L'insignifiance, la perfection


Hier 28 janvier, ils dévoilaient chacun un extrait de leurs prochains albums. Chez Keith et Anita pour Carla B, Over and over pour JLM, jadis duettistes sur Ce que tu désires (MOCKBA, 2005). Grotesque retour pour la première. Une vidéo la montre chantonner sans casque en studio, histoire d'arborer sa chevelure d'ancienne beauté des podiums? Genre. La voix qui fait de petites façons, qui minaude. L'insignifiance du texte, la mélodie passe-partout, les arrangements gros doigts... Patauger de la sorte avec d'aussi bons musiciens, c'est prouesse. Les fréquentations de Carlita n'auront donc pas épaissi son inspiration. Flouera-t-elle le public de Michel Drucker? Duperie d'un moment. En comparaison, mademoiselle Shy'm fait dans la grande variété. Côté Murat, Over and over - qu'on peut traduire par «sans cesse» en français - questionne et obnubile, promettant comme de coutume un disque aussi stimulant qu'un piqué schuss sur une piste de toboggan.

Baptiste Vignol

Intemporelle Hardy

La chanson compte-t-elle artiste à la discographie plus impressionnante que celle de Françoise Hardy? Depuis 1962, elle incarne jusqu'à Buenos Aires ou Tokyo l'élégance française. Son vingt-septième album figure parmi ses meilleurs. La plus respectée des chanteuses européennes répond ici à quelques questions naïves nées pendant l'écoute des 10 morceaux qui composent L'AMOUR FOU.


La première chanson, L'Amour Fou (2'29), comporte des parties parlées. L'envie de vous entendre lire! Pourrait-on imaginer que vous sortiez votre roman, "L'Amour fou", en livre audio et que ce soit vous qui le disiez?
Françoise Hardy - On vient de m'adresser une demande en ce sens. J'hésite beaucoup...

Cette chanson très intrigante a-t-elle pris sa source dans un film, un roman? 
- Pas particulièrement mais j'étais sans nul doute influencée par la littérature anglaise du dix-neuvième siècle dont je ne me lasse pas.

De quoi s'inspire la deuxième plage du disque, Les Fous de Bassan (3'48)? 
- De faits divers comme celui de la petite Laëtitia [jeune femme de 18 ans retrouvée morte étranglée dans un étang entre Nantes et Saint-Nazaire en janvier 2011]. Peu avant de m'attaquer à cette mélodie, j'avais vu un documentaire sur la mer du Nord avec ces oiseaux, les Fous de Bassan, que je ne connaissais pas et qui m'ont fait horreur. Je les ai donc utilisés comme un symbole de ce qui est effrayant et repoussant sur terre.

Pourriez-vous faire un zoom sur l'héroïne de Mal au cœur (3'09)? 
- C'est un texte autobiographique d'une femme âgée qui se trouve à l'hôpital aux portes de la mort et perd un peu la raison : elle confond le passé et le présent, le rêve et la réalité... Elle a peur aussi et tente de se raccrocher au médecin et à la religieuse qui viennent la voir...


«Lorsque je vous vois, je tressaille: / C'est ma joie et c'est mon souci.» Des millions d'amoureux se reconnaîtront dans ces deux vers. Comment Si vous n'avez rien à me dire (3'44), poème de Victor Hugo idéalement mis en musique par Bertrand Pierre, vous est-il parvenu? 
- À de rares exceptions près (quelques poèmes de Musset, Verlaine, Baudelaire), la poésie ne me touche pas ni ne m'intéresse. Je n'en lis jamais. Je préfère de loin les grands textes de chansons. C'est Bertrand Pierre lui-même qui m'a envoyé cette chanson dans sa propre version enregistrée. J'ai horreur en général des albums de poèmes mis en musique, et ne connais pas le sien. Malgré quelques images très inspirées, la poésie de Victor Hugo ne m'a jamais intéressée, encore moins ses pièces et ses romans. Même le personnage, beaucoup trop prolifique, ne m'attire pas. Mais à cause de son extrême simplicité, ce poème est justement beaucoup plus proche d'un texte de chanson que d'un poème et la musique de Bertrand Pierre le met en valeur.

