Comme l'ont fait avant lui sur ce blog Françoise Hardy, Bertrand Louis, Lynda Lemay et Pierre Schott, Dorémus répond ici à quelques questions naïves nées pendant l'écoute de son plus récent CD.
« Quand je me douche plus d'dix minutes/ Je pense à l'ours polaire que j'bute » dites-vous dans Bilan Carbone qui ouvre 2020. Un chanteur de charme auvergnat, connu pour son goût de la provocation, affirmait récemment qu’il ne se voyait pas chanter les affres du changement climatique ou tout autre sujet sociétal, les seuls thèmes dignes d’intérêt étant selon lui l’amour et la mort (in La Montagne, 29/9/2010)… Comment vous situez-vous sur l’échiquier de la variété entre, disons, Jean-Louis Murat et Patrick Fiori ? Dorémus - Sacré Brassens, c’est facile d’avoir raison quand on est mort… Cette fameuse théorie m’a souvent agacé. C’est comme si je vous disais que seulement deux sortes de films sont dignes d’intérêt : les films d’amour et les films de guerre. C’est pas un peu con ? Peut-être voulait-il signifier que derrière chaque thème se cache forcément l’amour, ou forcément la mort ?
En tant qu’auteur, je me sens particulièrement proche de ceux qui s’expriment à la première personne, qui savent mettre un peu d’eux-mêmes dans leurs textes. Renaud, Alain Souchon, en sont deux exemples. À les écouter, je me dis qu’il existe autant de thèmes de chansons qu’il existe d’états d’âme, et que tous sont dignes d’intérêt. Peut-être en revanche n’y a-t-il que deux manières de s’y prendre : la colère ou la poésie.
Comment vont les autres ? fait l'inventaire des vices et des névroses du siècle. Faut-il vouloir se faire du mal quand on s’évertue, en 2010, à prétendre gagner sa vie en faisant le chanteur ?- Faire le chanteur ne me semble pas plus barjo qu’autre chose... J’ai écrit
Comment vont les autres ? pour me souvenir qu’il existe mille manières de souffrir, mille degrés de souffrance, et qu’on peut s’en amuser. Je crois très fort qu’être chanteur peut servir quelquefois à soulager les autres, et j’étais trop flemmard pour faire médecine.
Que conseilleriez-vous aux bourgeoises luttant contre la surcharge pondérale ? Celles qui en période de diète vont au restaurant pour manger de la soupe et racontent comment elles ont essayé tous les régimes, en vain.- Je leur conseillerais de baiser quand même.
Tu dors à contre-jour évoque l’inspiration, fulgurante parfois, qui peut s’évaporer si l’on ne la couche pas aussitôt…- Souvent, mes chansons naissent d’une phrase qui me plaît, qui tourne et revient jusqu’à ce qu’elle se trouve une copine. D’autres fois, il s’agit d’un thème que je souhaite aborder, et c’est alors moi qui tourne autour en me demandant sous quel angle il faut attaquer.
Je n’écris pas facilement. Je profite donc à fond des moments précieux où « ça » vient, et cette question de l’écriture revient régulièrement dans mes chansons. Dans le meilleur des cas, la musique vient en même temps que le texte, mais ce sont souvent des chantiers parallèles. Et puis, il me faut une muse… ça simplifie bien des choses.
En parlant de muse, parmi les quatre grandes muses de la chanson française (Lolita S., sa maman, Brigitte B. et Charlotte G., une quinzaine de perles à elles quatre...), laquelle vous arrive-t-il de fredonner?- Tiens c’est drôle, hier j’avais
En cloque en tête un bon moment…
Des dizaines de chansons ont été écrites sur Paris, dont quelques monuments (Revoir Paris de Trenet, À Paris de Lemarque, Il est cinq heures de Dutronc, Rouge Gorge de Renaud, Rive gauche de Souchon…). La vôtre s’inscrit sur cette avenue. Remarquablement écrite, orageuse, intrigante et moderne, elle offre des images inédites (« J'aime Paris, j'aime Paris, j'aime Paris !/ Quand un orage éclate/ Ouragan aux Abbesses/ Silence de mort aux Halles/ Pour une fois que Barbès, tiens/C'est Palais Royal ! »). Comment vous est venue l’idée d’ajouter un titre à une liste déjà bien embouteillée ?- C’est une amie chanteuse, Chloé Robineau, qui m’a suggéré d’écrire sur Paris un jour que je devais être particulièrement grincheux. J’avais déjà noté que chaque fois qu’un orage éclate à Paris, la ville se transforme et flotte hors du temps. Et j’ai commencé à faire ce tour d’horizon du Paris que je déteste et que j’aime à la fois.
La quantité de chansons qui a été consacrée à Paris ne m’a pas fait peur, au contraire, je suis heureux d’avoir apporté mon modeste caillou à l’édifice. En revanche, tout ce que j’avais à en dire a fait que cette chanson m’a demandé du temps.
