Trésor d’émotion


Si l’on a pu passer à côté de ses précédents disques pour de mauvaises raisons sans doute (chantés en anglais, encensés avant de paraitre du seul fait de son vénérable patronyme), REST, le premier album « français » de Charlotte Gainsbourg, scintille du charme inattendu d’un bijou rose chair et noir. Drapée d'harmonieuses boucles musicales conçues par SebastiAn, l’écriture de Charlotte Gainsbourg recèle tant de droiture et de liberté, de faculté à se livrer, qu’elle lui permet, en un seul disque, et trois immenses chansons, d’intégrer le club très select des reines de la variété française. 
Souvenons-nous de cet échange dans Charlotte forever, ce duo qui fit scandale à sa sortie en 1986 (« Petit papa j’ai peur / De goûter ta saveur… ») lorsque l'adolescente avait à peine la quinzaine.
« Serge Gainsbourg — Charlotte...
Chœurs — Charlotte forever... 
Charlotte Gainsbourg — De moi tu es l’auteur... » 
Ce à quoi l’auguste paternel répliquait, fouettard: « — Charlotte... Es-tu à la hauteur ? ».
Désormais, la réponse ne fait aucun doute. Car l’amour d’une fille pour son père n’avait jamais été chanté avec tant de vérité crue que dans Lying with you, ce chef-d'œuvre de provocation où la jeune femme découvre le corps sans vie de son géniteur : «Ta jambe nue sortait du drap / Sans pudeur et le sang froid / Au coin de la bouche, une trainée / Tu n'aurais pas aimé / J'étais allongée contre toi / J'ai pris ce droit, sans foi...» Dans Kate, Charlotte s’adresse à sa grande sœur et c’est d’une mélancolie pure, belle à pleurer. Avec I’m a lie enfin, elle s’adonne à l’autoportrait, sans fard ni secret espoir de séduire: « Je bois mon embarras / Dans la cuvette des chiottes… ». 
Charlotte Gainsbourg n’écrit ni ne chante pour parader. Dans une solitude d’encre, elle semble ici avoir exprimé ce qu’elle est, sans obscurités ni tics. Et cette impudeur foudroyante change un peu, il faut dire, de la cuculisation généralisée.

Baptiste Vignol


Banana Blitz


Mieux vaut une Victoire d’honneur que pas de Victoire du tout. Si Étienne Daho ne figurait pas dans la liste des chanteurs concourant aux prochaines Victoires de la Musique, c’est qu’il avait été décidé, en accord avec l’artiste, qu’il lui serait décerné une Victoire d’honneur. Pour expliquer ce choix, la présidente de la cérémonie, Natacha Krantz-Gobbi – elle est par ailleurs, ça tombe bien, la patronne de Mercury, le label de l’ancienne idole des années 80/90 – juge bon de préciser dans un communiqué de presse: « Étienne Daho est iconique et adoré par tous. Sa gentillesse et son élégance en font un artiste à part. » Il faut donc être très, très gentil pour recevoir une Victoire d’Honneur... Il fallait surtout, semble-t-il, en passer par ce micmac pour que d’une façon ou d’une autre, le « Pape de la pop », ainsi que l’a récemment surnommé une certaine presse parisiano-parisienne, soit glorifié dans ce ramdam télévisé. Avec probablement l’idée de relancer un album qui ne s’est écoulé, malgré les fêtes de Noël, qu’à 55.000 exemplaires, quand le disque de Louane (sur lequel se trouvent des chansons signées Benjamin Biolay, Julien Doré et Vianney), sorti comme BLITZ fin novembre 2017, a déjà séduit 250.000 fans. Une Victoire d’Honneur donc. Après tout, pourquoi pas? Si cela peut lui faire plaisir… Pourtant, s’il y avait une urgence à honorer quelques sommités de la variété française, il faudrait plutôt songer à Vline Buggy, Boris Bergman, Jean-Michel Rivat, Didier Barbelivien, Maurice Pon, David McNeil, Claude Lemesle ou Jean-Max-Rivière par exemple, tous auteurs de davantage de succès populaires que n’en compte Étienne dont le dernier hit remonte à l’an 2000. Ça date.

Baptiste Vignol



Selon que vous serez...


Insupportable. Et cruelle. Même pas odieuse… Suffisante. Creuse aussi. Et pénible. Arrogante? Non: fate. Vaine enfin, n'ayant pas la force de se taire… Voilà Christine Angot. Qui devrait vivre à voix basse. Cette romancière inutile, sans trouvailles d’expression, sans mots, jamais, qui peindraient mieux la chose, est une chroniqueuse prévisible. Longue. Froide. Plate. Et gercée. Aucun volume de sa bibliographie ne vaudra jamais cette petite chanson bien écrite qu’est Mon fils est parti au djihad sur laquelle l'hyène brune a pourtant cru malin de s’acharner. Christine Angot n’est bonne qu’à se pâmer devant Carla Bruni et son disque de reprises oiseuses. Elle doit avoir ses raisons. En vérité, cette femme ne voit pas les choses comme elles sont, mais comme elle est, vicieuse et avariée. Ils finiront bientôt par lui jeter des cacahuètes.

