Les élans de Circé



Sur la pochette de FEMME LOUVE (signée Charles Hilbey) une déesse en cheveux, Lilith, prêtresse des plaisirs charnels, maintient ouverte sans frayeur et de ses doigts délicats la gueule d'une femelle sauvage, les oreilles baissées, le regard soumis et les crocs énormes. Voici le deuxième album de Circé Deslandes, et ceux qui avaient eu vent du premier, ŒSTROGENÈSE, l'attendaient en se demandant vers quel sous-bois mystérieux, humide et moussu, elle pourrait aujourd'hui nous entrainer. Onze contes composent cette échappée fredonnés d'une voix douce qui semble goûter chaque syllabe comme on croque dans un fruit mûr. Circé Deslandes n'a pas la reconnaissance que ses audaces et son talent méritent. Elle est pourtant la chanteuse française la plus poético-fertilo-dingue et neuve des années récentes. L'écouter, c'est partir en plongée, équipé d'un scaphandrier, au cœur d'une féminité mise à nue. «Je caresse les astres rouges / Et les soleils mouillés / Dans les algues folles / De ma psyché…» Ses chansons crues, hors format, conçues avec Mathieu Calmelet, ne rappellent personne. Jamais elles ne passeront à la radio. Trop intelligentes. Trop écrites. Trop légères. Trop politiques. Trop dérangeantes. Ce qui n'est que gâchis quand on voit l'artiste sur scène, impérieuse, dans des vidéos. Il faut donc sans tarder s'immerger dans sa musique bleu marine avant qu'un jour, elle ne décide de se tourner vers la littérature, qui, moins pudibonde, lui ouvrira grand les bras.

Baptiste Vignol


Comme un cadeau tombé du ciel


C'est une «Whispering production» précise le très beau clip tourné par Juan Sebastian Torales. Un projet qui porte bien son nom puisqu'on y découvre Fred Métayer chuchoter La Chanson de Prévert de Serge Gainsbourg. Ce qui est presque toujours risible, et navrant, avec les reprises qu'on nous sert à la télévision, dans les émissions comme The Voice ou La Nouvelle Star, c'est que les candidats au succès n'ont jamais l'âge ni les épaules pour reprendre les standards que la production leur impose et qu'immanquablement ils abiment à coups de gueulantes sirupeuses devant des coaches qui, puisqu'ils sont payés pour ça, feignent l'émotion, debout, au bord des larmes. Du grand guignol. Fred Métayer démontre ici ce que c'est que de se glisser dans un chef-d'œuvre comme dans une veste de soie, avec délicatesse, et légèreté. Écoutez-le s'emparer des paroles, entendez son jeu de guitare, regardez-le, avec sa gueule d'acteur, de héros mycénien, échapper à tous les tics gainsbourriens, pour délivrer, sans frime aucune, la plus belle version du standard depuis celle de son créateur. Bizarre alors qu'avec un tel talent, Fred Métayer, qui pourrait chanter du Springsteen en français sans que ça ne fâche personne, ne soit pas harcelé par les directeurs artistiques.

Baptiste Vignol


Complètement à la rue


Il y a des chanteurs qui traversent la vie comme les hommes politiques en restant à l’abri du froid, de la faim et des sombres réalités du turbin quotidien. Voilà qui pourrait expliquer que certains trouvent très amusante l'idée de dormir sur un canapé dans la rue. Mais un beau canapé alors, pour ne pas salir le joli stylisme à la mode. On voit que le quartier est populaire. Et le chanteur pense l'être encore. Malgré ses semelles immaculées qui démontrent à quel point il est hors-sol... Il ne restait qu’à convoquer un photographe pour relancer la collection «Clochards» que John Galliano avait conçue pour Dior. Clic, clac. Et le tour est joué! De quoi sourire à pleines dents. C'est consternant, moche et triste à pleurer. Une question demeure: comment une élucubration pareille peut-elle se concrétiser sans que personne, à un moment, ne dise: «Stop!» ? Proches, entourage professionnel, patron de label… En vérité, les artistes qui ont trop embrassé le pouvoir, ça ose tout et c’est même à ça qu’on les reconnait.

