Des airs d'accordéon, minces comme des fumées de cigarettes*...



Rayon rengaine, variète et rock’n’pop, le blog de Philippe Barbot se pose là. C’est un incontournable. Une mine dans laquelle il fait bon se perdre. Un catalogue d’articles comme on n’en trouve plus guère dans la presse en papier. Car Barbot est un passionné, qui ne laisse rien passer. Pourtant, dans l’un de ses derniers billets, “Yoanna et Zaza, vive l’accordéon!”, il écrit à propos du piano à bretelles: “L’instrument à soufflet n’est plus ringard, il est devenu un must dans la chanson française. Le virage s’est négocié grâce à des groupes néo-réalistes comme Pigalle, les Rêtes Raides ou la Tordue, ou un artiste inclassable comme Nano (avant c’est vrai, rappelle Barbot, il y avait Gérard Blanchard, avec son tube Rocamadour (sic)”. Avec un K, Rock Amadour! C’était en 1982.
C’est oublier, et c’est injuste, qu’avant ce hit, un certain Renaud avait remis l’accordéon à la mode. Présent dans tous ses disques (le premier date de 1975, AMOUREUX DE PANAME), le parisien en a même fait le pilier de son tour de chant consacré au répertoire réaliste (30 ans avant Patrick Bruel): LE P’TIT BAL DU SAMEDI SOIR (1981). Pour l’occasion, Renaud était accompagné par l’immense Joss Baselli, l’accordéoniste de Patachou, Barbara, Bourvil, Colette Renard, Serge Reggiani… Renaud, dont Yoanna reprend aujourd’hui Où c’est qu’j’ai mis mon flingue avec une candeur assassine, toute nue derrière son accordéon. Le bel hommage.

Baptiste Vignol

*Léon-Paul Fargue, Le Piéton de Paris.

Le blog de Philippe Barbot

Sur le trône


Dans les toilettes d’un café […]/ Je lis quelques graffitis” (French graffiti) chantait Jane Birkin en 1975, quand elle se contentait d’être interprète, sur un texte de Phillipe Labro mis en musique par Serge Gainsbourg.
Les latrines, en effet, se retrouvent à la source de couplets croustillants! Du French graffiti de Jane B. à la Fontaine de Duchamp; des scatologies de Topor chantées par Hadji-Lazaro aux rêveries torcheculatives de Théophile Gautier (“J’enviais le sort de ce papier, qui avait traversé ce fauve entrefesson, frôlé ce boyau culier, effleuré ces badigoinces couleur de chocolat…” Lettre à La Présidente, 1850); d’Une sale histoire de Jean Eustache aux délires de Dali (“J’ai découvert que le moment le plus important dans la vie, c’est le moment de l’excrétion…”); du “petit pavillon” de Marcel Proust, dégageant “une fraiche odeur de renfermé qui, […] me pénétra d’un plaisir non pas de la même espèce que les autres” (À l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1918) aux selles de James Joyce (Ulysse, 1929); du cliché de Toulouse-Lautrec déféquant au petit matin sur une plage d’Arcachon aux photos d’Hermut Newton, de Jeanloup Sieff, de Jean-François Jonvelle, de Brassaï ou de Jacques Henri Lartigue; d’innombrables artistes ont fait des toilettes un décor.
“Lieu de solitude, de plaisir, de jouissance, de relâchement, d’intimité et d’exclusion, les cabinets sont l’endroit-refuge par excellence, comme la cabane en bois de son enfance, où, seul face à soi, on échappe au regard des autres” écrit Isabelle Monroszier dans Où sont les toilettes? À condition d’en avoir…
Jean-Jacques Rousseau reconnaissait “s’y oublier à la réflexion des heures entières”. Le président Poincarré convint d’y avoir dévoré la volumineuse Histoire du Consulat et de l’Empire. Et Reiser affirmait qu’“il n’y a qu’aux chiottes qu’on est tranquille.” Ce sur quoi, pour revenir à la chanson, Vincent Baguian renchérit: “Un parfum de brise marine/ Vient me chatouiller les narines/ Et tout nu loin des convenances/ J’ai l’impression d’être en vacances” (Un petit coin tranquille, 2000).
Le XXème siècle avait fait des cabinets un “petit coin” honteux, sale et dégradant. Que l’être humain ne saurait éviter (un individu normalement constitué y siège jusqu’à 3% de son temps. Et cette besogne l’accapare tant qu’à la fin de son existence, il y aura purgé deux années de sa vie. “Cet havre de paix est un endroit béni/ Le seul lieu où la matière passe avant l’esprit/ Le seul lieu où l’on est encore en liberté/ Quand la nature ordonn’, plus d’responsabilités!” rappelle Ricet Barrier, Aux chiottes, 2005). Le XXIème a, semble-t-il, cessé ces pudibonderies. L’ONU célèbrait hier, mercredi 19 novembre, la 3ème Journée mondiale des toilettes. Parce qu’elles représentent un véritable enjeu de santé publique, à l’origine de millions de décès chaque année, 40% de la population mondiale, n’ayant pas d’installations correctes!
En France, il n’y a pas si longtemps, des centaines de milliers de foyers, d’immeubles et de maisons borgnes ne disposaient pas de toilettes. Dans une chanson qui deviendrait l’un des phares de son répertoire, Charles Trenet, avant guerre, s’amusait de cette absence commune de commodités: “Dans un petit hôtel tout près de la rue Delambre/ Y a pas l’eau courante et pour faire pipi/ C’est au fond d’la cour/ Mais là-bas y a pas de lumière…” (Mam’zelle Clio, 1939). Avant que le tout-à-l’égout ne s’imposât aux centres-villes, on faisait à ciel ouvert et l’on vidait son pot de chambre par la fenêtre en criant: “Gare l’eau!” Il régnait alors à Paris une odeur pestilentielle que Patrick Süskind sut exhaler dans Le Parfum: “À l’époque dont nous parlons, il régnait dans les villes une puanteur à peine imaginable pour les modernes que nous sommes. Les rues puaient le fumier, les arrières-cours puaient l’urine, […] les chambres à coucher puaient les draps graisseux, les courtepointes moites et le remugle âcre des pots de chambre.”
Le préfet de Seine Rambuteau entreprit d’importants travaux d’assainissement, inventant les vespasiennes notamment – d’après l’empereur Vespasien à qui l’on attribue l’établissement d’urinoirs publics à Rome. Mais devenant au fil du temps des lieux de rencontre ambigus, ces édicules malodorants furent peu à peu remplacés par des bunkers moins tentants: “Au détour d’une ruelle/ Serrant les fesses, il aperçut/ Oh non l’aubaine était trop belle/ Mais si! un chiotte Decaux en vue” (Blues intestinal, VRP, 1989).
Quant aux excréments, ils s’amassent en tonnes dans les stations d’épuration. Celle d’Achères, près de Saint-Germain-en-Laye, est l’une des plus importantes d’Europe. “Elle attise la haine de plus de 100.000 riverains gênés à longueur d’année par la pestilence de ses cuves nauséabondes, de ses bassins de traitement et de ses champs d’épandage, explique Martin Monestier. Certains jours, selon la direction des vents, les riverains les plus proches s’enferment chez eux pour tenter d’échapper partiellement aux odeurs d’égout et œuf caractéristiques de l’hydrogène sulfureux.” (Histoire et bizarreries sociales des excréments, 1997)
Devant les eaux stagnantes/ Je me sentais vivante/ Dans l’odeur de moisi/ Je me trouvais jolie” s'enthousiasme Jeanne Cherhal dans La station (2004).
Si des spécialistes s’alarment de l’augmentation des troubles respiratoires autour des centres d’épuration, ces stations peuvent aussi provoquer la mélancolie! Il faut, pour en connaître la raison, écouter la chanteuse relater avec nostalgie ses promenades dominicales “dans l’inquiétant palais” dont son père “possédait les clefs”. “Je n’allais pas, enfant/ Regarder l’océan/ Pour dans l’azur me perdre/ Mais au bord de la merde”. L’enfance, c’est le point d’eau. On y revient toujours.
38 milliards de dollars. C’est la somme qu’il faudrait investir, selon les Nations Unies, pour réduire de moitié le nombre de personnes (2,6 milliards d'êtres humains) n’ayant pas accès à des sanitaires d’ici à 2015. Une incroyable réalité dont on ne sous-estime plus, grâce à l’Onu, les conséquences.