Une chanson qui ne tombe pas dans le « concours de calembours bébêtes » ! Clin d’œil vachard au père Perret (Bercy Madeleine) et Marc Lavoine (Paris)?- C’est cela. Je ne voulais pas me laisser aller à une chanson jeux de mots ou « place dropping ». Avec tout le respect et l’admiration que j’ai pour Perret, ce n’est pas ça que je voulais raconter de Paris.
« Pauv' vieux, va/ Qu'est-ce tu veux, quoi/ T'as la loose !/ Y m'en arrive une, y t'en arrive douze ». Voilà le refrain de ce qui pourrait être un tube radiophonique… Une chanson rigolote, une mélodie entêtante, qui rappelle les premiers succès de Renaud. Pas envie parfois de secouer les programmateurs radios ?- Si.
Un « non » sec et définitif, à la Yann Moix, aurait eu de l’allure!... Bien des peintres ou des plasticiens ont consience d’être incompris, de ne pas coller à l’époque, d’être en avance, ou en retard, et s’en accomodent. Tous les écrivains sont persuadés d’avoir écrit un chef-d’œuvre mais savent qu’il y a peu de chance que le grand public en profite. Grace aux radios, le succès populaire est à portée d’oreilles des chanteurs ! Pourtant ce ne sont pas toujours les chansons les mieux écrites qui en bénéficient… Question au créateur: quand on écrit T’as la loose, pense-t-on à l’hypothétique succès en se disant: « Tiens, j’ai un tube », ou cette chanson n’est-elle qu’un titre parmi dix autres ?- Au diable le panache, je ne suis pas un peintre ni un romancier, je fais de la chanson, art mineur immédiat, populaire et ancré dans son temps plus qu’un autre. Être incompris ne satisfait personne mais ce n’est pas mon cas, puisque vous êtes là !
Les radios sont un très bon moyen de se faire connaître, et par conséquent de faire de belles tournées. C’est aussi une priorité, un enjeu important dans cette industrie, impossible de l’ignorer quand on travaille au quotidien avec une grande maison de disque.
J’ai conscience que les grandes radios nationales ne peuvent favoriser que peu de jeunes auteurs compositeurs. Mais ce n’est jamais assez, c’est vrai. Pour ma part je suis diffusé régulièrement, je ne peux pas tout à fait me plaindre.
J’ai écrit
T’as la loose ! en hommage à un pote abonné à la poisse. Je me suis rendu compte assez vite qu’elle plaisait beaucoup, d’abord à mes copains, puis à mon public pour qui c’est devenu un hymne, chacun étant persuadé d’avoir la loose plus qu’un autre, ce qui est étonnant, et réconfortant en un sens…
De l’autre côté de l’ordi est l’autre « grande » chanson de l’album (avec Paris), car elle inaugure avec classe une thématique, celle du téléchargement illégal. « Deux secondes pour vous parler d' ma pomme/ C'est peut-être mon dernier album ». - Et oui, à ce qu’il paraît, la musique a connu des jours meilleurs. J’ai toujours eu envie de faire ce métier, et y parvenir, bon an mal an, est une grande satisfaction.
Comment sortir de la crise ? Si je savais, mon bon monsieur… Aucune idée. Le jeu vidéo va très bien, lui. Pourtant, le support est un disque lui aussi… et vachement plus cher. Je ne comprends pas tout, vous voyez il vaut mieux que je m’en tienne à écrire mes chansons.
Est-ce un sujet de conversation entre chanteurs, d’inquiètude ? Bizarre, mais on a l’impression que ce sont les anciens, emmenés par Françoise Hardy, Jean-Claude Carrière, Jean-Jacques Annaud, qui se sont d’abord mobilisés dans ce combat contre le téléchargement illégal, Françoise Hardy affirmant carrément avec courage et bon sens vouloir « défendre son gagne-pain » ! Et vous êtes le premier a avoir écrit sur ce thème.- Je suis comme un type qui serait né pendant la guerre : je n’ai pas connu la belle époque où les disques se vendaient à la pelle. Je me sens très solidaire des « anciens » bien évidemment. Il faut que les chanteurs, les auteurs, les compositeurs, soient rémunérés correctement, comme n’importe qui travaillant dur. Une société qui prend soin de ses artistes et qui protège ses fous, c’est signe de bonne santé.
C’est évident, beaucoup de créateurs souffrent, comme de nombreux corps de métier, après tout. C’est une époque difficile que nous vivons, bien qu’il soit très rigolo de tripoter un Iphone.
Il faut tâcher de ne pas avoir trop la trouille et s’efforcer, dans les moments d’optimisme, à en avoir rien à foutre, ce qui me donne l’occasion de citer Khalil Gibran : « Et qu’est-ce que la crainte de la misère sinon la misère elle-même ? »
Bien sûr qu’on en parle, entre chanteurs. Et j’ai hâte de parler d’autre chose.