Baptiste Vignol


Biolay met le frein à main


Un an à peine après son précédent album, PALERMO HOLLYWOOD, sorti en avril 2016, dont Biolay défendit avec panache les couleurs argentines sur les planches de la salle Pleyel, le tombeur est de retour, avec VOLVER, sur la pochette duquel il se présente amaigri, rajeuni, costumé tel un ministre en marche et coiffé comme un enfant de chœur. Seize chansons composent le CD. C'est six de trop, notamment celles où le chanteur rappouille... Au verso, l'emballage précise: «Palermo Hollywood Volume 2». Est-ce à dire que les morceaux qui se trouvent ici furent écartés du précédent? On peut hélas le penser. Si «Biolay bande encore» titrait un billet consacré à la sombre sensualité de PALERMO HOLLYWOOD, celui-ci s'appellera «Biolay met le frein à main» comme il s'en vante lui-même dans ¡Encore Encore! où, s'inspirant vaguement de Je t'aime moi non plus, il tente, si l'on en croit les applaudissements qui revêtent cette forfanterie, de se faire passer pour un étalon: «Même si la mer se retire / Moi je rentre et je sors / Un peu encore / Je rentre et je sors / Je mets le frein à main / Le frein moteur / J'accélère / Je sens battre ton cœur». Grotesque. Sous la plume fatiguée d'un Gainsbarre en fin de course, ce texte aurait fini chiffonné au fond d'une corbeille à papier avant même d'être terminé... Les plages se succèdent ensuite, à marée basse, et l'on aimerait pouvoir souffler au compositeur: «Les musiques, Benjamin. Les musiques d'abord!», tant VOLVER en manque, tant l'artiste se caricature, ce qui n'est pas bon signe. Et puis, comme souvent avec l'énergumène, BB dégaine la perle, on en compte deux ici, qui mettent tout le monde d'accord: La Mémoire et Sur la comète. Alors on pense: «Putain, le talent...» Et l'on se souvient d'un vieux duo de Gainsbourg avec Catherine Deneuve, et de son titre, qui, en le détournant quelque peu, demanderait, comme une prière, au futur coach de La Nouvelle Star: «Souviens-toi de ne pas t'oublier.»

Baptiste Vignol

Pour l'amour d'elle


Quelques mois après le formidable hommage d'un ogre à son amie (GÉRARD DEPARDIEU CHANTE BARBARA), ce sont maintenant treize femmes qui, vingt ans après son envol, saluent (sous la direction musicale de l'immense Édith Fambuena) celle qui symbolise la chanson féminine à son zénith. Zazie, jolie surprise, ouvre donc le bal, pertinente et rageuse (voilà ce qu'on attend d'elle), en reprenant La solitude. Viennent ensuite Jeanne Cherhal, émouvante, juste et délicate dans sa version de Nantes, Julie Fuchs qui, de sa voix céleste, sublime Gottingen et Dani, la fatale («Qu'on m'amène ce jeune homme…»), inattendue mais parfaite dans le cadre ombrageux de ce bijou instantané que demeure l'épatante Si la photo est bonne. Une entame exemplaire qu'Angélique Kidjo, aussi scintillante qu'une étoile, africanise en s'attaquant au nervalien Soleil noir! Brillant. Si Nolwenn Leroy (Dis, quand reviendras-tu?) chante comme chantent celles qui gagnent des télés-crochet, la voix farcie de chantilly, Louane, à sa manière, unique, presque détachée, s'approprie Mon enfance, allumant même ici des feux insoupçonnés. Quant à l'actrice Virginie Ledoyen, elle fait plus qu'étonner avec Cet enfant-là, elle émerveille. Mais alors, pense-t-on, qui donc a pu se risquer à chanter L'Aigle noir, l'autre chef-d'œuvre tragique, avec Nantes, de la Longue dame brune? L'aiglon Juliette Armanet. Il existe des standards vertigineux dans lesquels il vaut mieux ne pas trop se lancer quand on n'est pas (encore) un as de la voltige... Et l'on regrette ici les absences de Catherine Ringer et de la Grande Sophie. Par-delà trois ou quatre trous d'air, voilà donc le tribut, le gage d'admiration, d'amour à Barbara qu'il faut se procurer. Tout autre, s'il s'en trouve, paraitra bien pâlot.

Baptiste Vignol