Baptiste Vignol

De l'inconvénient de n'avoir que 315 amis



Lu dans Voici: “Mareva Galanter aimerait exploser les ventes de son album. Son fiancé, Jean-Charles de Castelbajac, aussi. Ce dernier a envoyé à tous ses contacts le SMS suivant: "We want you! Pouvez-vous acheter avant samedi 1 album HAPPY FIU de Mareva Galanter, c est important/le top 50!/il y a 7 songs de jcdc sur l’album qui est ****:) merci! Jean-Charles." Pour Mareva, conclut Voici, le couturier ne fait pas dans la dentelle.”
Et leurs amis sont au taquet! Après une semaine d’exploitation, Mademoiselle Galanter avait vendu 315 CD, atteignant la 188ème position du Top. Huit jours plus tard, elle n’y figurait hélas plus… Ce qui n’empêche pas HAPPY FIU d’être attachant, les amis de Castelbajac de compter un mouchard et Voici d’élever le niveau.
La morale de cette historiette, c’est que dans l’état lamentable où se trouve le marché du disque, on peut aujourd’hui, avec l’aide de bons copains, intégrer le Top des ventes - et décrocher sa semaine de célébrité. Mais on en ressort aussitôt si le grand public ne met pas la main à la poche! La popularité est une improbable dulcinée.

Baptiste Vignol

L'élégance des frères Finn



Question : faut-il être anglo-saxon pour avoir le don de la mélodie pop ? Les airs qui nous ensorcellent, et dont on ne peut se défaire, sont si souvent chantés en anglais... Les frères Finn ont ce génie-là. Auteurs-compositeurs néo-zélandais, Tim et Neil jouissent en Australasie d’une renommée légendaire. Leur notoriété, équivalente à celle de U2 en Europe, fait l’unanimité et leur permet de bonder les stades à Melbourne, Sydney ou Auckland. S’ils ont été à l’origine du groupe Spilt Enz à la fin des années 70, c’est une autre formation, Crowded House, initiée par Neil, le cadet, au milieu des années 80, qui leur a valu un succès planétaire. Un succès auquel la France, nonobstant l’enthousiasme d’un ou deux critiques influents, s’est toujours refusée… Ainsi pouvait-on lire en 1992 (était-ce dans Télérama ou Les Inrockuptibles ?), pour chroniquer la sortie de leur quatrième album TOGETHER ALONE : “Les Beatles ne se sont jamais séparés, ils vivent en Nouvelle-Zélande!” Au pays du long nuage blanc… Car dans l'armada qui s’ingénie, depuis plus de 40 ans, à s'inspirer des Fab four, Neil et Tim figurent parmi les héritiers les plus doués des Lennon-McCartney. Pourtant, en octobre 2007, les Crowded House achevaient à Paris (sans Tim) une tournée mondiale dans la petite salle de La Maroquinerie. Concert unique. Aucun journal n’en a parlé !
Le nouvel album de Tim Finn (THE CONVERSATION) paraît aujourd’hui. Et voilà que son premier single (Out of this world), à la simplicité désarmante, nous tombe illico dans l’oreille, comme une évidence, un porte-bonheur à fredonner en ces temps de morosité. De quoi nous sauver la semaine et repartir du bon pied, en sifflotant ce refrain que les radios ne joueront pas, trop occupées à diffuser le dernier Johnny Hallyday.

Baptiste Vignol

Do you really have to be anglo-saxon to be a gifted pop musician ? More often than not, the tunes that grab us and get stuck in our heads are sung in English. The Finn Brothers have this knack of creating pop genius. Tim and Neil – who both write and compose their own music – are living legends in Australasia. They are as widely known there as U2 are in Europe and they fill concert venues in Sydney, Melbourne and Auckland. They were founding members of the successful group Split Enz in the late seventies. Then in the mid eighties it was Neil, the younger brother, who formed Crowded House – a band which achieved worldwide success. Despite the enthusiasm of one or two influential critics this success has always gone unnoticed in France. In 1992 when they brought out their fourth album TOGETHER ALONE a French magazine (was it Telerama or Les Inrockuptibles ?) wrote : “The Beatles never split up. They are living in New Zealand!” In the land of the long white cloud... In the forty year wake left by the Beatles, Neil and Tim are right up there with the worthiest heirs of Lennon and McCartney. Nevertheless, in October 2007 Crowded House (minus Tim) wrapped up a world tour in the small Maroquinerie (Paris). One night only - and not one newspaper mentioned it ! Tim Finn’s new album THE CONVERSATION was released today. His new single Out of this world with its disarming simplicity gives us something cheerful to hum along to in these harsh times. Something to brighten up our week while we whistle a tune that the radio stations will never play – because they’re too busy playing the latest Johnny Hallyday.

Translation Greg Goodyer

Out of this world
Crowded House à Paris, octobre 2007, Weather with you
Pour tout savoir sur les frères Finn

Connaiss(i)ez-vous Yvette Guilbert?



