Recherche Cédric Atlan désespérément


Tombé avant-hier sur ÉLÈVE INDISCIPLINÉ, PENSE TROP AUX FILLES (2003), le premier disque de Cédric Atlan. Dix pop-songs quasi-exemplaires, lumineuses, sexy ("Alors elle m'embrasse enfin/ Et m'embrasse encore, encore et encore..." Tort), entêtantes, concernées ("Le mollah Omar, Oussama, jamais, ne se sont cachés/ C'était caché, c'est pas bien" Q.I.), gentiment tourmentées ("Je cherche une femme-allumette/ Qu'on craque et qu'on jette/ Pour faire guili le dimanche/ Est-ce que je suis normal ?" Suis-je normal ?), citadines ("En attendant vendredi/ Enfin là, la vie, la vie redevient supportable..." En attendant vendredi) et colères ("Envie de décaler la plage/ À coups de pieds sourds dans le sable..." Nianiania), parmi lesquelles un mini-tube, Enfin on plaît aux filles, dont le refrain faisait : "D'abord on Playskool/ Puis on Playmobil/ Puis on playstation et puis cool/ Enfin on plaît aux filles", et deux véritables chefs-d'œuvre - le mot est pesé, l'irrésistible Elisabeth ("Elle est parfaite, de face et de fesses...") et À 3 grammes et demi du matin ("Je dédie cette cuite/ À toutes les petites/ Qui un jour dans les yeux/ M'ont dit “je te quitte, c'est mieux comme ça...”") dont Atlan demeurera l'éternel auteur-compositeur. Deux chansons adamantines, astucieuses, éperdument modernes qui, venues d'Angleterre, auraient fait le tour de la Terre.
C'était l'époque où l'on était quelques-uns à penser qu'Atlan et Alizée incarneraient la variété made in France post-2000. C'était avant que Julien Doré ne se fasse remarquer en reprenant Moi... Lolita une barrette (bien ouèj) dans les cheveux. Qu'est devenu Cédric Atlan ? Il avait à lui-seul la justesse, le talent et la finesse d'écriture d'une armée de juliens dorés, l'envie (peut-être) d'en découdre en moins. Le drame des surdoués.

Baptiste Vignol

L'image, mec!


