Génération Lafayette


Dans les clips illustrant sa «trilogie amoureuse», le chanteur Lafayette, aux traits d'énarque rebelle, se fait plaisir en séduisant quelques it girls dont tout garçon normal serait bien en peine d'allumer le minois. Le sourire des orgueilleuses, un signe qui ne trompe pas. Alka Balbir (Eros automatique), Liza Manili (Mauvaise mine) et Luna Picoli-Truffaut (La glanda). Ça va. Trois chansons de drague distillées à quelques mois d'intervalle, comme jadis des 45 tours, et dont les mélodies arc-en-ciel n'auraient pas fâché Christophe, Dutronc et Polnareff à leur meilleur. La classe française à l'état pur. Quant aux paroles, faussement uniformes, elle ne souffrent ni d'esprit ni de variété. «Si j'pense à toi, mon amour, à un détail symbolique / J'revois toujours tes dents un peu asymétriques / Ivoire au bords coupants qui m'a vampirisé / Dont je cherche le mordant dans mes nouveaux baisers.» (Eros automatique) Ces curiosités esthétiques annoncent un album pour 2014. Ah! si la pop sexy des dix prochaines années pouvait être secouée par des boys next door aussi emballants qu'Aline et Alister, Damien, Séverin et Lafayette... De l'air, enfin!

Baptiste Vignol

L'invitation de Bertrand Louis


Dans Vibrato, l'émission qui ce mois d'août 2013 dissèque sur Inter la chanson, sa magie, ses métiers, Kent raconte, explique et, parfois, tel Guy Béart, la guitare sur le genou, en pousse une avec conviction; c'est plus fort que lui. Ce lundi 19 août 2013, Vibrato parlait de «Poésie et chanson». De quoi revenir sur Aragon, Ferrat, Baudelaire, Villon, Ferré... Et, pour Kent, d'entonner, en évoquant Léo, C'est extra, le slow de l'été 1969. L'occasion de rappeler combien la version qu'en donnèrent le 3 janvier 1976 Michel Delpech et Claude François demeure la meilleure avec l'originale. Les voix de Michel et Cloclo, leur présence à l'écran, l'aisance tranquille du duo. Quels trentenaires de la Variété pourraient aujourd'hui proposer reprise aussi convaincante de ce standard


Dans son rendez-vous du 19, Kent n'a pas évoqué SANS MOI, le cinquième disque de Bertrand Louis. Et pour cause, l'album ne sortira qu'en octobre 2013. Bertrand Louis y met en musique douze poèmes ténébreux de Philippe Muray (1945-2006), extraits du recueil "Minimum respect" publié en 2003. Un disque jamais noirâtre que Bertrand Louis rend lumineux grâce à des compositions carrées bien qu'ondoyantes. «J'aime la pluie qui disperse les fêtes carnivores / S'il pleuvait de la merde, ce serait mieux encore...» (Ce que j'aime) Les morsures de Murray, leur pouvoir comique, trouvent dans la voix stylée du chanteur un écho étonnant. «La mise en chanson d'un poème est à mes yeux une forme supérieure de la critique poétique, écrivait Aragon en 1961 au dos de la pochette du 33 tours de Ferré, LES CHANSONS D'ARAGON. Elle recrée le poème, elle y choisit, elle donne à un vers une importance, une valeur qu'il n'avait pas, le répète, en fait un refrain. Léo Ferré rend à la poésie un service dont on calcule mal encore la portée, en mettant à disposition du nouveau lecteur, un lecteur d'oreille, la poésie doublée de la magie musicale.» Depuis l'ananar, ils sont rares les compositeurs à avoir déployé autant d'efficacité dans cet exercice d'appropriation. Au final, ces douze chansons inattendues sonnent comme une invitation à découvrir Muray. Costaud.

Baptiste Vignol

Jean-Louis 1er Comte d'Auvergne



La neige tombait en tourmentes. Comme un incendie. Lui, marchait, tête enfouie dans les épaules. On n'y voyait pas à deux mètres. Mais il avançait, dans ce pays, ce mouroir où, depuis quelques lunes, le froid jetait sa couverture. S'il en est un qui méprise les flocons du vedettariat, c'est jlm. Tout à l'écart tient ce crooner à côté duquel «nos» Victorieux sont des chiots. Cette façon d'habiller les mots, d'en rendre les syllabes désirables. Un genre de poète singulier, courtois, sur qui l'époque n'a pas prise. Pour ça qu'il laissera une trace souveraine. Son disque le plus récent, TOBOGGAN, le vingtième de sa collection, séduit par son monde caressant. On y parle de «transhumance», de «gibier», de «froid de loup», de «ciel rougeoyant», de «berger endormi»; on y entend aboyer les chiens, meugler les vaches, siffler le vent... On y brûle d'amour. En prière. «Si tout converge / Vers le ventre des mères / Zigzaguant devant la tanière...» Écouter Jean-Louis Murat, c'est regarder à travers des carreaux fleurdegivrés, près d'une cheminée qui ronfle, le souffle des cieux sans étoiles déchirer en longues plaintes les hauts branchages dans les ténèbres autour d'un lac de volcan (cf. Victor Hugo). Ça transporte. Agite-toi, paysage! Avant l'euphorie des moissons blondissantes, au cœur desquelles, à n'en point douter, jlm sertira quelques nouvelles raretés.

Baptiste Vignol