Mon amour pour la chanson, et plus particulièrement pour les chanteuses dotées d’une forte personnalité plus que d’un organe puissant, commença avec ce 33 tours d’Yvette Guilbert qui se trouvait dans la discothèque de mes parents et que j’ai écouté en boucle toute mon enfance. Sur la pochette, génialement croquée par Toulouse Lautrec, cette tronche unique avec son nez pointu, sa bouche fine et spirituelle et ses éternels gants noirs. J’ai tout de suite été fascinée par sa façon tellement personnelle d’interpréter ces chansons, et je ne me lassais pas de me repasser les tubes comme Le fiacre, Partie carrée ou Mon joli Verligodin qui me faisaient hurler de rire.
Aujourd’hui, je rends hommage à «la grande diseuse» sur scène dans mon «Mistinguett, Madonna & Moi» en interprétant à mon tour le merveilleux J’suis dans l’bottin d’Aristide Bruant, et j’aimerais en profiter pour vous livrer ce billet qui retrace cette vie extraordinaire !
«Elle n’est pas jolie, elle est pire!» Cette accroche qui vante une célèbre marque de vêtements n’est pas une trouvaille de publicitaires stressés et cocaïnomanes, mais une phrase que l’on entendait sur la grande Yvette Guilbert! Avec sa robe verte, sa tignasse rousse et ses longs gants noirs qui soulignaient une gestuelle unique, elle devint une des plus grandes vedettes du café-concert à la fin du XIXème siècle au moment où «Paris boit, mange et dort au café-concert» comme l’annonçait le guide des plaisirs de Paris.
Il faut dire que l’époque est aux chanteuses grandes gueules comme Theresa, et au cancan, avec des personnages aux noms évocateurs : «la Goulue», «Nini patte en l’air», «Bouche d’égout», «la Môme fromage» ou «Demi-siphon» la cancaneuse morte d’un grand écart mal amorti! Paris qui vient d’inaugurer sa Tour Eiffel et ne connaît pas encore le métro est alors le centre du monde littéraire et artistique.
Les têtes couronnées accourent des quatre coins du globe pour s’y disputer les faveurs des danseuses, des chanteuses et des actrices de petite vertu, si bien décrites par Zola dans Nana. La «haute» s’encanaille au Moulin-Rouge ou au Chat noir, les gouvernements de la jeune République tremblent sous les caricatures publiées dans les journaux où véhiculées par les chansonniers dans cette fin de siècle où l’opinion publique se forge entre deux coupes de champagne ou deux ballons de rouge qui tâche, selon le standing de l’établissement. Sans radio ni télé Yvette Guilbert parvient à populariser son répertoire. À Paris, certes, mais jusque dans le monde occidental entier, États-Unis compris! On ne compte pas les contemporains qu’elle inspira, peintres, écrivains ou caricaturistes et son influence perdure jusqu’à nos jours. Marie-Paule Belle dit lui devoir sa vocation et elle fut chantée, entre autres, par Marie Dubas, Barbara, Gréco et plus récemment Julien Clerc ou Juliette.
Avec humour et lucidité, elle disait d’elle même : «J’ai toujours été vieille; c’est à ma laideur que je dois ma position ; si j’avais été belle, je n’aurais peut-être pas travaillé». Une chose est certaine, Yvette Guilbert, comme Madame Arthur, un de ses énorme tubes, avait «un je ne sais quoi». À une époque où les chanteuses avaient «les seins gonflés de talent» comme l’écrivait Jules Renard, elle réussit à s’imposer avec une voix limitée et un physique ingrat. Elle n’avait pas de poitrine, un nez pointu et les premiers spectateurs l’accueillirent aux cris de «Vise le corsage ! Elle a oublié ses nichons dans ses malles !». Et pourtant, elle compta parmi ses fans des personnalités aussi diverses que la légendaire actrice Eleonor Duse, le poète Guillaume Apollinaire, Sigmund Freud, qui affichait au mur de son bureau la photo qu’elle lui avait dédicacée et avec lequel elle eut une correspondance importante, Verdi et le peintre Toulouse Lautrec. Celui-ci, qui adorait les rousses, lâcha d’ailleurs pour elle Jane Avril, son modèle préféré, la star du Moulin Rouge! Grâce à Lautrec, le physique atypique d’Yvette Guilbert s’affiche encore aujourd’hui dans de multiples reproductions d’affiches, chez les bouquinistes des quais de Seine comme chez les marchands de cartes postales.
Émile Zola et Alphonse Daudet aussi s’enflamment pour celle que l’on surnomme «la Diseuse fin de siècle». Dans son autobiographie elle décrit la conversion de ces grands écrivains, lors d’une soirée chez l’éditeur Charpentier. Une partie de l’intelligentsia se refusant à fréquenter caf’ conc’ et cabarets, les mondains organisent des salons où les vedettes populaires sont invitées à exposer leurs talents, un peu comme aujourd’hui certains artistes de variétés sont conviés sur les plateaux télé des émissions culturelles de Frédéric Taddéï, Guillaume Durand ou Philippe Lefait. Si beaucoup de réputations s’en trouvent dézinguées, Yvette Guilbert relève le défi. Mieux, elle demande aux Charpentier de convier la crème des écrivains pour éprouver la solidité de son répertoire. Elle raconte :« Daudet, ne pouvant pas bouger de son fauteuil, me fit prier de venir à lui "C’est magnifique, dit-il… C’est magnifique, Mademoiselle!" Et Zola "Quelle vérité dans vos accents, Mademoiselle, quelle actrice vous êtes !"»
Cette femme tant admirée, et la mieux payée de son époque, fut tour à tour auteur-compositeur, chroniqueuse, écrivain, fondatrice d’une école d’art dramatique à New York et comédienne dans les films de Murnau, Maurice Tourneur et Sacha Guitry entre autres aux côtés de Michel Simon, Antonin Artaud ou Arletty.
Contrairement à Mme Arthur, qui «réussit sans journaux, sans rien sans réclame», cent ans avant Madonna, elle allia une exceptionnelle capacité de travail à un sens aigu des affaires et pionnière du marketing, inaugura à Paris pour ses concerts à La Scala en 1893 des panneaux publicitaires lumineux, ce qui était révolutionnaire à l’époque. Elle fit même arpenter les trottoirs par des hommes sandwichs annonçant ses apparitions!
Nombreux furent ceux qui essayèrent, en vain, de la décourager! «Jouez la comédie si vous voulez, retournez au théâtre, mais au café concert jamais! Croyez moi, je suis quand même du métier ! » lui dit un directeur de salle. Les professionnels de la profession avaient déjà du nez et celle qui révolutionna le caf' conc’ en y imposant le réalisme, genre alors réservé à la littérature, dut sa carrière à son intelligence et à sa ténacité.
Si c’est à Liège que le public lui fit l’accueil qu’elle méritait avec «la pocharde», qu’elle avait écrite, sa façon de tousser sur Les vierges, une chanson aux sous entendus grivois, fit décoller sa carrière. Bien avant les «Pussy cat dolls» et leur tube Beep, elle avait compris la force de la suggestion et trouvé le gimmick qui tue.
Mais une interprète géniale n’est rien sans de bonnes chansons! C’est avec les titres de Xanrof, dont elle avait déniché les merveilles chez les bouquinistes et ceux du grand Bruant qu’elle cassa définitivement la baraque au Divan Japonais à Pigalle. Car c’est là qu’on la laissa enfin choisir elle-même son répertoire. Avec des chansons comme Le fiacre, la salle confinait au délire criant des «Yvette! Yvette! Yvette!» comme aujourd’hui on crie «Johnny» ou «Mylène»!
Yvette, un prénom à la mode dont elle fit son pseudo, fut une des rares artistes à n’être appelée que par son prénom.
Elle arrivait encore maquillée du Moulin Rouge, à deux pas, où elle chantait des choses plus classiques, et repartait accompagnée d’une foule d’admirateurs qui suivait à pied la calèche qui la ramenait chez elle.
Marcel Proust le premier lui consacra un article et les journaux commencèrent à écrire : «Elle est mûre pour l’exportation». Et v’là t-y pas qu’elle entamait une tournée mondiale qui devait l’amener de Stokholm à Alger en passant par le Canada, Oslo, Vienne, Florence, Rome, Madrid, et les États Unis où elle retournerait plusieurs fois, avant de s’installer à New York pour quelques années. Il faut imaginer ce que pouvaient être les voyages à l’époque, en train! Les américains avaient beau la payer cher, ces tournées étaient très dures. A peine le temps de souffler d’un voyage où elle avait été cahotée pendant des heures, qu’elle montait sur scène pour se retrouver parfois, comme au Texas, devant des salles de cow-boys braillards qui ne comprenaient pas un mot de français. Toujours gonflée, si le public ne lui convenait pas, elle était capable de leur sortir : «Celle-là je ne vous la chante pas, elle est trop bien pour vous!»
Trop curieuse pour se contenter de devenir riche avec ce répertoire qui cartonnait, et piquée au vif par les critiques qui l’accusaient d’être vulgaire, elle fit des recherches érudites sur la chanson du Moyen Âge qu’elle décida de chanter. Celle qui passa des années à la Bibliothèque Nationale pour y dénicher ces trésors découvrit et reconstitua un patrimoine extraordinaire, bien plus osé que celui que ses contemporains fustigeaient. Elle disait avec panache : «Les bibliothèques me rendent révolutionnaire!». Une deuxième carrière s’ouvrait à elle! Elle interpréta ce répertoire dans des endroits aussi prestigieux que le Carnegie Hall à New York, et chanta même pour les soldats américains qui partaient en guerre contre l’Allemagne, 30 ans avant Marlene!
Mais chanter ne lui suffisait plus. Il fallait qu’elle transmette son expérience et son savoir faire. Toujours à l’avant-garde, elle ouvrit à Bruxelles une école de chant où l’on enseignait toutes les disciplines utiles aux chanteuses, pré Star Ac’.
Ayant su se réinventer toute sa vie, Yvette Guilbert, la jeune fille pas douée à la robe verte et aux gants noirs que l’on décourageait de «faire» chanteuse finit par incarner «La chanson», statue qui trône dans la salle à manger de l’Hôtel de Ville parisien. CQFD !

Caroline Loeb

"Mistinguett, Madonna & Moi" écrit et interprété par Caroline Loeb se joue au Théâtre des Blancs Manteaux à Paris.



Mistinguett, Madonna et moi: le site.

Le chapeau de Mireille


Insatiable Baptistou, j’ai souvent conté les circonstances touchantes qui m’ont valu d’être l’unique interprète du Chapeau de Mireille. Les re-re-voili… Comme à chacune de ses rentrées, Georges testait avec ses copains ses nouvelles chansons en vue de Bobino. J’étais dans une période de problèmes sentimentaux qu’il connaissait bien sûr; il me chante Le Chapeau – je la trouve très réussie – et lui demande “Rejoue-la moi”. Il la rejoue.
- Elle te plaît?
- (Sans même me douter de ce qui allait se passer) J’en ferais bien mes beaux dimanches !
- Alors je te la donne…
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, Brassens n’était pas du genre à faire de grandes démonstrations publiques ou privées, envers ses amis. Mais il s’arrangeait toujours pour le leur montrer à l’occasion, et là, “l’occasion” était un sacré cadeau (je n’ai pas dit “un cadeau sacré”, mais mieux que ça…).
Quelques mois plus tard, je la chante chez les Carpentier.
Maritie: Dites-donc, Marcel, ce n’est pas un petit laissé-pour-compte qu’il vous a donné là, votre ami Georges?
- En effet, j’en suis encore tout retourné.
Georges (dans sa moustache): Bof! Il la chante bien mieux que je n’aurais su…
Ces mots devant quelques millions de télespectateurs. No comment.