L'honnêteté oblige à dire la vérité. Normandia (4'56) pâtit de paroles qui ne sont pas à votre hauteur. «L'encre bleue des amants »... Vous qui êtes capable de dureté dans vos jugements, auriez-vous trop de tendresse pour Julien Doré pour avoir eu envie de revoir son texte? 
- Julien Doré a un style près particulier, une écriture et un univers très personnels, bien plus lyriques, poétiques, originaux que les miens. Je suis précise, concise, logique, et on m'a souvent reproché de manquer d'imagination, ce qui est tout à fait vrai, et c'est pourquoi j'ai trouvé préférable d'emprunter celle, insaisissable et parfois fantasque, de Julien Doré. Mais Julien Clerc qui a chanté les textes lyriques et tout aussi étranges de Roda-Gil aurait sans doute été un meilleur interprète que moi, encore que je sois enchantée du résultat final et ne regrette rien, bien au contraire.

«Dernier bis / Dernier rappel»... L'intro de Piano bar (3'29) fait sourire quand on sait que vous n'êtes plus montée sur scène depuis 1968. Vous qui êtes cinéphile, quel visage d'acteur pourrions-nous mettre sur l'«ange tombé du ciel» dont vous parlez ici?
- Alain Delon, Jacques Dutronc, David Bowie ou Mick Jagger jeunes.


Puisque nous évoquons la scène, y a-t-il un concert que vous ayez donné et dont vous gardez un souvenir magnifique, de communion avec le public?
- Non. Car même quand on a cette impression, elle s'avère en général n'être qu'une illusion très subjective. Comme en amour où ce qu'éprouve l'un est la plupart du temps à des années-lumière de ce qu'éprouve l'autre - sauf qu'aucun des deux n'en a une conscience suffisante.

Vous êtes nominée aux Victoires de la Musique... 
- Je ne m'y attendais pas et cela m'a fait très plaisir, car l'appréciation des gens du métier m'importe tout autant que celle du public. Et bien sûr la perspective de me retrouver à cette cérémonie avec mon grand Tom dont le spectacle est tellement génial m'emplit de joie.

Parmi les artistes nominées avec vous, laquelle aurait votre préférence?
- Céline Dion pour la voix, Lou Doillon pour le charisme et l'intelligence, la Grande Sophie pour son talent de mélodiste, d'auteur et de réalisatrice.

Revenons à L'AMOUR FOU. Ceux qui connaissent la Chanson apprécient Guy Béart, ils ont donc vu le lien entre Pourquoi vous (3'31) et Vous, ce bijou qu'il avait enregistrée en 1958. Est-il au courant?
- Il n'est pas au courant. Ce n'est pas quelqu'un qui humainement m'intéresse et je ne lui ai donc rien envoyé. J'ai simplement découvert assez récemment un document où je chantais sa chanson en live  [pour le voir, cliquer ici] - il y a des années de ça. Ce qui me l'a remise en mémoire.


«Mieux valent les miettes qu'il lui laisse...» (Soie et fourrures, 3'33) Aviez-vous déjà de la sorte décrit la solitude dans tout ce qu'elle a d'insupportable?
- Sûrement, oui. La solitude est le prix à payer pour la liberté et l'indépendance. Mais la solitude subie n'est pas la même que la solitude voulue, même si l'on est toujours inconsciemment complice des situations dont on se plaint.

Dans L'Enfer et le Paradis (4'05), vous employez le vousoiement pour vous adresser à l'être aimé...
-Vous sonne mieux que tu.

Qu'il est agréable enfin de vous entendre à nouveau accompagnée d'une guitare! Qui est François Maurin, le compositeur de Rendez-vous dans une autre vie(3'51)? 
- Un jeune musicien qui a eu un groupe dont j'ai oublié le nom. La mélodie m'avait été envoyée par Virgin il y a plusieurs années mais le moment n'était pas venu pour moi d'écrire un texte dessus.

Dites, ce ne sera pas la dernière chanson de votre répertoire? 
- Comment savoir?

(entretien Baptiste Vignol)

Le scoop sans intérêt


Depuis quelques jours, certains polichinelles tentent de faire de la sortie du prochain disque de Carla Bruni, dont on connait déjà le titre, LITTLE FRENCH SONGS, l'événement 2013. L'album contiendrait même une chanson qui réglerait leur compte aux méchants journalistes qui ont gâché la vie de l'ancienne égérie des Inrocks et de son mari. De quoi faire monter la fièvre? Et l'on annonce aussi que la jeune maman s'est séparé de son label historique, non?, Naïve - comme si cela intéressait le grand public, cette entité qui depuis bien longtemps se désintéresse de Carla Bruni-, son quatrième album étant donc vaguement programmé quelque part «au printemps» sous de nouvelles couleurs. Tatatssin...


