Fils de


Il y a les pignoufs qui misent tout sur leur coiffure et ne savent plus trop quelle coupe adopter, ni quel(le) guest racoler pour accrocher le public. Il y a aussi les chanteurs cérébraux qui copinent avec la critique à coups d'sms putassiers, genre: «J'écris mon prochain disque. Mes chansons avancent, comme elles peuvent... Te lire chaque semaine dans Télé Match est ma bulle d'air.» Tout ça donnant six mois plus tard dans les colonnes culturelles du canard «le meilleur album de la saison». La vie, c'est simple parfois. Et puis il y a des artistes intègres dont on entend peu la voix. Leurs chansons seraient-elles trop authentiques pour toucher les Morandini de la programmation radiophonique, tout à leur inébranlable bêtise? Le dernier Dorémus, EN TACHYCARDIE, a du cœur. Pas de ressassement ici ni de poses tape-à-l'œil, mais des chansons urbaines, sanguines, aussi belles que Paris quand on la voit s'allumer l'été depuis les marches du Sacré-Cœur dans la nuit tiède et marine. Des chansons qui racontent l'époque, les petites joies et les bonheurs (Marque ton stop que j't'embrasse), les angoisses (20 milligrammes), les relations bancales (Ton petit adultère), les rages, les défaites (Dernièrement) de celles et ceux qui avancent à voix basse, sur qui le temps qui passe finit par peser (La femme de ma vie) et pour qui l'existence n'a rien d'un clip à la con. Pas étonnant qu'Alain Souchon, Francis Cabrel, Renaud ou Maxime Le Forestier trouvent en Benoît Dorémus mieux qu'un épigone. Bêtes à chagrin sur les chanteurs («En public y sont beaux, mais rêve pas / Faut les voir sans fard / Sans musique, sans bravo, sans lumière / Perdus chez Picard / Y en a un chaque semaine, j'le vois et j'me marre») ou Brassens en pleine poire, sur une amoureuse envolée, sont des modèles du genre. Qui collent aux basques.

Baptiste Vignol

Du côté de chez Fred



Son dernier disque en date est sorti fin 2013 dans un silence médiatique incompréhensible — S'enfuir à deux par exemple, Je ris encore ou Les emmerdements avaient tout du single radiophonique, sec et lucide; mais un tube aujourd'hui, c'est forcément un truc mielleux chanté par une Céline Dion ou par un Julien Doré dont on se lasse des simagrées avant même d'avoir terminé l'écoute... Composé de dix chansons à l'étoffe inusable, l'album s'intitulait LA MORSURE — bon titre tant c'est précisément l'effet que procure sa voix juste et sans manière, tranchante comme un canif. S'il s'était adjoint les services de Miossec pour quatre morceaux du CD, c'était pure coquetterie puisque Fred Métayer a l'écriture folk et frondeuse qui colle à son personnage, celui du passager mal à l'aise dans la foule, toujours en partance, et dont les blessures personnelles autant que la rébellion contre une société qui vous broie semblent être le moteur. Ses chansons demeurent donc de courts récits de voyages et d'amours épineuses portées par des musiques assez venteuses et bien gaulées pour échapper à la cuculisation généralisée. Aujourd'hui installé en Tunisie, Fred Métayer explorerait de nouveaux champs musicaux dans un projet dont le nom laisse rêveur: «Couscous pop». Nous patienterons.

Baptiste Vignol


Le chanteur casqué II


«Le fide aurait suffit» gémit Julien Doré dans Sublime et silence, sa toute nouvelle chanson. Le fide? Puis l'on comprend, si l'on est curieux et qu'on cherche les paroles sur internet, qu'il s'agit en réalité du vide! «Le vide aurait suffit.» Ah… Doré souffrirait-il d'un défaut de prononciation? Les mots «ivresse» et «rivière», dans ce même morceau, ne lui posent pourtant pas de difficulté particulière… Allez comprendre. Mais rien ne semble pouvoir se passer de commentaires dans l'œuvre de Julien Doré. Tout parait déborder, en dégoulinade. Éperdument romanesque, cet artiste a le chic de tourner les meilleurs sentiments, comme on le dit des sauces. Si l'on a bien saisi l'affaire, le deuxième extrait de son futur album est une chanson triste. Et c'est drôlement difficile de ne pas pleurer sur les chansons tristes de Julien Doré. Alors on se promet de se retenir, de ne pas chanceler cette fois, d'avoir du caractère. Sauf que voilà, après une minute de lamentations, Julien lâche: «Fiolence et promesse / C'est tout c'que tu détestes / La mort aussi»! C'est vrai quoi, l'inconfénient d'être mort… On dirait du Cioran. Alors on flanche, car c'est plus fort que nous, dans un délicieux fou rire dont même Avec le temps de Léo Ferré ne saurait assécher les larmes. Le génie des boute-en-train. Vivement le clip.

Baptiste Vignol