Marcel Amont

Georges Brassens accompagne Marcel Amont sur Le chapeau de Mireille

Le regard de Vincent



En quête d’idée neuve, à sec de thématique, ce blog sommeillait depuis presque un mois… Mais voilà qu’un ami, Vincent Pierre, qui en fut à l’origine, me force à me pencher sur un thème inchantable : le cancer. Car Vincent est parti, fauché par la sale bête, alors qu’il s’apprêtait, semble-t-il, à la juguler. Il n’avait que 47 ans. Peu de chansons ont su transcender cette question. Vieillir de Jacques Brel (“Mourir face au cancer par arrêt de l’arbitre”, 1977), Marcia Baïla (1984) des Rita Mitsouko, Un autre monde (1984) de Téléphone, Faut faire avec (1999) de Bécaud… La chanson n’est plus faite pour qu’on s’apitoie ; il est passé le temps de Berthe Sylva. Mais des dizaines de refrains ont pleuré la perte d’un ami. Une chanson de Jean Ferrat pourrait avoir été dédiée à Vincent. “Tu aurais pu vivre encore un peu/ Pour notre bonheur, pour notre lumière/ Avec ton sourire, avec tes yeux clairs/ Ton esprit ouvert, ton air généreux…” (Tu aurais pu vivre, 1991). Car Vincent faisait partie de ces amis précieux dont la compagnie nous élève.
Chez lui, dans la grande maison blanche du chemin des Champacs, nous refaisions le monde, la politique et nos vies, nous refaisions la chanson aussi (il aimait Léonard Cohen, George Harrison, Tété, Jeanne Cherhal, Barbara…), l’écoutant nous chanter les siennes - car il en écrivait!, et nous nous obstinions à nous amuser! Trouver le bon sujet, celui qui nous ferait rire. C’était salutaire de rire avec Vincent. C’était bon pour l’esprit. Et bon pour la santé… “Santé!”, comme il s’évertuait à lancer, son verre à la main, quand nous trinquions aux jours meilleurs… Ensuite, la table dressée, il nous prévenait immanquablement: “Goûtez-moi ça, vous allez m’en dire des nouvelles. Je le réussis toujours magnifiquement…” Sa vivacité, son esprit, son humour rendaient ces soirées essentielles, sa verveine délicieuse et nos fous rires “inextinguibles” comme nous aimions les qualifier. Apte à cultiver notre mélancolie. À lui reprocher de s’être fait la belle. “Tu aurais pu vivre encore un peu/ Mon fidèle ami, mon copain, mon frère/ Avant de partir tout seul en croisière/ Et de nous laisser comme chiens galeux…” (Tu aurais pu vivre, Jean Ferrat)
Intelligent, Généreux, Cultivé (mais très cultivé!... Vincent nous épatait par ses références quasi-encyclopédiques), Drôle (mais alors infiniment drôle), Amoureux, Attentif et Fidèle sont des qualités que l’on retrouve rarement chez une même personne… Non seulement Vincent les cumulait, mais en plus il les portait haut! Et puis, comme si cela ne suffisait pas, il était doté d’un COURAGE devant lequel nous nous sommes tous inclinés. Jamais une plainte, aucun abattement… Un type exemplaire! Dont Joseph et Rosalie, ses enfants, pourront toujours être fiers.
Et puis “Le Doc” comme on l’appelait – Vincent Pierre supervisait la cellule inter-régionale d’épidémiologie Réunion-Mayotte dans l’océan Indien - avait le goût des surprises. Nous avions prévu il y a quelques mois de partir en familles à l’île Rodrigues pour une semaine de vacances. N’était-ce pas la bonne destination pour le voir enfin effectuer quelques figures de Kite surf, ce sport de glisse auquel il venait de se mettre avec son bel enthousiasme? Hélas, par la force des choses, le projet n'est plus de mise. Pourtant, heureux de ses récents résultats médicaux, il avait décidé, sur un court de tennis, le 27 septembre dernier, entre deux séances de chimio, qu'on y aille début 2009. “N’en parlons pas à Anne, ni à Elsa, on leur annoncera pour Noël quand nous aurons tout organisé.” C’était notre dernier secret. Et là, Vincent, tu m’obliges à le révéler… Salut l'ami! On n’en a pas fini de parler de toi. Cependant, vois-tu, je vais finir par t’en vouloir d’avoir Ferrat dans la tête. Car… “on aurait pu rire encore un peu/ Avec les amis des soirées entières/[…] Et dans la beauté des choses éphémères/ Caresser nos femmes et lever nos verres/ Sans s’apercevoir qu’on était heureux.
La chanson, parfois, dit si bien les choses.

Baptiste Vignol

Tu aurais pu vivre par Jean Ferrat


Critique



“Écrivez vingt livres, un critique vous jugera en vingt lignes, et vous ne serez pas le plus fort” s’attristait Jules Renard en 1898. Quatre-vingt-deux ans plus tard, assommé par des critiques pleines de fiel, Renaud expédierait à sa façon les “journaleux”, ceux “qui parlent pas, qu’écrivent pas, qui bavent” et “foutent [s]a révolte au tombeau”: “T’t’façon, j’chante pas pour ces blaireaux/ Et j’ai pas dit mon dernier mot!” (Où c’est qu’j’ai mis mon flingue ?, 1980)
La fonction de critique a toujours embarrassé les artistes qui, quand paraissent leurs ouvrages, doivent parfois essuyer une glose contemptrice... À tel point qu’à 80 ans, Charles Aznavour reconnaissait : “La critique, la critique/ On a beau dire au fond: Que l’on s’en contrefout/ La critique, la critique/ Vous détruit le moral et vous/ En fout un coup.” (La critique, 2003)
Certains journalistes cependant font œuvre de critique, de culture et de pertinence. Les chroniques d’art d’Hector Obalk (Elle), les papiers littéraires d’Émilie Colombani (Technikart) ou les billets d’Alain Riou (Nouvel Observateur) par exemple donnent toujours envie d’aller voir une exposition, d’ouvrir un roman ou de se plonger dans un film. La ritournelle compte aussi ses experts. Bertrand Dicale en fait partie. Mais en septembre 2008, après 21 ans passés à faire partager sa passion, il a quitté Le Figaro - pourtant devenu grâce à lui un journal de référence pour ce qui concerne la Chanson. Signal inquiétant ?
Sans aucune véritable émission de télévision, avec un Jean-Louis Foulquier récemment remercié, un Bertrand Dicale en jachère (même si l’on peut lire son blog, ou découvrir ses coups de cœur dans l'indispensable Chorus), la chanson semble engagée sur une mauvaise pente… Après dix années de prospérité, elle s’apprête à vivre une période difficile comme ce fut le cas dans les années 90. S’il demeure dans la presse généraliste quelques plumes avisées, deux ou trois émissions convaincantes (dont la toute nouvelle d'Aude Lavigne, “À nous de jouer” sur France Musique), comment ne pas s’alarmer ? La mort du disque annoncerait-elle la fin d’un art vieux d’un siècle ? Sans bon relais médiatique pour le promouvoir ni CD à acheter, les maisons de disques vont prendre l’eau, le public se retrouver sans infos, et les chanteurs bien en peine de se produire. La crise se profile, et la critique n’aura plus rien à critiquer… Le joli tableau. Sauf à redéfinir un nouveau modèle de critique, de production et de diffusion en s'appuyant sur les modes actuels de communication.

Baptiste Vignol

"Jacques, Georges et le lapin à la moutarde de ma mère..."



Brassens était pétri de pudeur et d’humanisme. Quand ma mère était mourante, je pleurais un jour dans mes nouilles impasse Florimont; sa “gouvernante” Sophie et lui gardaient le silence, gênés. Je sanglote: “tu dois me trouver ridicule de chialer comme une gonzesse”. Il me répond: “Si c’était moi, ça ferait bizarre, mais pas toi…”
Sachant que nous étions amis, Maurice Chevalier, le très respecté pater familias es show bizz, me demande – quelle modestie de la part d’une immense star internationale !- si Georges accepterait que nous nous rencontrions tous les trois. Non seulement ce dernier accepta avec enthousiasme mais, au dessert, il sortit sa guitare et chanta au vieux, plus qu’ému, jusqu’à ses chansons les plus oubliées – y compris de lui-même.
Le lendemain, je dis à Georges : “Quel dommage pour tout le monde que je n’aie pu enregistrer ces moments inoubliables !”
- Eh! cornifle, qu’est-ce qui t’en empêchait ?
- Si je l’avais fait en prévenant, ça rompait le charme; sans prévenir, c’eût été un abus de confiance.
Il n’a rien répondu, mais il m’a tapé très fraternellement sur l’épaule sans commentaire. Il avait apprécié.
Ce même jour, ma mère nous avait préparé un lapin à la moutarde, la recette qu’elle réussissait le mieux.
"Georges se régale, on dirait. Reprenez-en Georges !
- Mais non mais non, mais si mais si…" Il en reprend.
Quelques temps plus tard, à peine je rentre du Japon, il m’appelle:
- Ah! important, me fait-il. Pendant que tu faisais le beau en Extrême Orient (qu’est-ce qu’on peut bien aller foutre si loin…), le père Chevalier m’a invité à Marnes. Ayant noté que je reprenais chez toi du lapin (à la moutarde), c’est ça qu’il a fait servir… Or – dis-le avec ménagement à ta maman que j’aime beaucoup et que je n’ai pas voulu peiner – je DÉTESTE le lapin, particulièrement quand il est à la moutarde !
Voila comment se comportait la star (!) Brassens avec les petites gens!


