Ne vous devons-nous point hommage?

Comment rester en phase avec la chanson française quand on vit à 9000 km de Paris ? En allant sur le site de Yves Le Pape qui propose tous les jours une sélection des articles récents parus dans la presse et sur la toile.
Gilles Médioni officie à L'Express. Il a dîné avec Charles Trenet, déjeuné avec Jean Ferrat, obtenu en tête à tête les confidences de Céline Dion et interviewé Jean-Jacques Goldman. Un journaliste sérieux auquel les têtes d'affiches de notre variété n'hésitent pas à s’ouvrir. Medioni tient également un blog, mais qui n'en tient pas ? All Access a ceci d'agréable qu'il ne vous éclabousse pas de « moi-je ». Pas d'auto-gloriole, d’« untel est décédé et c'est moi qui l'avais découvert », de « voilà mon dernier bouquin » (spécialité de Bertrand Dicale, mais on lui pardonne car Bertrand excelle dans son sujet) ou du risible « je me suis fâché avec Zazie » comme l'annonce Emmanuel Marolle visiblement rentré de mauvais poil de ses vacances d’été.
Les articles de Gilles Médioni parlent de chanson, sans prétention, font découvrir des artistes méconnus et vous laisse branché sur l'actualité musicale. Ainsi Gilles révélait-il tantôt qu'à l’occasion des cinquante ans de carrière de Johnny Hallyday, une compilation de ses chansons période 66-69 venait de paraître en Angleterre : LE ROI DE FRANCE ! Un titre choisi en référence au tout premier hommage à Johnny, chanté par son camarade Long Chris : À la cour du Roi Johnny (1964)? Un album de J.H. au pays des Beatles et des Rolling Stones...
Médioni mentionne au passage quatre chansons signées Antoine (Les élucubrations), Katerine (Le rêve), Tom Poisson (Le Trapéziste) et Cali (Il y a une question) qui ont contribué, parmi tant d'autres, à faire du «rockeur» le pivot d’une thématique à part entière du répertoire francophone. Preuve que Jean-Philippe Smet, dont 95% de la production sont pourtant à jeter, a planté ses racines dans l’histoire du notre music-hall. Comment expliquer ce prodige, cette endurance, ce succès ? Le charisme. Doublé d’une sincérité contagieuse.
« Combien de jours de deuil à la mort de Johnny ? » (Il y a une question) demandait Cali en 2003. On fut à deux doigts de le savoir en décembre 2009 quand, alors que Johnny Hallyday était plongé dans le coma à Los Angeles, la France de Claire Chazal vivait au rythme des courbes de température du héros belge, tandis que Patrick Bruel et Nikos Aliagas poireautaient devant sa chambre du Cedars-Cinaï et que le gouvernement songeait à rapatrier la dépouille du chanteur dans l'avion présidentiel et présenter son cercueil sur les Champs-Élysées ! C'est dire l'ampleur du personnage. Et la délicatesse de nos dirigeants.
Médioni a raison. Il faudrait sortir une best-of des titres écrits en l’honneur de J.H., avec les morceaux sus-cités puis, en vrac, l’enamouré Johnny SP.69.603/11 de Christine Lebail paru en 1964, Johnny, merci (1966) d’Eddy Mitchell, le prophétique Hallyday, le Phénix de Michel Sardou qui date de 1973 (« Comme cet oiseau sacré/ Ressemble à s'y méprendre/ À ta vie, à ton sort,/ Depuis le temps qu'on crie ta mort »), Johnny (1981) de Gilbert Montagné bien sûr, l’indispensable Et Johnny chante l’amour (1995) d’Enrico Macias, l’authentique 29 août 2000 au Théâtre Saint-Denis (2002) de Lynda Lemay, le sceptique Johnny à Vegas (2009) de Michel Delpech et l’irrésistible Faut pas dire du mal de Johnny (2006) de Loïc Lantoine, la chanson la plus punk jamais écrite sur l’Idole des vieux.
Un détail pour finir qui pourrait enchanter les fumeurs de pipe : encore plus qu’Hallyday, Georges Brassens a inspiré la veine chansonnière, et l’on recense des dizaines de chansons-hommage dont voici douze titres explicites. Cela ferait un séduisant pot-pourri, donc un chouette cadeau à offrir * !

1. À Brassens Jean Ferrat (1963)
2. Brassens et Gainsbourg Robert Pico (1965)
3. Eddy Cochrane, Buddy Holly and Brassens Salvatore Adamo (1972)
4. Les amis de Georges Georges Moustaki (1974)
5. Georges Pierre Vassiliu (1983)
6. La visite Maxime Le Forestier (1988)
7. Monsieur Brassens Philippe Forcioli (1990)
8. Un jour tu es parti Georges Moustaki (1995)
9. Allo viens, je m’emmerde Pierre Louki (1997)
10. Brassensienne Jacques Bertin (1998)
11. Sète Francesca Solleville (2000)
12. Le veuf Alexis HK (2004)


*Idée déclinable avec Jacques Brel, Léo Ferré, Serge Gainsbourg...

Baptiste Vignol

Vous avez dit Flaubert?