Toutes les critiques sur BICHON, le nouvel effort de Julien Doré, insistent sur la réussite commerciale du précédent, ERSATZ (2008), qui se serait vendu, assurent-elles, à 300.000 exemplaires. Les journalistes, qui ne prennent même plus la peine de vérifier leurs sources... En vérité, ERSATZ s'est écoulé à 200.000 unités, un score déjà honorable. Alors pourquoi entrer dans le jeu des maisons de disques qui, comme chacun sait, gonflent les chiffres de vente?
Au petit jeu des 5 étoiles pour noter un album de chansons (x = nul, xx = médiocre, xxx = passable, xxxx = bon, xxxxx = très bon), BICHON obtiendrait péniblement 2 étoiles et demi, victime des flottements de son maître car Julien Doré s'engouffre dans des impasses, ne sachant trop sur quel pied chanter, pose et compose, alors qu'il devrait tout axer sur l'interprète qu'il est.
Quand il prend la plume (quatre titres sur l'album, Baie des Anges, BB Baleine, Bleu canard et Bergman), Doré se caricature, enfile dans des textes décousus, sans intrigue ni trame, des poncifs et des références censées lui donner quelque épaisseur, mais nous les brise au final, tellement elles sont prévisibles chez un ancien étudiant des Beaux Arts (Klimt, Picasso, Dali, Schoppenhauer, Bataille et Breton). "Aujourd'hui, c'est très branchouille de dire: “ok, je chante des chansons, mais attention je suis pas con, j'ai lu des livres et j'aime Deleuze. Je trouve ça très casse-couilles" notait Juliette dans Serge (février/mars 2011).
Une question en passant : comment Julien Doré a-t-il osé proposer à Françoise Hardy (et comment a-t-elle pu accepter?) d'interpréter avec lui le grotesque BB Baleine?
Julien Doré complexe un brin sur l'étoffe textuelle des Gainsbourg, Jean Fauque et Katerine, alors il force dans la métaphore, l'association d'idées, d'assonances, et finit par se perdre dans l'emploi abusif de l'adjectif rance! "Une VHS un peu rance" (Bergman) - comment pourrait-elle l'être ?; "Parle-moi de ce rien qui fait que tout est rance" (Glenn Close)... Le petit rien qui pose problème chez Doré, c'est qu'il n'ose pas tout à fait, obsédé par son image, cherchant à dominer l'art du dérapage contrôlé qu'hélas, il ne maîtrise pas...
S'il s'aventure dans d'inédites postures, en l'occurrence un léchage de périnée (ah! les fameuses "rondeurs périnéales" qu'évoquait Nabokov, si peu décrites dans le domaine de la chanson...), c'est sous l'emprise de son idole, Philippe Katerine, qui lui donne un Homosexuel tout droit sorti semble-t-il d'un vieux cahier du Nantais. Ceux qui se souviennent du Katerine période 91-96, quand on croyait poindre en lui un nouveau Fou chantant, le reconnaîtront illico dans cette chansonnette que Doré s'avère incapable de s'approprier. Mais dès lors qu'il est aux commandes, Doré se retient et fait montre d'une consternante pruderie dans Golf Bonjovi par exemple : alors qu'il avait la place de shooter, dans ce morceau sur un mec largué par sa belle : "Il en a une plus grosse que moi", Doré se contente d'un insipide et mollasson "Ouais, il a de plus belles mains que moi." Ouaf, ouaf...
L'image, mec !, qu'il clippe avec adresse, mais au nom de laquelle il se moule et se ratatine dans les normes idiotes du show-biz à la française dont on espérait justement qu'il les contre. Pour expliquer la présence - inutile - d'Yvette Horner ("Elle me met hors nerfs" disait Charles Trenet), que le chanteur salue dans ses "crédits" d'un très parisien "mon” Yvette" (cette maladie qu'ont les gens du spectacle d'accoler devant le prénom de personnes qu'ils connaissent souvent à peine le possessif "mon" un tel, "ma" une telle, comme si elles leur appartenaient), Doré commente dans les Inrockuptibles: "Je voulais un solo d'instrument sur Homosexuel. J'avais déjà utilisé le saxo sur Bergman et la police du bon goût me tournait autour. Parce que vraiment, dans la chanson aujourd'hui, le saxo est banni. Ce solo d'accordéon, c'est un pied de nez." Doré, coincé par la police du bon goût. Le vrai geste de dérision, de liberté, aurait été d'aller au bout de ses idées, et d'utiliser le saxo, même s'il est "banni" par le petit monde des variétés. Benjamin Biolay, qui ne s'encombre pas de telles œillères, a fait du saxophone l'un des instruments phares de LA SUPERBE sans que nul ne s'évanouisse...
Finalement, BICHON est "sauvé" in extremis par les trois chansons d'Armand Melies (Laisse Avril, Vitriol, Glenn Close) qui, elles, tournent rond, l'incendiaire Roubaix mon amour signée Natacha Lejeune, la chanteuse de Oh la la !, et l'extrait Kiss me forever où Doré balance: "Tiens, les clés de la Punto/ L'amour est dans le coffre/ Y a mon disque de Renaud/ Tiens d'ailleurs je te l'offre". Un garçon aussi maniéré qui, en 2011, convoque le souvenir du Chanteur énervant ne peut pas être tout à fait à détestable.
Cinq chansons passables sur treize, c'est pas bézef mais ça n'est pas si mal non plus. C'est mieux que l'autre événement musical de ce début de printemps, JAMAIS SEUL d'Hallyday, l'idole des sexas, fagoté par M et sa clique. Finalement, le meilleur disque sorti à ce jour en 2011 est la réédition du BEVILACQUA de Christophe, un modèle du genre, libéré de toutes contraintes, en apesanteur, paru dans l'indifférence en 1996, introuvable depuis quelques années, remasterisé et à nouveau disponible aujourd'hui.

Baptiste Vignol

Douce France


Ces gens de trop d'importance... Un communiqué vient d'annoncer que le prochain disque de Carla Bruni ne sortirait pas avant mai 2012. Nooonnn! Son agent, Bertrand de Labbey, explique: "L'imminence de la campagne présidentielle, même si elle n'a pas encore vraiment débuté, rend tout simplement la sortie du quatrième album de Carla Bruni impossible. Quoi qu'elle chante, tout un chacun portera un regard politique sur ses nouvelles chansons. Ces dernières ne passeront pas en radio sans que l'on y voie un appui déguisé à la candidature de son mari."
La proximité du pouvoir, franchement, ça monte à la tête. "Un regard politique sur ses nouvelles chansons"... Et puis quoi encore, une lecture philosophique? Quant à l'argument massue selon lequel ses chansons, "quand elles passeront [notez le futur, ces gens si sûrs d'eux...] à la radio, etc."; il faudrait encore qu'elles y soient diffusées, ce qui demeure hasardeux. Pas sûr que Carla Bruni, quarante-quatre ans, figure vraiment dans le cœur de cibles des programmateurs-radios. Il faudrait dire à Bertrand de Labbey que la jeunesse 2011, qu'elle se trouve à l'est, au nord, au sud ou bien à l'ouest des Alpes, est plutôt branchée Jessie J...
À moins que cette dépêche ne soit une astuce pour convaincre en douce les Français que malgré les déroutes électorales de la droite, les défections à l'UMP et les sondages éliminant Nicolas Sarkozy dès le premier tour de la prochaine présidentielle, le chef de l'État serait encore dans la course élyséenne. Une manœuvre qui fait pschitt et ne dupe personne car s'il est une certitude aujourd'hui, c'est bien celle de sa défaite. Carla Bruni a tort de temporiser. Les dés sont jetés. Qu'elle fredonne sans finasser ses chansons. Aussi jolies soient-elles, elles n'auront aucune incidence sur le destin de son mari qui, comme annoncé, pourra après son "job de président" "faire du fric" et mener la "dolce vita". Le joli programme, qui l'aura carbonisé.

Baptiste Vignol