Brel. Nous nous sommes pas mal cotoyés amicalement dans les cabarets parisiens des années 50 (“Patachou”, “La Villa d’Este”, les “Trois Baudets”). Si on se rencontrait avec plaisir, je n’ai pas fait partie de ses proches – qui le disaient brillant, généreux et tourmenté. Plus tard, nous nous croisions souvent sur les terrains d’aviation et parlions beaucoup plus aéroplanes et voyages que canzonnetta. Au début, il m’apparaissait comme un sage auteur interprète (“l’abbé Brel”…). Comme tout un chacun, j’ai vu, à une certaine période, une fièvre communicative s’emparer de lui. On a dit, et c’est probable, que les bouleversements de sa vie “perso” l’ont transcendé dans son art; François Rauber, son ami et orchestrateur, ajoutait que c’est surtout, artistiquement, le fait d’élargir ses possibilités mélodiques, harmoniques, scéniques, en renonçant à n’être accompagné que de sa guitare, qui lui a fait gagner du temps.
En somme, la différence entre Brel et Brassens, c’est que quand tu discutais avec Brel tu te disais, purée, il est intelligent ce mec. Avec Brassens, tu te disais que, finalement, t’étais pas si con que ça. Or, ils étaient très intelligents l’un comme l’autre. Mais Georges avait cet incroyable humanisme, cette humanité."

Marcel Amont

Brassens évoque le souvenir de Jacques Brel

D'assertions en acouphènes



Pour parler des Intellectuels, l’une des chansons de MON CŒUR S’ENVOLE (1992), Charles Trenet précisait, en s’en réjouissant, qu’il devait être le premier à chanter le mot palimpseste: « Ils connaissent tout de l'Univers/ De son endroit de son envers/ Changeant en un grand palimpseste/ La voûte céleste ». Car la chanson, cet art mineur, est loin d’avoir épuisé nos dictionnaires ! C’est aujourd’hui le tour de Maxime Le Forestier d’innover en plaçant acouphène : « Tu fais ton choix, tu n'as plus droit qu'à un son/ Comme le bourdon,/ Comme l'acouphène… » (Sur deux tons, 2008). Mais l’état lamentable du marché du disque français n’aura pas aidé le parolier à populariser ce joli nom. RESTONS AMANTS, son dernier CD, n’a pas rencontré le succès escompté (à peine 40 000 albums vendus depuis sa sortie en mai 2008). Désespérant. L’avenir de la francophonie passera-t-il par la chanson ?... Heureusement, il nous reste quelques politiques lettrés… Après que Martine Aubry ait jugé “lamentable” l’assertion selon laquelle François Bayrou sous-entendrait qu’elle lui aurait confié avoir voté pour lui au premier tour des élections présidentielles, le leader centriste (qui ne s’est jamais départi de ses réflexes de professeur et le grec, ça le connaît !) a déclaré : “Il arrive qu’on ait des manifestations auditives, on appelle cela des acouphènes, alors j’ai dû avoir des acouphènes.” Insufflant au mot plus d’écho que n’en donnerait même un bon couplet.

Baptiste Vignol

Et Bécaud dans tout ça?



Le succès engendre d’étranges séquelles. Il envenime la critique qui vous encensait et rend jaloux vos confrères. Bénabar n’échappe pas à la règle. “Le pire, c’est Bénabar” assurait Benjamin Biolay en juillet 2007. Comment Benjamin Biolay aurait-il pu s’imaginer, un an plus tard, affligé du même qualificatif par... Michel Fugain (“Biolay, c'est le pire!”) ? Mais dans une charge pleine d’aigreur, celui qui recherche le succès depuis qu’il a dissout son Big Bazar en 1977, n’épargnerait pas non plus Bénabar : “Est-ce qu’il va faire autre chose que de nous raconter le quotidien?” Ça ferait du bruit dans le Landerneau…
Tête de turc du moment, Bénabar s’agace dans Paris Match : “J’en ai marre de passer pour un connard !” Un certain Benjamin Locoge l’interroge grossièrement. “Vos confrères vous assassinent, démarre-t-il. À commencer par Benjamin Biolay, qui dit: "Bénabar me débecte".” Inexact. Autant être précis quand on donne dans la citation. “Le pire, c’est Bénabar” avait-il déclaré, certifiant en revanche, en Une de Technikart: “La chanson française me débecte”. Nuance. Puis Locoge continue : “Aimez-vous être comparé à Michel Sardou, à Gilbert Bécaud ?”, comme si Sardou et Bécaud, c’était kif-kif bourricot comme disait Paul Guth dans Lettre ouverte aux idoles… Bénabar aurait pu sauter sur l’occasion pour expliquer combien cette comparaison l’honorait ! Mais Bénabar, patatras, à en croire l’interview, est tombé dans le panneau. Restant bloqué sur Sardou, il a répondu : “Une partie des critiques qui me comparent à eux cherche à me dévaloriser en insinuant l’idée que Bécaud ou Sardou n’ont fait que de la merde.” Il en aurait dû en rester là, mais hélas, il a poursuivi : “Figurez-vous qu’il y a pas mal de chansons de Sardou pour lesquelles j’ai une faiblesse!” Et de Bécaud, que pense-t-il ? Rien, puisqu’il n’en dit pas un mot! Rappelons donc que Mr 100 000 volts (le surnom est souvent un gage de qualité, voire de reconnaissance, dans le domaine de la Chanson: le Fou chantant, la Môme, le French troubadour, Tonton Georges, la Chanteuse de minuit, etc.) était un showman épatant, que la bien-pensance finit par dénigrer, ne le trouvant plus assez “chic” pour l’inviter à la télévision, après qu’elle l’eut encensé quand il régnait sur le Music-Hall, doublé d’un mélodiste hors norme, l’un des rares français chantés par la crème des stars américaines. Jugeons plutôt: Elvis Presley, Frank Sinatra, Barbra Streisand s’approprièrent Et maintenant (What now my love); James Brown, le King et Bob Dylan Je t’appartiens (Let it be me)! De véritables classiques. Que ne connaîtraient ni le journaliste de Paris Match, ni l’auteur de Je suis de celles ?
Le meilleur moyen de ne pas passer pour un imbécile est de maîtriser son sujet, d’avoir un brin de culture. Benjamin Biolay n’en manque pas. On peut ne pas l’apprécier, détester son cynisme, son air ébouriffé, mais il connaît la Chanson, des refrains de Trenet aux surnoms de Gréco en passant par le génie mélodique de Gilbert Bécaud. Quand Bénabar aura compris que la chanson n’est pas née avec Maritie et Gilbert Carpentier, qu’il se sera imprégné des couplets de ses devanciers, peut-être composera-t-il une mélodie imparable, digne de Bécaud, Trenet*, Brel** ou Gainsbourg***. Il empochera alors de substantiels droits d’auteur, mais gagnera surtout le respect de ses pairs, l’admiration de ses cadets, étant même gratifié, qui sait, d’un surnom taillé sur mesure. La classe, quoi !

Baptiste Vignol

*La mer (Beyond the sea) a été reprise par Bobby Darin, George Benson, Robbie Williams; Que reste-t-il de nos amours (I wish you love) étant adaptée par Frank Sinatra ou Harry Connick Jr.
**Frank Sinatra enregistra Ne me quitte pas (If you go away), David Bowie Amsterdam, Nina Simone Les désespérés (The desperates ones).
***La javanaise a été adaptée par Mick Harvey, Manon par Pulp, Comment te dire adieu par Jimmy Sommerville…


