La Folle-Fontaine


Des images nous arrivaient. D'elle, dans un monastère. Recouverte d'un tissu. Décoiffée par le vent. Charnelle et vivante. Il n'y a que Murat, qu'elle, pour avoir le cran d'assumer ça. Rester moderne dans de vieilles pierres. Dont la surface est mouchetée d'un lichen sombre. Se souvenir de la Roche-Charles... Ne pas chanter pour tromper ses regrets ni remâcher ses rêves. Mais pour dire ce que nous sommes encore, sans tics, d'une voix saine. Ancrée dans le domaine laiteux des choses intemporelles. En résistant à la sécheresse, au gel comme aux grandes chaleurs médiatiques qui ne sont que bulles de savon, ces gens-là nourrissent la chanson. Intempestifs, hors les modes. Si loin des menus applaudissements du Bottin. Les mijaurées peuvent donc aller se recoiffer. Et les pignoufs boutonner leur chemise. Camille est de retour.

Baptiste Vignol

Le pouvoir d'une chanson


Les Francofolies ouvraient hier, 10 mars 2017, un nouveau chapitre de leur histoire en créant une édition du festival sur l'île de La Réunion. Et pour lancer les festivités, Jane Birkin chanta «Serge», of course, accompagnée par l'Orchestre de la Réunion et le pianiste Nobuyuki Nakajima. Bien sûr, a priori, on pourrait croire qu'on en a soupé du Gainsbourg, que rien n'égalera jamais l'original et que Jane, il fallait la voir au Bataclan, en 1987, lorsqu'elle triomphait avec Quoi, et qu'elle reprenait chaque soir, boulevard Voltaire, Avec le temps dans une version à faire passer Léo pour un clown. Concert dont la mémoire est encore couronnée d'or... Si Birkin a remplacé le standard de Ferré par Pull Marine (pas franchement réussie), ajoutant également à son répertoire la déchirante Amours des feintes qu'elle n'enregistrera qu'en 1990, les chansons présentées, trente ans après le Bataclan, sont à peu de titres près resté les mêmes. À la fin du concert, quand Jane Birkin eut regagné l'ombre des coulisses, l'orchestre joua La Javanaise, et le public se mit à chanter le refrain. D'une seule et superbe voix. «Nous nous aimions / Le temps d'une chanson...» Instants magiques en ces mois pathétiques d'élections outrageuses où chacun espère en ne pensant qu'à lui... Combien étaient-ils sous la lune? 3000 peut-être. Sauf qu'on avait l'impression d'être au cœur d'une foule de 50.000 volontaires. Alors Birkin est revenue accompagner le public. Ici, derrière et là, de jeunes gens pleuraient. 
Pour la seule grâce de ce moment, il fallait que les Francos jettent l'ancre à La Réunion.

Baptiste Vignol


Charismatique idole


— S'agit-il du nouvel album de Rose Laurens dont on n'avait plus de nouvelles depuis la sortie de L'ABSENCE en 1990 ? Beau disque d'ailleurs auquel participaient Francis Cabrel et Jean-Jacques Goldman.
— Non.
— De Desireless alors, qui aurait convaincu Jean-Michel Rivat de reprendre le chemin des studios !
— Non. 
— Et si c'était une compile d'inédits enregistrés en 1986 par Julie Pietri dans la foulée d'Ève, lève-toi ? Il suffit simplement d'écouter Un autre que moi !
— Non plus...
Donner sa langue au chat et découvrir sur la pochette du CD le visage d'une jeune femme, toute en sourcils. Le nez long domine le portrait. Ses yeux clairs ont l'éclair du lièvre surpris dans le collet…


Son nom ? Fishbach. Vous n'aurez pas à déployer de grands efforts pour le retenir puisqu'il s'imposera de lui-même, cloué s'il le fallait par le clip d'Y crois-tu (comment ne pas imaginer l'agacement ressenti par Mylène Farmer quand elle l'a découvert ?) et 17 sera son année. Après, nous verrons bien... Reste pourtant ce constat: ce qu'on nomme désormais pompeusement de l'«électro-pop» pour qualifier la musique d'une chanteuse qui, lit-on dans les Inrocks, «évolue en toute liberté», n'était aux temps glorieux d'Étienne Daho, de Niagara et des Rita Mitsouko que de la «variétoche». Le médiocre de jadis serait donc la crème du moment. Lorsqu’ils consentent à parler de chanson française, les critiques aujourd'hui ont la légèreté du quinze tonnes. Manquant de culture, ils prennent leurs enthousiasmes pour de la vérité pure.

Baptiste Vignol

En tous points parfait


Il porte un joli prénom, Baptiste «Winchester» Hamon. Et son premier album, L'INSOUCIANCE, renvoie, grâce à la beauté de sa voix, chaude et réconfortante, l'aube du vieux rêve américain qui fait de nos vies un miroir où les espoirs de grands espaces, d'amours pâles et de liberté se peignent un instant avant de finir, toujours, par glisser. «Danse ma belle / Nous ne faisons que passer…» chante-t-il dans Joséphine qui lance le disque avec l'efficacité d'une tornade. Dans le genre country-folk, le répertoire français comptait-il pareille réussite, où tout rayonne parfaitement l'Amérique du terroir et l'été en pente douce? Le jeune trentenaire a enregistré son disque à Nashville avec des musiciens du cru, et ça s'entend! Baptiste Hamon n'est pas Lilian Renaud, alors, au fil de ces onze chansons à l'impeccable poésie (le choix des mots, les images), l'on verra passer Wagner, Kropotkine, Faulkner, Alan Seeger, Catherine Deneuve et Marlon Brando sans que cela ne verse jamais dans le name dropping. Avec Terpsichore (muse mythologique de la danse), Hamon – ou l'amant qu'il incarne – recense ses conquêtes: «J'ai pris les seins de Diane / Touché les jolies joues de Flore / Mais ce qui ranime ma flamme / Ce sont les pieds de Terpsichore…», et c'est délicieux! «Ses pieds de diamant rose / Qui passent et qui me frôlent / Comme une hypnose»… Dans It's been a while aussi, qu'il interprète en anglais et en duo avec la très belle Caitlin Rose, Hamon, ça n'est pas qu'un détail, parle d'un certain John Prine («I got Paris and John Prine on my mind / Still feeling blue…»). Comment ne s'agirait-il pas du moustachu de l'Illinois dont l'album THE MISSING YEARS demeure un soleil qui jamais ne se couche? Ouais, Baptiste W. Hamon sait de quoi il chante. Il fait aussi partie de ceux qui, sans frime, colorent la chanson avec une admirable luminosité.

Baptiste Vignol