Comment remettre Flaubert au goût du jour? En exhumant d’une correspondance oubliée un détail qui ferait aujourd’hui caution. Depuis ses années lycée, Nicolas Sarkozy a-t-il jamais lu du Flaubert ? La question pourrait se poser puisqu’il s’est fait élire à la présidence de la République en expliquant aux Français qu’il partageait avec eux les mêmes idoles, Marc Lévy pour la littérature et Johnny Hallyday pour la variété. Depuis qu’il a épousé Carla Bruni, ses références auraient pourtant bien changé, il lirait maintenant Céline, cite en exemple « La vie est belle » de Frank Capra et adorerait Georges Brassens. Bon. Bien. Mais Gustave Flaubert, là-dedans ? Minute, papillon ! Allons-y par des chemins de traverse…
Nicolas Sarkozy connaît-il cette chanson d’un ancien moustachu qui dit: «Y a un panneau depuis:/ “Stationnement interdit”/ Comme s’il y avait eu la peste !/ T’as plus qu’à chercher ailleurs/ Des gens qui auront moins peur/ En espérant qu’il en reste…» ?
Elle s’appelle Gitans, date de 1985 et figurait sur l’album PHOTOS DE VOYAGE de Francis Cabrel. Quinze ans auparavant, Jean Ferrat (dont Nicolas Sarkozy dit au lendemain de sa mort, le 15 mars 2010: «Avec Jean Ferrat, c’est un grand nom de la chanson française qui disparaît. Chacun a en mémoire les mélodies inoubliables et les textes exigeants de ses chansons, qui continueront encore longtemps, par leur générosité, leur humanisme et leur poésie à transporter les âmes et les cœurs, à accompagner aussi les joies et les peines du quotidien») prédisait déjà dans sa moustache : «Le ciel se fait lourd, les roses se fanent/ Nous vivons le temps des derniers tziganes» (Les derniers Tziganes, 1970), ceux-là dont Léo Ferré rappelait en 1962, longtemps après avoir rasé la sienne, de moustache : «Ce sont nos parents anciens/ Ces Indo-européens» (Les Tziganes).
Ferrat, Ferré, Cabrel… Le rapport avec Flaubert? On y vient. En 1867, l’écrivain rapportait à son amie George Sand : « Je me suis pâmé, il y a huit jours, devant un campement de Bohémiens qui s'étaient établis à Rouen. Voilà la troisième fois que j'en vois. Et toujours avec un nouveau plaisir. L'admirable, c'est qu'ils excitaient la haine des bourgeois, bien qu'inoffensifs comme des moutons. Je me suis fait très mal voir de la foule, en leur donnant quelques sols. Et j'ai entendu de jolis mots à la Prudhomme. Cette haine-là tient à quelque chose de très profond et de complexe. On la retrouve chez tous les gens d'ordre. C'est la haine qu'on porte au Bédouin, à l'Hérétique, au Philosophe, au Solitaire, au Poète. Et il y a de la peur dans cette haine. Moi qui suis toujours pour les minorités, elle m'exaspère. Du jour où je ne serai plus indigné, je tomberai à plat, comme une poupée à qui on retire son bâton. »


Prenant connaissance de ces lignes - via Pierre-Marc de Biasi, le spécialiste de Flaubert s’il en est -, le site Rue 89 s’est empressé d’en faire sa tribune du 31/08/2010. Certains objecteront que la posture de Flaubert est évidemment celle d'un nanti qui ignore tout des nuisances causées par la présence de ces campements dont il ne voit, comme le touriste de passage, que ce qui, pour lui, est poésie; d’aucuns soulignant par ailleurs qu’Apollinaire a lui aussi traduit de façon quasi idéale la poésie du mode de vie du peuple Rom, également appelé Gitans, Tsiganes, Manouches, Romanichels ou Bohémiens, et dont l’estimation du nombre varierait aujourd’hui de 6 à 15 millions.
Avec plus ou moins de poésie, d’angélisme et parfois de démagogie, la chanson s’est elle aussi laissée porter par l’errance nomade. De Tino Rossi (la Bohémienne aux grands yeux noirs, 1936) à Mano Solo (Les Gitans, 2000) en passant par Mouloudji (Mon pote le gitan, 1954), Dalida (Les gitans, 1958), Leny Escudero (Le bohémien, 1974), Zebda (Le manouche, 1998) ou le répertoire de Titi Robin. Mais s’il fallait ne retenir qu’une chanson, ce pourrait être Salut Manouche (1979) de Renaud, pour cette entame imparable rayon "je pose le décor" : «Quand tu t’es pointé sur la zone/ Qui pousse au pied d'mon HLM,/ Tu as garé ton vieux Savième/ Près d'un pylône./ Z'aviez rangé vos caravanes/ Comme les chariots dans un western,/ Soudain dans ma banlieue minable/ C'était moins terne./ Toi, ta famille, tes chiens, tes mômes,/ Tes copains, tes frangins, tes poules,/ C'est comme une grande bouffée d'ozone,/ Quand ça déboule »… Et ce quatrain, poignant parce qu’inattendu : “Si tu r'tournes bientôt aux Baumettes/ Essaie d'dire bonjour à mon vieux/ Dis-y qu'j'ai r'trouvé ses lunettes/ Au d'sous d'son pieu. » De la belle ouvrage.
Installés en Europe depuis le XVème siècle, les Roms pourront, dès 2012, selon les lois européennes, résider où bon leur semblera dans l’Union. Pourtant, coup d’épée dans l’eau, la France les chasse aujourd’hui à grand renfort de communication ! Au nom de quelle urgence? De quelle stratégie? De quelles augures? « Je ne serai tout de même pas assez stupide pour demander à une gitane de me révéler mon avenir » écrivait Pierre Mac Orlan - qui fut aussi formidable parolier - dans son roman la Bandera (1931). Nul ne saurait non plus le conseiller à Nicolas Sarkozy…

Baptiste Vignol