Et maintenant, par Gilbert Bécaud
What now my love, par Elvis Presley

L'or de l'Olympe



Comment une sportive peut-elle devenir une des plus grandes championnes de tous les temps? On ne sait pas trop évidemment. Si une recette existait, on compterait ici-bas un nombre effrayant de «plus grands champions de tous les temps »… Ceci dit, celle qui fut désignée «Nageuse de l'année 2007 » possède probablement les clefs pour en devenir une.
C'est une athlète d'exception et on la plaint bien sûr après l'échec humiliant qu'elle vient d’essuyer à Pékin. Mais tout supporteur raisonnable et néanmoins fougueux de la belle (j'en suis !!!) est obligé de reconnaître qu'aujourd'hui, Laure Manaudou possède un nouvel atout. Insouciante et ultra-légère lorsqu'elle coiffa ses lauriers aux Jeux d’Athènes en 2004, au point d'avouer naïvement, du haut de ses 17 ans : «Je ne me rends pas compte de ma performance », elle réalise maintenant, punie, mais mâture, l’incroyable auréole que représentaient ses titres et ses records.
Du coup, même si un inévitable ras-le-bol l'amène à ne rien désirer d'autre qu'un break, elle risque fort, en championne, de se relever. Avec en plus de ses aptitudes naturelles, la conscience aiguë du travail qu'il va lui falloir fournir, et puis l'envie d'en découdre ! De se venger de ces Jeux foireux.
En la voyant pleurer après sa défaite sur le 200m dos et balbutier qu'elle ne savait pas si ça valait la peine de continuer, le supporteur raisonnable mais néanmoins fougueux fut d'abord pris de compassion, mêlée d'un certain agacement face à l'acharnement télévisuel qui consiste à zoomer sur les larmes de l’égérie déchue. S'ensuivit un court accès de colère devant l’indiscipline de la star en péril. Puis vint cet élan d’espoir qui nous autorise à concevoir de glorieux lendemains: désormais, en effet, Laure Manaudou sait qu'elle ne doit pas son fabuleux palmarès à ses seules capacités, mais à l’épuisante addition du talent avec le travail. Elle va donc s'y remettre dare-dare, poussée par cette rage qui ne s’acquiert qu’après l’échec.
On lui reproche aujourd’hui son exposition médiatique, ses frasques amoureuses, son indépendance d’esprit et ses contrats publicitaires, mais il faut reconnaître que pour une championne de vingt ans, une telle indocilité suscite une sorte d’admiration (et puis, au moins, elle ne l'ouvre pas à tort et à travers sur n'importe quel sujet sous prétexte qu’elle est un personnage public).
Elle est charismatique, belle et douée. Chez les sportifs de très haut niveau, réunir ces trois qualités n'est pas répandu. Dès qu'elle retrouvera la confiance et la force de trimer avec un coach qui pourra lui parler aussi librement que Philippe Lucas (le côté "aboiement" en moins), elle redeviendra l’incomparable Manaudou. Pour le moment, c’est le cas d’école qu’elle incarne qui stigmatise l’attention : « Voilà ce qui arrive quand on délaisse l'entraînement et qu'on se fait trop confiance… »
Mais une telle personnalité a tout pour se remettre à niveau et intégrer le giron des « plus grands champions de tous les temps ». Après avoir investi les sommets, s’être écroulée, elle se relèvera certainement, grandie par la conviction que le plus beau reste à venir.

Jeanne Cherhal

Succès d'été, suite et fin.

Et pour clore cette improbable théorie de chanteurs rococo, celui qui s'en fit un funeste porte-parole :



"Chez Pascal Sevran
Les rythmes sont navrants,
Les thèmes décevants..."

Donne-moi le micro IAM (1992)

Si l'on devait lire un ouvrage sur Pascal Sevran, alors que paraissent plusieurs bouquins laudatifs, il faudrait se pencher sur l'enquête minutieuse de Laurent Balandras, parue en septembre 2007 chez Tournon : "Pascal Sevran, l'homme à qui la chanson ne doit rien".

Stone & Charden

Succès d'été... (11/12)



« I wanted marry with you,
And make love very beaucoup,
To have a max of children,
Just like Stone and Charden.
But one day that must arrive,
Together we disputed,
For a stupid story of fric,
We decide to divorced… »

It is not because you are Renaud (1980)

Philippe Lavil

Succès d'été... (10/12)



« Je veux bien te chanter
Le Yellow submarine
Alors plutôt façon Jenifer
Je peux aussi te faire Philippe Lavil
Mais ça va te coûter plus cher
Tiens v’là Vaison-la-Romaine... »

Vaison-la-Romaine Jean-Louis Murat (2002)

Claude Barzotti

Succès d'été... (9/12)



« Je me compare à Tino Rossi,
À Dassary, Georges Guétary,
Au grand Pavarotti, à Gino Vanelli.
Je n'm'appelle pas Frank Sinatra,
Ni Mariano ni Caruzo, mais comme Julio,
Comme Roméo, le Bel Canto, j'l'ai dans la peau !
Je ne viens pas de l'Italie,
Je sérénade les filles jolies…
Et je me fous de Barzotti ! »

Chanteurs de charme Jean Lapointe (1985)

Herbert Léonard

Succès d'été... (8/12)



« Ça pouvait pas êt' pire
Comme ambiance de terreur
J'avais froid dans l'échine
J'vivais l'top de l'horreur
Jusqu'à ce qu'en sourdine
Comme venant de nulle part
Y'a Herbert Léonard
Qui chante Pour le plaisir...»

Monsieur Marchand Lynda Lemay (2005)

Mireille Mathieu

Succès d'été... (7/12)



« J'ai marché dans les rues, ton ombre dans la mienne,
Les vainqueurs distribuaient la soupe à l'Opéra,
J'ai lapé dans le bol tendu par un para
Là où nous goûtions les tempêtes wagnériennes.
On avait déblayé boulevard des Capucines,
Vers l'Olympia en ruines, j'ai vu quelques putains,
C'est bon signe je crois lorsque le vieil instinct
Narguant les convenances remonte des racines.
J'ai fait un grand détour pour ne pas, rue Royale,
Contempler le charnier où grouillent encore les rats,
C'est là où fut dit-on abattu Jean Ferrat,
Et le vent apportait des musiques martiales…
Les vainqueurs défilaient commentés par Zitrone,
Moi je ne disais rien, les yeux sur la télé,
Ta mère se lamentait : ses opalines fêlées
Malgré l'ordre et la paix la faisaient rire jaune.
"Allez mon petit Jean, votre quartier est triste
Et rempli de cadavres en décomposition,
Restez donc à dîner, il y a une émission
Avec Mireille Mathieu, je l'aime bien comme artiste…" »

Tout va bien Jean Guidoni (1983)

Richard Anthony

Succès d'été... (7/12)



« Tu vois, rien n'a vraiment changé
Depuis que tu nous a quitté.
Les cons n'arrêtent pas de voler,
Les autres de les regarder.
Si, l'autre jour on a bien ri :
Il paraît que Le déserteur
Est un des grands succès de l'heure
Quand c'est chanté par Anthony ! »

Pauvre Boris Jean Ferrat (1966)

Michel Fugain

Succès d'été... (6/12)



« Laisse Michel Fugain
Aboyer avec les chiens, mon ange.
Laisse aboyer les chiens,
La caravane est loin ! »

Laisse aboyer les chiens Benjamin Biolay (aux Francofolies de Montréal, août 2008)

Rappel. Fin juillet 2008, Michel Fugain donne son sentiment sur ses jeunes confrères de la variété française : « Je pense qu'il y a une bande de petits cons là-dedans, et je pèse mes mots, qui ont l'impression qu'ils savent tout faire, qu'ils connaissent tout. Et ils ont tort, car ils savent peu de choses. Est-ce qu'ils savent qu'on a entendu des merveilles, nous, pendant des années ? Comment ont-ils l'impression qu'ils vont nous mettre sur le cul ? Ils ne savent pas faire de mélodie. Ils ne savent pas parler d'autre chose que de leur nombril. […] Cali, j'ai fondé énormément d'espoir dans ce mec... L'évolution de Cali, elle me gonfle. Bénabar, bon, on attend... J'ai pas envie de dire que c'est pas bien... mais bon, est-ce-qu'il va faire autre chose que de nous raconter le quotidien ? Mathieu Chedid ? Est-ce qu'un jour il va chanter ? Benjamin Biolay ? Pour moi, c'est le pire. »

Discussion de bistrot

Gérard Lenorman

Succès d'été... (5/12)



« Moi j’ai la nostalgie des années 70
Du visage de Romy, du premier film X,
De mon adolescence allée du Parc Monceau,
De Gérard Lenorman qui parlait aux oiseaux… »

La nostalgie des années 70 Didier Barbelivien (2001)

Démis Roussos

Succès d'été... (4/12)



« Quand je me trouve grosse,
Je pense à Demis Roussos ! »

Le bonheur Marina Foïs (2002)

C.Jérôme

Succès d'été... (3/12)



« Stone et Charden chantaient L'Avventura
Et Mike Brant se demandait : Qui saura ?
Johnny disait à Sylvie : Que je t'aime !
Et Brel écrivait ses derniers poèmes.
Polnareff osait tout pour faire sa pub
Et les Stones roulaient déjà à pleins tubes,
Juju fredonnait La Californie,
Moi je chantais Kiss me as you love me… »

À pleins tubes C.Jérôme (1997)

Mike Brant

Succès d'été... (2/12)



"Mais une nuit des voyous, des vrais enfants d'salauds,
Pendant qu'Dédé pionçait, z'y ont fracturé son box,
Z'y ont tiré son klaxon et son autoradio,
Ses cassettes de Mike Brant et ses jantes en inox.
Dédé le lendemain en voyant le tableau,
Lui qu'avait une santé d'académicien,
S'est chopé l'infarctus dont nous causent les journaux
Et l'a cassé sa pipe tout seul au p'tit matin..."