Patience, jeune homme, vous avez « les deux pieds dedans », mais le marché se resaisi(rai)t, selon Pascal Nègre (cf. «Sans contrefaçon», Ed. Fayard)! Depuis hier est un duo que vous interprétez avec Luciole. Pourquoi ce sous-titre : Acte II ?-
Deux pieds dedans met en scène un ado fugueur qui s’adresse à ses parents. C’est la première chanson que j’ai écrite pour ce nouvel album, j’ai donc pu commencer très tôt à la chanter sur scène. Soufflée par un spectateur après un concert, j’ai eu l’idée d’en écrire la suite logique : la réponse des parents à leur fils :
Depuis hier, Acte II. Il me fallait donc une maman, et c’est mon directeur artistique chez EMI, Jorge Fernandez, qui m’a parlé de Luciole, que je ne connaissais pas. J’ai immédiatement aimé son timbre et son phrasé slam qui collaient très bien au débit de ma chanson. C’est une artiste qui vaut vraiment le détour et je conseille son premier album
OMBRES.
Pas commun de trouver un titre comme Calumet (« La première chose que j'touche le matin/ C'est pas une bouche rose, c'est pas des p'tites mains/ C'est pas des beaux cheveux, pas un cul/ Tout c'que j'veux, putain, c'est un putain d'cul d'joint ») qui ne condamne pas, ni n’encense, mais consigne.- C’est une chanson impudique, je le crains. On m’en a félicité comme on m’en a fait le reproche. Effectivement, ce n’est pas une prise de position sur le pétard mais un alibi pour évoquer quelques états d’âme, encore une fois…
Chose rare est la chanson X du CD. Dans le genre, vous êtes plutôt Love on the beat (Serge Gainsbourg), Pourvu qu’elles soient douces (Mylène Farmer), Je m’appelle Galilée (Renaud) ou bien Où tu n’oses pas de Lorie ?- Un choix pas évident, mais je pencherais plutôt pour Mylène sur ce coup-là. Faut pas me demander pourquoi… sans doute que je me projette, quand j’écoute une chanson X… J'aime bien Renaud mais bon…
« Tu sais les mecs causent aux filles/ Pour qu'elles se déshabillent/ Et si elles désapent les mecs/ C'est pour causer avec » (Gonzesse d’occase ). Pourrait figurer dans « Le bouquin des citations » de Claude Gagnère, chez Robert Laffont.- Quand il y a de la gouaille au cinéma, je me régale bien sûr... Mais où qu’elles soient, les belles phrases me font toujours sursauter. Dans la rue, il m’arrive de ralentir pour écouter mine de rien les conversations, et je pique plein de formules, hé hé… parfois les poètes s’ignorent.
Vous dites sur scène, pour présenter 2020, que lorsque vous l’avez faite écouter à Renaud, il n’a rien compris à la chanson. Détail rassurant pour ceux qui dans votre public ont beau l’écouter mais ne la comprennent toujours pas! De quoi parle-t-elle?- Il s’agit d’une lettre que j’écris à moi-même, et qu’il ne faut pas lire avant 2020. Certaines chansons sont immédiates, d’autres nécessitent plusieurs écoutes, ont plusieurs degrés de lecture. Il y en a même parfois auxquelles on ne comprend rien, mais qu’on adore, pas vrai ?
Concernant vos débuts, Sarclo, la guitare, Renaud, tout ça, c’est de la légende ?- Quand j'ai dit à Renaud récemment que cette histoire, ça allait faire cinq ans, il a ouvert de grands yeux et nous nous sommes dit que le temps, décidément, ce petit enfoiré, passe vite… Cette rencontre a été un coup de pouce extraordinaire pour ma carrière. Jusque là, ça se passait pas trop mal, je chantais dans les petits lieux parisiens et le "métier" commençait doucement à s'intéresser à moi, comme je m'intéressais à lui.
En Suisse, j'ai fait la rencontre de Sarcloret, un chanteur comme on n'en fait plus et ami de longue date de Renaud. Sarcloret cherchait un prétexte pour me faire rencontrer Renaud. Il m'a alors confié une vieille guitare, une jolie Martin des années 1930, que j'ai été chargé d'aller remettre à Renaud. C'était déjà pour moi un sacré événement bien sûr. Mais, pas fou, entre vouvoiement et intimidation, j'ai eu le cran de lui filer en même temps mon disque autoproduit,
PAS EN PARLER. Il a d'abord râlé en me faisant comprendre qu'il ne l'écouterait probablement pas, mais a commencé à lire les paroles devant moi... bonjour le slip... Puis il a relevé les yeux, m'a serré la louche... Deux jours plus tard il m'appelait pour me proposer de devenir mon producteur. Re-bonjour le slip (un autre).
Ce que j'aime aussi beaucoup dans cette histoire c'est que cette amitié dure, que nous avons appris à nous connaître - ce qui n'est pas évident tous les jours. Sarcloret m'a fait là un des plus beaux cadeaux de ma vie.
Pour finir en beauté, vous avez la possibilité d’obtenir l’un des trois avantages suivants. Lequel ne choisissez-vous pas? Le déhanché de Shakira. La voix de Marc Lavoine. Une nomination aux prochaines Victoires de la Musique catégorie “Révélation de l’année” puisque le Prix Constantin n’a pas jugé bon vous retenir.- Le déhanché de Shakira sans hésitation. Je n’en suis pas loin, j’ai un cul d’enfer. Et le reste devrait suivre…
(entretien Baptiste Vignol)
Photos Dimitri Coste