La prière d'Emily


Ce mercredi 27 février 2019, la température moyenne en France atteignait 21,3°C. Jamais il n’avait fait si chaud en plein cœur de l’hiver. Pendant ce temps, les présentateurs météo se réjouissent chaque matin qu’il fasse beau, atrocement chaud, et s’excusent presque quand le mercure descend. Alors qu’il devrait geler. Leur sourire bêta symbolise en quelque sorte ce sentiment bizarre et général qu’il faudrait s'enchanter du climat qui débloque, courir à la plage, chausser nos tongs en plastique, déjeuner en terrasse – c’est si cool, en cette saison... Et puis c'est toujours ça de pris! La Terre crame, la planète se noie, les coquelicots ne poussent plus au printemps, mais neuf humains sur dix s’en cognent. Dans cet affolant chambardement, à la demande de l'écrivain-journaliste Fabrice Nicolino du mouvement «Nous voulons des coquelicots», Emily Loizeau, qu’on n’avait plus connue aussi simple et nature depuis L’autre bout du monde, vient d’enregistrer une chanson (Viens avec moi mon vieux pays) mise en images par Cyril Dion, dont l’écologie est le combat. Double réussite. Qui dit les choses intuitivement. En filmant avec force l’émouvante espérance dans le regard des enfants. Les pesticides sont des poisons et nos gamins en crèveront, tous. A moins que l’homme ne prenne miraculeusement sa survie en main. C’est l’appel d’Emily: «Viens avec moi mon vieux pays, quand tu te lèves, le jour se lève aussi… » Il y a là beaucoup de naïveté, sûrement, mais le tableau que dépeint cette supplique est d’une exactitude dépourvue d’ornements. D’où sa fraicheur bienvenue. Et salutaire.

Baptiste Vignol


Saintes Victoires


Une semaine après la cérémonie des Victoires de la Musique qui s’est tenue le 8 février 2019, le top des ventes (du 8 au 14 février) montrait quels étaient les rares artistes à avoir «profité » de ce rendez-vous qui connut ce soir-là un flop historique d’audience avec à peine deux millions de téléspectateurs. Commençons par l'idole, Angèle (primée pour l'«Album révélation» et le «Clip de l'année»), dont les ventes progressèrent tranquillement de 36%, passant de 9.212 BROL écoulés la semaine précédente (du 1er au 7 février) à 12.454. Elle est depuis longtemps multi disques d'or en francophonie. Quant aux autres grands vainqueurs, Bigflo & Oli (Victoires des «Artistes masculins de l’année» et du «disque de musique urbaine»), ils sont montés de la 14ème à la 8ème place du classement, avec 7.196 LA VIE DE RÊVE contre 3.949 huit jours auparavant. La vraie gagnante de la soirée étant cependant Clara Luciani. Portée par la Victoire de la «Révélation scène», elle s’est hissée de la 50ème à la 11ème place du Top avec 5.075 SAINTE VICTOIRE (+255%) contre 1.429 une semaine plus tôt. Progression logique vue l’irrésistible prestation que la chanteuse donna ce soir-là et qui laisse à penser qu'en repartant bredouille, elle aurait tout pareillement marqué les esprits. Jeanne Added enfin, lauréate des Victoires de l’«artiste féminine» et de l’«album rock», a pu voir RADIATE jumper du 109ème au 21ème rang du Top avec 4.009 passages en caisse, contre 644.
Tout ça pour, en gros, vendre trois mille CD. C’est pas bézef, mais c'est ce que pèse aujourd’hui le fait d’être honoré dans l’une des catégories reines de la compétition, parce qu’avec son trophée du meilleur album de «musique du monde», Camelia Jordana ne pointe qu'à la 139ème place du Top avec 499 LOST… De quoi se sentir perdu, en effet. 
Devant une telle débâcle, quelques questions surnagent encore. Ne faudrait-il pas une bonne fois pour toutes revoir l’animation de cette grand-messe, sa programmation musicale, le modèle des catégories en lice? Serait-il possible de savoir qui sont les six cent membres de l’«Académie» qui décident des nominations? Qu’ont-ils donc fait pour la musique en général qui leur donne ainsi le droit de désigner les artistes de l’année? Quand il y a tant d’auteurs à succès, de compositeurs et d’arrangeurs renommés auxquels bizarrement on ne demande pas de voter... Et puis, faut-il continuer de mettre en lumière des albums en langue étrangère? Aïe. Le simple fait de poser la question vous range parmi les grincheux, les réacs de service. Mais pourtant ! Est-ce juste, logique, censé? Quand les dialectes de la francophonie, cajun, créoles, régionaux, sont bâillonnés. Jeanne Added est une merveilleuse musicienne, qui chante divinement. Avec RADIATE, entièrement interprété dans la langue de Lady Gaga, elle a remporté la plus prestigieuse des récompenses, celle de l’Artiste de l’année. Faudra-t-il désormais réduire la variété française à ce qu'elle n'est pas, un sous-art qui nourrirait des complexes linguistiques? Sérieusement, si des Victoires revenaient à Juliette Armanet pour um recorde chanté en portugais, à Julien Doré pour un ディスク en japonais, à Katerine pour ein rekord en allemand, chacun s'esclafferait. Serait-ce moins grotesque pour un Long Playing en anglais? Les rappeurs ne complexent pas, eux. Pas plus qu'Aya Nakamura. Ils s'expriment dans leur langue maternelle, qu'ils défendent de fait, popularisent ses richesses, ses trouvailles et cartonnent comme jamais. Avec ou sans Victoires en porte-clefs.