La tire à Dédé Renaud (1979)

François Valéry

Succès d'été... (1/12)



« Pour faire une recette de cuisine
Pour gober d’la chlorpromazine
Pour doser le liquide vaisselle
Pour se parfumer les aisselles
Pour déballer une Vache qui rit
Un CD d’François Valéry
C’est fou comme le monde se complique
Quand on lit pas les fiches techniques ! »

Mode d’emploi Juliette (2004)

Plus c'est gros, mieux ça passe



En France, le disque de Carla Bruni, COMME SI DE RIEN N’ÉTAIT, s’est écoulé à 165000 exemplaires depuis sa sortie le 11 juillet, annonce la maison de disques Naïve, “très satisfaite du démarrage de l’album”.
Comme s'il fallait absolument persuader l’opinion que cet opus casse la baraque; mais les chiffres officiels, délivrés chaque semaine par l'IFOP, ne chantent pas la même chanson…
14100 CD vendus les deux premiers jours d'exploitation, puis 18200 (du 13 au 19 juillet), 13300 (du 20 au 26), 13700 (du 27 juillet au 2 août) et 8900 (du 3 au 9 août) ne font pas un total de 165000 copies, mais un (bon) résultat (vu l'état du marché) de... 68200 !
Faut-il s’étonner que l’industrie discographique prenne l’eau de toutes parts si ses labels gèrent leurs affaires aussi correctement qu’ils additionnent leurs chiffres de ventes ? Sans parler du public qu’elle mystifie ouvertement. Quant aux médias, ils relaient l’information docilement, sans jamais préciser qu'il s'agit des ventes de gros (c'est-à-dire faites aux magasins), et non pas des ventes de détails (c'est-à-dire au public). Ainsi reste-t-il dans les grandes surfaces 100000 disques de Carla Bruni qui doivent encore trouver preneurs.

Parole d'expert

Quand Brel tapait sur son piano


En 1959, en revenant de la tournée Opus 109 avec Jacques Brel en vedette, les Cinq Pères en vedettes américaines, Bernard Haller, Simone Langlois, Gainsbourg et moi en première partie, on arrive à Paris où Brel a rendez-vous avec Bruno Coquatrix. Il était alors prévu que Brel fasse l’Olympia en vedette américaine de Philippe Clay, mais Monsieur Canetti, qui avait organisé la tournée Opus 109 (le “sang neuf” de la chanson) et “drivait” la carrière de Brel, pensait que c’était encore un peu tôt pour un grand passage à Paris. Brel en revanche ne l’entendait pas de cette oreille: ce qui était prévu devait se faire… J’étais dans la voiture de Brel avec Suzanne Gabriello quand on est arrivé à l’Olympia, rue Caumartin, à l’entrée des artistes. Brel dit à Suzanne: “On n’en a pas pour longtemps. Attends-nous et si quelqu’un arrive, aboie!” On rigole Suzanne et moi (c’était bien l’humour de Brel) et nous montons voir Coquatrix - grâce à qui, mais c’est une autre histoire, j’accomplirai mon service militaire à Montlhéry et ne partirai pas deux ans en Algérie... “Je veux le faire!” répétait Brel. “Je veux le faire!” Quand nous sommes redescendus, Suzanne a tout de suite compris qu’elle avait devant elle la prochaine “Vedette américaine” de Philippe Clay.
Pendant toute la tournée, Brel travaillait ses nouvelles chansons pour cette rentrée parisienne. À chaque fois que l’on arrivait dans les casinos, il allait dans sa loge, enfilait son costume et montait sur la scène où il y avait toujours un piano, et il tapait dessus… Il cherchait le rythme de sa prochaine chanson. Il en voulait une à 5 temps, comme Dave Brubeck qui venait de conquérir le monde avec son Take five. Nous, on se préparait pour la soirée et on entendait Brel : 1.2.3.4.5, 1.2.3.4.5… Il en sortira deux chefs-d’œuvre, Ne me quitte pas et La valse à mille temps… Réfléchissez bien… Ne-Me-Qui-Tte-Pas, 1.2.3.4.5. et La-Val-S’À-Mill’-Temps.
J’ai vu le spectacle à l’Olympia. Merveilleux au Trois Baudets, Philippe Clay n’était pas très à l’aise sur une grande scène comme l’Olympia. L’artiste doit s’adapter, le public ne réagit pas de la même façon selon la grandeur de la salle. D’un côté, c’est une “veillée”; de l’autre, c’est une démonstration… Et Jacques Brel est devenu une star!

Ricet Barrier

Une île où il fait beau la nuit









Quel point commun réunit Popa Chubby, Jeanne Cherhal, Tiken Jah Fakoly, Joeystarr, Neneh Cherry, Ayo, Patrice et, disons… Rachid Taha? Ils se sont tous déjà produits au Sakifo festival de La Réunion.
Avec la saison des beaux jours, s’en vient le carrousel des grand-messes rock’n’roll; Francofolies (de La Rochelle, de Montréal), Vieilles Charrues (Carhaix en Bretagne), Paléo festival (de Nyon), Eurockéennes (de Belfort) étant même maintenant, dans l’esprit de chacun, associés aux collectivités qui les soutiennent. D’ailleurs, aucune mairie ne cesserait de soutenir un événement qui met sa commune en lumière, génère une économie substantielle et ravit la population locale et les vacanciers!
L’île de La Réunion est connue pour ses paysages, ses randonnées, la beauté festivalesque de ses cirques et son intense activité volcanique. Il n’est pas impossible qu’elle profite un jour, par ricochet, et jusqu’en lointaine “métropole”, du succès populaire du Sakifo de Saint-Pierre, ce rendez-vous musical s’étant déjà imposé comme la plus importante manifestation culturelle de l’océan Indien.
Assise au bord d’un lagon, Saint-Pierre prend la forme d’un amphithéâtre déployant ses rues parallèles sur le versant de la montagne. Où que l’on soit dans cette cité balnéaire, le spectacle de la mer le dispute à celui du Piton des Neiges qui culmine à 3069 mètres d’altitude.
Quand l’été chauffe l’hexagone, c’est l’hiver austral dans les Mascareignes. Les alizés soufflent, mais la température de l’eau avoisine les 24°. Et les baleines passent au large de Saint-Pierre... Sitôt le soleil couché, les vents retombent et l’on s’enchante, au clair de lune, de cieux véritablement féeriques. Parfois, “l’azur phosphorescent de la mer des Tropiques” illumine si bien l’horizon qu’on croit apercevoir, montant de l’océan, les étoiles nouvelles dont rêvaient les Conquérants de Hérédia. Une île où il fait beau la nuit*!
Du 6 au 10 août 2008, sur le sable de la Ravine Blanche, à deux pas du lagon, des artistes aussi captivants que Dionysos, Cocorosie, The Do, Bumcello, Brisa Roché, Keziah Jones ou Lo’Jo vont se succéder en plein air, au milieu des grands filaos qui longent le bord de mer. Cette programmation éclectique, on la doit à un illuminé, un bâtisseur passionné, Jérôme Galabert, qui s’est dit, en dépit des difficultés dûes à l’éloignement: “Je vais le faire”.
Depuis cinq ans, il organise, à 9000 km de Paris, malgré des frais d’approche exorbitants, et la frilosité de partenaires institutionnels qui ne semblent pas avoir tous pris conscience de l’enjeu touristique que représente le Sakifo, une manifestation d’envergure et de qualité qui n’a rien à envier aux “gros” festivals européens. L’occasion, qui plus est, pour Firmin Viry, Danyèl Waro, Lo Griyo, Nathalie Natiembé, Davy Sicard ou Zong (qui incarnent l’identité réunionnaise dans ce qu’elle a de plus métissé, de l’ancestral maloya aux beats électro de Yann Costa) de recevoir des confrères musiciens du monde entier, de leur révéler l’âme créole et de jouer à domicile, dans un cadre idéal, devant un public insulaire en quête de sensations et de découvertes.
L’osmose est si particulière qu’ils sont nombreux à vouloir revenir, certains pour des collaborations artistiques (Nathalie Natiembé avec Bumcello, Émilie Loizeau avec Danyèl Waro)! La Réunion porte alors bien son nom. Quant au festival Sakifo, il en est une illustration concluante.

Baptiste Vignol

* d’un autre poète, Vincent Witomski.