Puisque ce secret d'écurie taraude les mélomanes de l'UMP, lâchons la bombe en ce début de matinée du 16 janvier 2013: il sera commercialisé le 1er avril chez Barclay. Plaisanterie?

Baptiste Vignol

Savoir dire Adieu


Quelques mois avant la sortie d'un nouvel album qui serait en 2012 porté aux nues par la critique, une figure de la Variété expliquait à quelques amis que les concerts lui sont devenus une «corvée», que son public est «laid et vieillissant», qu'il lui inspire même «du mépris», concluant qu'«ayant mieux à faire que chanter pour ces cons», elle se demandait s'il lui fallait encore prendre la route, cette «longue route» dont parlait Barbara dans Ma plus belle histoire d'amour. Confidence ou provocation? Des propos iconoclastes qui donnent à l'artiste une épaisseur inattendue. Ricet Barrier et Jean-Claude Darnal (que Boris Vian adorait, mais l'on s'égare) racontaient en rigolant combien Jacques Brel, avec lequel ils partageait l'affiche à la fin des années 50, pouvait être rosse envers son public.  «Qu'est-ce qu'ils sont cons ce soir!», leur soufflait-il parfois, exténué, en sortant de scène, ne répondant jamais aux rappels. «Demande-t-on à deux boxeurs qui s'en sont mis plein la gueule pendant quinze rounds d'en faire un petit seizième pour contenter les spectateurs?» Mais l'homme qui créa Amsterdam, Mathilde, Les Bourgeois, La Chanson des Vieux amants, Le Plat pays, La Fanette, Ces gens-là, Quand on n'a que l'amour et Ne me quitte pas, parmi tant d'autres uppercuts, eut l'honnêteté de quitter le ring à 36 ans. Définitivement. Quel âge accuse cette vedette de la chanson contemporaine? Elle est déjà plus vieille que Jacques Brel lorsqu'il fit ses adieux à l'Olympia fin 1966. Ça calme.

Baptiste Vignol

Fascination


Ainsi donc Bertrand Cantat chantait avec Shaka Ponk ce samedi 5 janvier 2013 à Bercy, et cela, pour Emmanuel "Moi Je" Marolle, constituait le clou de la soirée par laquelle s'achevait la tournée triomphale d'un groupe qui fait depuis plusieurs mois sensation. «Cantat en invité ce soir» avertissait le franc-tireur dans un encadré du Parisien, soulignant sur sa page facebook, pour qui ne lirait pas le quotidien dans lequel il s'épanche, «Bertrand Cantat sera sur scène avec Shaka Ponk ce soir à Bercy pour plusieurs titres». Un scoop sobrement commenté sur facebook par une seule réaction, restée lettre morte : «À peu près aussi réjouissant que si Mark Chapman, libéré, dédicaçait son autobiographie dans une librairie de l'Upper East Side.» Mais visiblement Marolle est une groupie du Bordelais; ne se vantait-il pas sur son blog en juin 2011 avec un titre ronflant : «J'ai serré la main de Bertrand Cantat»? Cette main couverte de sang. Quand «J'ai salué Bertrand Cantat» aurait amplement suffi.
Question embarrassante: si l'ancien chanteur de Noir Désir n'était pas un assassin, susciterait-il pareille fascination chez le journaliste? Et question qui s'impose après la cascade de tweets postée hier par Marolle pendant le concert et l'article qu'il publie ce dimanche matin, vidéo à l'appui, à propos d'une interprétation criarde d'Avec le temps que Cantat exécute en rappels du show mais que l'infatigable Marolle, lui, juge intense et magnétique. Les goûts et les couleurs. «Le choix de cette reprise de Léo Ferré en gênera quelques-uns, croit-il alors bon de préciser. Drôle d'écho à l'affaire Trintignant...» Là, Marolle dépasse les bornes. Son «quelques-uns» n'est pas seulement de trop dans toute sa condescendance, il est insupportable, autant que la scandaleuse légèreté avec laquelle il évoque en trois mots le drame dont Marie Trintignant fut la victime. «Les 15.000 spectateurs de Bercy n'en étaient pas là, conclut-il par surcroît, trop contents d'assister à un instant musical magique.» Dis Marolle, la main de Roman Kolinka dans ta gueule, tu la cherches ou quoi?

Baptiste Vignol