The french singer


The Guardian, The Independant et Clash magazine ont fait de CHRIS leur disque de l’année 2018. Pour The TimesGirlfriend est la plus belle chanson des douze mois écoulés. Faut-il encore évoquer les innombrables revues anglo-saxonnes qui ont honoré la fille aux cheveux courts, ou bien alors le New York Times qui l'a mise à sa Une? Héloïse Letissier vit à Paris. Elle mesure trois centimètres de plus qu'Edith Piaf et peut chanter en anglais. A l’instar d'Aznavour qui, au début des sixties, entama une carrière internationale en faisant traduire ses succès, la chanteuse explose les frontières. Une Nantaise, reine du monde? De quoi pouffer en sourdine... Mais la voilà qui triomphe ! Femme volcan. Un seul pays fait encore la fine bouche, le sien. Les Inrocks ayant même trouvé le moyen de ne pas placer CHRIS dans son top 50 (mais BROL d’Angèle n’y figure pas non plus…). Les 18 et 19 décembre derniers, la star donnait deux concerts à l’AccorHotels Arena, l’ancien Bercy. Show fabuleux. Contemporain, dépouillé, athlétique, théâtral, mordant, lumineux, pictural, féminin, animal, open et souriant. Quatre ans après la sortie de CHALEUR HUMAINE, Paris (qu’elle tutoie) l’aura redécouverte bouche bée. Dans la fosse, seul lieu de vérité, c’était soirs de marée : l'amour, le désir ondulaient. Ne pas louper la captation disponible sur le Net, on y voit, et c'est admirable, l’intensité que l'artiste met dans chaque seconde de sa performance. Ce qui se passe sur son visage quand elle ne chante pas est aussi remarquable que ce qu’elle dégage en chantant… Mais où diable cette jeune femme a-t-elle pu trouver la lumière pour éclore subitement en un avatar aussi rayonnant? Eprise de perfection, Chris invente. C’est une aventurière, qui salue ses idoles. Bien sûr West Side Story, bien sûr Beyoncé, bien sûr Michael Jackson… Mais on perçoit aussi dans la richesse de son personnage le soleil noir de Barbara pour sa folie douce et la justesse de ses apartés, le charisme d’Edith quand elle chante a capella, la fièvre de Diam's... Racines françaises. Au fan qui, le 19, lui tendit un gobelet de bière, Chris répondit, légère : « Je ne bois que de la tisane au thym ». L’éclat de son sourire, son air presque perdu après ses chansons les plus physiques laissent à penser que c’est dans la pureté de ses envolées, qu'elles soient vocales ou chorégraphiées, que Chris trouve son oxygène, sa raison de vivre. « Je suis votre dévouée » lança-t-elle avant de quitter la scène. Puis, en courant vers le noir : «C’était Christine and the Queens pour ton divertissement!» Grandiose.

Baptiste Vignol


And the winner is...

(Photo Lara Herbinia)

En dégainant IL FRANCESE de son fourreau, Murat prouve qu’après quarante ans de chevauchée musicale, on peut encore épater son monde et retrouver dans un geste princier la place d’un condottiere dont l’esprit rebelle et la foisonnante culture imposèrent longtemps le respect avant qu’il ne devienne, par mégarde, le temps d’une parenthèse hasardeuse, au début des années 2010, le «dézingueur» patenté du champ des variétés. Murat, pour le quidam, avait alors, façon Biolay, le profil du grognard qui visait juste sans doute, mais que ses soutiens historiques, froissés par ses saillies (dont ils n'étaient pas épargnés), avaient abandonnés, au premier rang desquels les bidasses des Inrocks dont les critiques bébêtes occultaient désormais l'intrépide liberté qui n'a pourtant jamais cessé de caractériser l’œuvre du prophète auvergnat. Car la poésie terrienne de Murat, de lave et de lichen, a toujours pris le chemin des poneys, échappant à la foule des rimailleurs tout autant qu'elle méprise les vers acrobatiques, salonnards et léchés qui lessivent tout propos. La chanson de Murat brûle d’amour, de flashs et de fièvre, du friselis des feuillages au faite des hauts peupliers, d'haleines chaudes, de chagrins et d'humidités, portée par une voix dont la sensualité n’a pas d’égale dans nos contrées. Mylène l'avait compris la première. Et c’est avec Je me souviens, ce chef-d’œuvre cardinal – la chanson de l’année, qu'il revient sans se camoufler dans un clip pourpre où l'homme du Cézallier arbore en pleine soixantaine une allure, un regard, une sérénité impeccables. Pourtant, les fonctionnaires du show-biz qui votent en cette fin d’automne « gilet jaune » afin d'élire les prochains candidats aux Victoires de la Musique l'ont évincé d’entrée du cours ordinaires des nominations… Tout est donc définitivement dit sur la paralysie faciale d'une cérémonie à bout de souffle. Se rappeler qu’avec Je me souviens Murat liquide le troupeau. Droit sur sa selle.