Le site du Sakifo

Le music-hall d'Assayas





















« Moi j'aime Juliette Gréco
Mouloudji, Ulmer, les Frères Jacques
J'aime à tous les échos
Charles Aznavour, Gilbert Bécaud… »
Moi j’aime le Music-Hall, Charles Trenet, 1955

Étonnant comme Michka Assayas, dont on peut supposer qu’il connaît un peu la Chanson, étant l’auteur d’un indispensable Dictionnaire du Rock paru chez Robert Laffont, peut dire – et signer, ce qui est plus contrariant – de grossiers contresens dès lors qu’il s’aventure dans le domaine des variétés.
Dans son billet consacré au dernier album de Camille, le remarquable MUSIC HOLE (VSD, 30 juillet 2008), il écrit: “Face à un talent aussi exceptionnel, on est forcément casse-pieds. Bien plus qu’avec une bonne élève laborieuse. […] J’avoue que quand elle s’adonne à ses jeux de mots et allitérations rigolotes, je me renfrogne un peu, parce que ça me fait penser aux Frères Jacques.”
Il a tort. Et ça n’est pas être “casse-pieds” que de le souligner! Mais peut-être n’a-t-il jamais vu un spectacle des Frères Jacques? Ce serait regrettable, car Michka Assayas aurait pu les applaudir, leur tournée d’adieu s’étant achevée en 1982… Il avait alors 24 ans. Peut-être ce journaliste ne connaît-il point encore l’œuvre du quatuor? Ce serait plus gênant pour quelqu’un qui prétend y chercher une référence. À moins qu'il n'ait parlé sans réfléchir, comme ça, pour faire son Jacques… Ce qui serait lamentable.
Rappelons-lui que les Frères Jacques élaboraient leur répertoire avec tant d’humour, de brillance et de poésie qu’ils furent fêtés, trente ans durant, dans les théâtres du monde entier. Interprètes de génie, ils étaient admirés et servis par Raymond Queneau, Serge Gainsbourg (dont ils créèrent Le poinçonneur des Lilas), Boris Vian, Francis Blanche, Bernard Dimey - que des tocards!-, sans oublier Ricet Barrier, Georges Brassens, Charles Trenet ou Boby Lapointe.
Se souvient-il, le chroniqueur, que le quatuor en collants noirs chantait si bien les chansons de Prévert que le poète s’en montrait fier? “Aux feux de la rampe, écrivait-il, les Frères Jacques allument un vrai feu de joie et les planches brûlent en crépitant, et ils dansent autour en chantant.”
Voilà qui vaudra toujours plus qu’un satisfecit de Michka. Mais peut-être Jacques Prévert est-il ringard au regard d’Assayas?

Baptiste Vignol

Chanson sans calcium
Stanislas (avec Brigitte Bardot)

La réalité du marché
















Le box-office est l’échelle de succès (des spectacles) d’après le montant des recettes. Au cinéma, il délivre chaque semaine le classement des films les plus vus selon le nombre d’entrées. Le monde de l’édition n’hésite pas non plus à publier ses résultats, pour vanter un carton, ou regretter un bide. Bien entendu, l’industrie musicale possède aussi son palmarès, établit ses classements, fête ses succès en octroyant des disques d’or (75.000 exemplaires vendus), de platine (200.000) et de diamant (750.000). Mais elle rechigne, au nom d’on ne sait quelle pudeur, à dévoiler ses chiffres de ventes. Ils sont pourtant plus édifiants que jamais.
Voici donc le détail des 15 premiers du Top 200, c’est-à-dire des albums vendus en France - ici entre les 20 et 26/7/2008. Ainsi que celui des 3 derniers. Pour se faire une idée…

1 Coldplay VIVA LA VIDA : 14264
2 Carla Bruni COMME SI DE RIEN N’ÉTAIT : 13354
3 Laurent Voulzy RECOLLECTION : 10181
4 Francis Cabrel DES ROSES ET DES ORTIES : 7767
5 Christophe Maé MON PARADIS : 6210
6 Christophe AIMER CE QUE NOUS SOMMES : 6194
7 Duffy ROCKFERRY : 6174
8 Julien Doré ERSATZ : 6170
9 Mika LIFE IN CARTOON MOTION : 6097
10 Vox Angeli VOX ANGELI : 5065
11 William Baldé EN CORPS ÉTRANGER : 4444
12 Slai CARAÏBES : 4033
13 Pascale Picard ME, MYSELF & US : 3885
14 Renan Luce REPENTI : 3877
15 Alain Bashung BLEU PÉTROLE : 3063

198 Vampire weekend VAMPIRE WEEKEND : 285
199 Buika NINA DE FUEGO : 284
200 Tokio Hotel ZIMMER 483 : 283

Ci-après, le classement, au 30 juin 2008, des 10 meilleures ventes de CD de janvier à juin 2008. Les "artistes" français ayant sorti un album entre janvier et mai 2008 y figurent à la suite.

1 Les Enfoirés LES SECRETS DES ENFOIRÉS 2008 : 392522
2 Francis Cabrel DES ROSES ET DES ORTIES : 371019
3 Amy Winehouse BACK TO BLACK : 274405
4 Renan Luce REPENTI : 255241
5 Christophe Maé MON PARADIS : 239483
6 Mickael Jackson THRILLER : 187964
7 Duffy ROCKFERRY : 184976
8 Raphaël JE SAIS QUE LA TERRE EST PLATE : 168060
9 Mika LIFE IN CARTOON MOTION : 156340
10 Madonna HARD CANDY : 163001
11 Vox Angeli VOX ANGELI : 150732
12 Alain Bashung BLEU PÉTROLE : 138148
14 Bernard Lavilliers SAMEDI SOIR À BEYROUTH : 125488
20 Grand Corps Malade ENFANT DE LA VILLE : 106253
23 Cali L’ESPOIR : 92248
37 Léa Castel PRESSÉE DE VIVRE : 64009
42 Camille MUSIC HOLE : 55481
44 Maxime le Forestier RESTONS AMANTS : 53086
48 Psy 4 de la Rime LES CITÉS D’OR : 49972
52 Isabelle Boulay NOS LENDEMAINS : 48067
58 Saez SAEZ : 43471
70 Juliette BIJOUX ET BABIOLES : 32479
80 Tunisiano LE REGARD DES GENS : 29114
84 Berry MADEMOISELLE : 27044
109 Liane Foly LE GOUT DU DÉSIR : 20351
110 Louisy Joseph LA SAISON DES AMOURS : 20227
121 Daniel Darc AMOURS SUPRÊMES : 18118
139 Sébastien Tellier SEXUALITY : 16120
158 Georges Moustaki SOLITAIRE : 13727
173 Jean-Louis Murat TRISTAN : 11651

Sans commentaire.

Pas de quoi pavoiser




















“Pitié pour cette chanteuse qui voudrait tant être Barbara, et qui n’est que Carla Bruni!”
Il faudrait être malhonnête pour décrier ainsi le dernier album de la Franco-Italienne, même si la fredaine du CD est cette pale copie (Péché d’envie) où elle plagie la Longue Dame brune... Quand elle s’y frotte, Bruni fait du sous Barbara! Que le bon dieu lui pardonne cette vanité saugrenue.
Pour le reste, COMME SI DE RIEN N’ÉTAIT est un bon disque de variété, dont les médias n’auraient pas (tant) parlé si l’ancien mannequin n’avait épousé Nicolas Sarkozy. Qu’en dire alors, succinctement?
Les chansons d’abord, qui ressemblent à leur interprète: brillantes mais convenues. La voix ensuite, qui dévoile des limites contrariantes quand il s’agit de servir les mélodies. Michel Houellebecq enfin, dont on s’aperçoit qu’il ferait un parolier hors norme.
Un dernier détail s’il vous plaît: 14 100 CD se sont vendus après deux jours d’exploitation, glissant l’opus à la 3ème place du Top. Un résultat décevant, quand on sait que, sur la même durée, en avril dernier, Madonna en avait écoulé 37 000 unités (HARD CANDY). Un bilan pathétique si l’on se souvient que Renaud avait dépassé le cap des 100 000 ROUGE SANG (2006) deux jours après sa parution, ou que Francis Cabrel n’avait mis que 48 heures, en 1994, pour écouler 300 000 exemplaires de SAMEDI SOIR SUR LA TERRE.
Bref, et au risque de se répéter, COMME SI DE RIEN N’ÉTAIT n’est pas le carton annoncé, ni le flop que d’aucuns espéraient. Il ne fait qu’entériner cette incroyable déconvenue de l’industrie musicale – qui fait comme si de rien n’était : le disque se meurt. Vive la chanson!

Baptiste Vignol