"Y en a pour qui c'est pas grave..."

 

Depuis le 11 novembre 2021, Lynda Lemay s’est mis en tête de sortir onze albums de onze chansons inédites en 1111 jours (autrement dit en trois ans). Un projet farfelu auquel elle a donné pour nom générique «La vie est un conte de fous». Une idée folle, gargantuesque, intenable, qu’elle relève haut la main, avec un souffle étonnant. Le monde, Quand j’te vois, La gardienne, La grande question, Je t’oublie, Ta robe figurent parmi les perles qu’abritent les cinq premiers recueils*, qu’elle recrée sur scène, selon ses envies du soir, puisque Lynda Lemay accomplit en parallèle de ce périple marathonien une longue tournée française, belge, suisse et québécoise, qu’elle pare d'escales à l’Olympia – la prochaine est programmée en décembre 2023. Le sixième opus (sur onze) vient de paraître, il s’intitule IL N’Y A QU’UN PAS. Il comporte son lot de perles adamantines, taillées avec un style propre à la Québécoise, inimitable, ciselé, dont l’inspiration survole toutes les thématiques, sans éviter les plus périlleuses, avec la grâce de l’albatros fendant l’air des quarantièmes rugissants. Notons Les Fourmis s’en vont sur le sort que nos sociétés laissent aux « anciens », Le bijou sur l’excision (intense moment de son tour de chant), Parle-moi sur les violences conjugales… Pourtant, c’est une chanson simplissime, La Mangue, interprétée à la guitare acoustique, qui nous prend à la gorge par son évidente poésie, sa glaciale actualité. Qui d’autre que Lynda Lemay pour chanter aujourd’hui avec autant de sensibilité (sans une once de sensiblerie) la cherté de la vie qui oblige tant de parents à d’insupportables sacrifices sur l’alimentation de leurs enfants? Qui d’autre qu'elle pour déplorer avec une émouvante humanité la misère qui ronge nos pays? «Pour faire le plein d'ma bagnole / Faut que j'coupe sur les biscuits / Même la crème glacée molle / C'est rendu qu'c'est hors de prix»... En somme, quelle chanteuse, quel chanteur en France aurait pu écrire La Mangue, avec cette netteté, cette sobriété, ce réalisme-là? Renaud. Celui de Son bleu. Renaud, oui, et pis c’est tout.

Baptiste Vignol

* IL ÉTAIT ONZE FOIS, HAUTE MÈRE, À LA CROISÉE DES HUMAINS, DES MILLIERS DE PLUMES, DE LA ROSÉE DANS LES YEUX
 
 

100% intimiste

L'idée géniale de Nicolas Maury d’avoir demandé à l’hyper talentueux Olivier Marguerit (À TERRE !, sorti en 2019, était une merveille pop) d’écrire (il est l'auteur de trois textes captivants, Prémices, Tout et Paris), de composer et d'arranger l’intégralité des quatorze titres de son premier album. LA PORCELAINE DE LIMOGES est un disque somptueux, d’audace, de poésie moderne, de liberté, de profondeur et d'élégance. Certaines chansons rappellent l'insolente beauté des premiers Daho (période Arnold Turboust), suaves, érotiques, doux et dansants. D’autres percent des fenêtres sur des paysages inconnus de la chanson française, que la plume cinématographique de la réalisatrice Shanti Masud détaille d'un œil neuf, comme le fit à sa façon, littéraire, Philippe Djian quand il devint le binôme de Stephan Eicher. Le chanteur, Nicolas Maury, parfait dans son rôle d'interprète (on retrouve bien sûr la justesse du comédien, l'art d'exprimer les choses), signant également les paroles de trois bijoux (Porcelaine de Limoges, À ma fenêtre le matin, Vers les falaises) beaux et limpides comme des larmes. Quand ils sont modelés avec tant de finesse, les sentiments intimes font des chansons imparables. Jamais lourdes, mais légères. Et lumineuses.

Baptiste Vignol