Baptiste Vignol

Cover-girls


Leur reprise érotique et moite de Ma Benz d’NTM en 2010 (cinq millions de vues sur Youtube) aura donc été leur coup de maitre. Depuis, Brigitte, ce duo composé de Sylvie Hoarau et d’Aurélie Saada, a pondu quelques disques et projets musicaux largement surcotés. Suffisamment en tout cas pour pousser le chaland à s’en munir et passer à la caisse – et les voir, note Wikipedia (quand on n’a pas grand chose à dire d’un groupe, on choppe des infos sur Wiki), faites Chevaliers de l’ordre des Arts et des Lettres ! Sans dèc. Enregistré à Los Angeles par Jaime Sickora (qui œuvra, trouve-t-on sur le toile, pour Alice Cooper, Paul McCartney et Coldplay) NUES est donc leur troisième album studio. Et ce titre aguicheur ne leur aura pas porté chance. À peine trente mille disques vendus depuis sa sortie, mi-novembre. C’est le label Columbia qui ne doit pas être content. Faut-il s’étonner de cette indifférence? Entre une chanson sur Paris («Je suis ta gonzesse, t’es mon drapeau»), le portrait raté de Zelda Fitzgerald (quarante ans après le chef-d'œuvre d’Yves Simon), une énième prière contre les affres de l’insomnie (à quoi bon après Barbara?) et quelques complaintes amoureuses («Viens, on pleure, on pissera moins…» dans Palladium, la classe), l’ensemble s'avère d’un gnangnan vertigineux, mielleux, impudique parfois. Ça miaule pas mal, ça glousse aussi, ça grogne un peu et ça ne justifie jamais le fait que ce soit couiné à deux voix. Il faut lire en revanche la liste des personnalités « remerciées » par Brigitte dans le livret! Un vrai bottin mondain. De Patrick Bruel à Keren Ann en passant par Cécile Cassel, Soko, Amanda Sthers, Joey Starr ou... Laeticia et Johnny Hallyday! « Taper où l’on peut taper » disait Roda-Gil. Oui mais là, c’est gros doigt.

Baptiste Vignol

Ainsi va la variété


Michel Drucker — Pour ce premier dimanche de l'année 2018, je reçois…
Acclamations.
Michel Drucker. — … Grégoire!
Applaudissements.
Michel Drucker. — Grégoire, bonjour.
Rires.
Grégoire. — Bonjour, Michel!
Applaudissements.
Michel Drucker. – Alors, Grégoire…
Grégoire. — Oui, Michel.
Rires.
Michel Drucker. — Comment ça va?
Applaudissements.
Grégoire. — Comment ça ne pourrait ne pas aller, avec un public comme ça?
Acclamations et rires.
Michel Drucker. — Grégoire, en 2009, le 22 novembre précisément, ce grand auteur-compositeur-interprète qu’est Benjamin Biolay nous avait fait la joie et l’honneur…
Sifflets, huées et pouces baissés dans le public.
Michel Drucker. — … de venir ici, invité par Stéphane Bern, chanter au piano, Ton héritage, cette superbe chanson, qui s’adressait à sa fille…
Grégoire. — J’adore Benjamin Biolay.
Acclamations, cris et applaudissements.
Michel Drucker. — Et ta nouvelle chanson – pardon, je t'ai tutoyé! Mais on se connait bien avec Grégoire... Ta nouvelle chanson, donc, Mes enfants, bien qu’elle porte ta signature – et quelle signature !– semble poursuivre celle de Benjamin. Alors, pour éteindre toute polémique, faut-il y voir aussi un hommage aux grandes chansons sur le thème de la paternité, comme Mistral Gagnant, de Renaud – que je salue, puisqu'il nous regarde?
Grégoire. — Vous savez, Michel, les chansons ne vous appartiennent jamais tout à fait et...
Michel Drucker. — Comme tu dis! Cette chanson, tu vas nous la chanter maintenant!
Grégoire. — Oui, Michel.
Michel Drucker. — Après, on parlera d’Oasis.
Applaudissements, acclamations, pleurs.
Grégoire. — Un groupe que j’adore.
Michel Drucker. — On écoute ta chanson et on en reparle après.
Grégoire. — Avec plaisir, Michel.
Applaudissements

(Échange imaginaire librement inspiré d'un dialogue entre Michel Drucker et Hélène Segara rapporté en 2001 par Patrick Besson dans sa chronique «Le Plateau télé» que publiait alors Le Figaro magazine.)