Baptiste Vignol



Immortel


Après L’IMPRUDENCE paru en octobre 2002, Alain Bashung, au fil de diverses sessions en studio, enregistra une trentaine de chansons pour ébaucher ce qui serait son dernier album, BLEU PETROLE, sorti le 24 mars 2008. Bien entendu, par la force des choses, la majorité de ces maquettes fut écartée. Les onze qui se trouvent sur le disque étant l’œuvre de Gaetan Roussel, Gérard Manset, Joseph D’Anvers et Armand Melies, Bashung ne cosignant que trois musiques. Dix ans plus tard, un « nouvel » Alain Bashung vient de tomber du ciel, arrangé par Edith Fambuena, une proche du chanteur puisqu’elle avait œuvré sur FANTAISIE MILITAIRE (1998) et L’IMPRUDENCE. Que faut-il penser, sur le principe, d’un projet qui prend corps neuf années après la mort de son interprète? La question s’est déjà posée après la sortie chez Barclay de cinq chansons enregistrées par Jacques Brel en même temps que celles qui figurent sur le 33 tours bleu ciel des Marquises mais dont Brel avait précisé qu’il ne souhaitait pas qu’elles paraissent un jour… Forcément, ça crée un malaise. Mais voilà, EN AMONT, commercialisé le 23 novembre 2018, et vendu une semaine après sa sortie à 30 000 exemplaires, propose parmi ses onze titres inédits cinq dignes d’évoluer à leur guise dans les eaux denses et lustrales du fleuve Bashung. Alors ça crée de l'émotion. Car l’on ne peut qu’être frappé par la voix magnétique d'Alain Bashung hissant dans son Olympe personnel Immortels de Dominique A. Avec La Mariée des roseaux et Nos âmes à l’abri, composées par Bashung sur de formidables textes de Doriand, on sait avoir ajouté deux chansons d’amour et de dépit au chapelet de nos préférées. Si l’on comprend bien les raisons pour lesquels l’ancien rockeur avait choisi de ne pas garder Elle me dit les mêmes mots, dont les paroles très borisbergmaniennes, et trop narratives sans doute pour lui plaire encore complétement, sont de Daniel Darc, difficile de ne pas l'adopter. Enfin, « Montevideo », qui semble avoir été écrite pour Johnny Hallyday, rappelle en 3’10 que Mickaël Furnon est un vrai songwriter, sous-estimé. Si le reste pêche en longueurs, poses et redites, EN AMONT s’ajoute aux grands disques d’un artiste dont l’audace était le drapeau. Son écho flottera longtemps.

Baptiste Vignol


Du soleil au néant


Nombreux doivent être encore les Français nés au virage des années De Gaulle/Pompidou qui ont gardé en mémoire les heures planantes à écouter sur leur platine CD le disque KÂMÂ SUTRÂ qu'un Michel Polnareff Royal-Monceauïsé sortit le 23 février 1990, quelques mois après être revenu sur terre, parachuté par Goodbye Marilou, ce chef-d'œuvre inspiré, sans que cela ne froisse quiconque, par le Concerto pour piano n°2 de Serguei Rachmaninov. Seuls les compositeurs de génie peuvent puiser chez les grands Romantiques sans qu’on ne les accuse de quoi que ce soit; Gainsbourg l’avait bien compris. Car Polnareff n’avait alors de comptes à rendre à personne. Sous quelle étoile suis-je né?, Love me please, love me, L’amour avec toi, Le Bal des Laze, Qui a tué Grand-Maman?, L'Homme qui pleurait des larmes de verre, Lettre à France brillaient pour lui au firmament. On se repassait donc KÂMÂ SUTRÂ avec l’envie folle de découvrir, pour ceux qui ne la connaissaient pas, l’œuvre complète du musicien, saisissant à quel point, un quart de siècle auparavant, celui qui ne se faisait pas encore appeler L’Amiral avait révolutionné la chanson française, l’emmenant vers des cieux qu’aucun vaisseau n’avait exploré. Une question se pose aujourd’hui : que pensera la jeunesse qui, poussée par on ne sait trop quelle curiosité, jettera (peut-être) une oreille sur ENFIN !, l'effarante bouse de Michel Polnareff chue dans une froide indifférence le 30 novembre 2018 après vingt-huit années de constipation créatrice? Qu’on peut ne plus être rien du tout après avoir été immense.

Baptiste Vignol