Baptiste Vignol


Liverpuldien


L’envol des chœurs féminins, l'éclat mélodique, les refrains fougueux qui giclent, s’embrasent et décollent, les couplets qui chaloupent. La réalisation audacieuse (et sophistiquée), les arrangements soigneux (mais truculents), les variations chevaleresques. Les chansons qui se brisent, tombent en avalanche, rebondissent et scintillent en phosphorescences ironiques. La batterie de Sylvain Joasson qui ne casse jamais les oreilles ni ne «variétise» l'ensemble comme c’est une maladie dans la production française. Le saxo qui zèbre, la basse qui groove, l’interprétation qui captive, ardente et jette des clartés fantastiques. Les glissades féériques, soudaines, qui décoiffent et toujours débouchent sur une pochette-surprise… Olivier Marguerit est un pur songwriter. Il invente, évite le format classique de la ritournelle qui s’enlise de couplets mollassons en refrains prévisibles. Il propose des compositions flamboyantes, inattendues, dignes des trésors de Neil Finn et de Fyfe Dangerfield. Ce disque est une leçon, qui montre une chanson libérée, qui s'est extirpé de son canapé, a traversé son salon, ouvert la porte d’entrée et pieds nus tenté l'aventure. A TERRE ! est un disque rare sur le vertige amoureux, la dégringolade (En chute libre, ce bijou), la perte d’équilibre. Un disque fou. Renversant. «Accroche-toi mon chou, reste avec nous !»

Baptiste Vignol


Sous leur sein, la grenade


Ce qui est chouette aujourd’hui, c’est qu’avec internet, on peut regarder, en les survolant, les émissions qu’on n’a plus envie de se fader en direct parce que trop de longueurs, trop d'entre-soi, trop de mauvais goût, trop de gras, trop d’oublis, trop de sketchs pourris, trop de Daphné Burki. La 34ème édition des Victoires de la Musique était diffusée hier soir, vendredi 9 février. Et il fallait, selon le site de France•tv, 207 minutes pour engloutir cette plâtrée d'aligot. Merci bien… En un quart d’heure ce matin, souris à la main, d’un coup de balayage rapide, l’essentiel fut visionné en replay. Un quart d'heure à peine pour goûter trois tempéraments, trois natures, trois incandescences. Angèle, en anorak (24’25), Christine en Pierrot de Lune (58’00) et Clara Luciani (2h22’28), l’élégance française à son zénith (gestuelle, voix, regard, recul sur elle-même que paraphe son sourire…). Ces trois jeunes femmes sont l’avenir, cette promesse aux mains pleines. Elles sont le renouveau de l'air qu'on respire. Le feu qui flamboie. Elles montrent aussi, sans le vouloir bien sûr, combien Vanessa Paradis (42’00) et Etienne Daho (1h21’05) symbolisent désormais ce que fut la pop d'avant. Un truc qu’on a aimé, oui, mais qui, parfois, fane mal.

Baptiste Vignol