'été pour Trenet»), duquel il a tiré un beau livre richement illustré de documents magnifiques. À deux jours de Noël, voilà un cadeau idéal à offrir aux gamins chez qui l'on croirait soupçonner un penchant pour la chanson moderne et poétique, histoire de leur démontrer qu'elle n'est pas née avec Stromae.

Baptiste Vignol