Il faudra bien qu’un jour les commentateurs considèrent l'attelage composé par Philippe Djian et Stephan Eicher comme l’égal des grands tandems (Plante / Aznavour, Delanoë / Bécaud, Lanzmann / Dutronc, Mitchell / Papadiamondis, Roda-Gil / Clerc, Souchon / Voulzy, Daho / Turboust) qui ont irrigué la Chanson française d'indémodables standards. Avant Philippe Djian, de nombreux écrivains se sont essayés à la chanson. Peu l’ont fait avec constance. Très rares étant ceux qui obtinrent le succès radiophonique, le hit qui sublime l’œuvre et pénètre l’inconscient populaire. Il ne suffit pas d’être un grand romancier pour savoir faire sonner les mots. Depuis MY PLACE en 1989, l'auteur de "37,2 le matin" a signé pour Stephan Eicher plus de cinquante poèmes sur lesquels l'Helvète polyglotte a posé ses musiques chevaleresques. Extraits. Déjeuner en paix (« J'abandonne sur une chaise le journal du matin / Les nouvelles sont mauvaises d'où qu'elles viennent...»), Pas d’ami (comme toi) (« Quand tu traverses la pièce / En silence, que tu passes devant moi / Je regarde tes jambes / La lumière tombant sur tes cheveux...»), Tu ne me dois rien (« On ne refait pas sa vie / On continue seulement / On dort moins bien la nuit / On écoute patiemment / De la maison les bruits / Du dehors l’effondrement...»), Ni remords, ni regrets (« Il n'a aucune chance avec elle, je l'ai prévenu / Mais il veut essayer quand même, il est têtu...»), Dis-moi où (« J’interroge le coussin tiède / Que tes fesses ont imprimé / Quelques fois je touche des lèvres / L’eau de ton bain parfumé…»), Si douces (« Si douces sont / Tes aisselles / Et tes cheveux sentent si bon…»), etc. Autant de complaintes stylées, dans le choix du vocabulaire, la rime inattendue, la crudité des sentiments, l'évidence des images, l'humeur orageuse, les couleurs dépeintes (« Que le ciel vire au lilas / Et que tu te lasses de moi…»), l’érotique tension, la souffrance à fleur de peau. Mars 2022, Stephan Eicher fait son retour avec un EP, AUTOUR DE TON COU. Quatre splendeurs «parolées» par son complice, son frère d'âme, qu’il offre gratuitement sur internet. Chansons d’époque, d’effroi («… et nous comptions nos morts…»), de suffocation, de chute et de solitude, à l’heure du sans contact. « C’était bizarre de se regarder sans se voir »… Un chanteur, c’est d’abord une voix. Et celle de Stephan nous est cher. Pourtant, comment se réjouir qu’un artiste de cette dimension diffuse ses chansons pour peau de balle, comme s'il les jetait au vent?