Charlotte Gainsbourg, une chance qu'on l'a !


Dans son album IRM, Charlotte Gainsbourg reprend Le Chat du Café des artistes de Jean-Pierre Ferland. Si de nombreux spécialistes se sont étonnés de ce choix, ils en ont tous profité pour présenter le québécois (merci Wikipedia) sur l'air du "Moi, je l'ai toujours adoré". Hum ! Ce qui est véritablement étonnant, c'est que l'œuvre de Jean-Pierre Ferland n'ait jamais fait l'objet d'articles prévenants dans la presse hexagonale depuis 1968 et son fameux Je reviens chez nous. Bien qu'il ait depuis publié une vingtaine de disques originaux. Cette reprise formidable de Charlotte Gainsbourg va remettre Ferland en lumière... Enfin.
Certains artistes majeurs passent à côté du grand public, ou s'en voient trop vite oubliés... Henri Tachan, Jacques Bertin, Jean Tranchant, Michèle Bernard, Pierre Louki, Giani Esposito... Jusqu'à ce qu'un collègue à la mode ne décide, par la magie d'une reprise, de glorifier le travail. N'est-ce pas grâce à Étienne Daho que Daniela Lumbroso a découvert Le Condamné à mort d'Hélène Martin? Tout comme elle connut Richard Desjardins grâce à la reprise cabrélienne de Quand j'aime une fois, j'aime pour toujours. Qu'une idole se décide de chanter Poste restante, Couleurs ou Il n'y a plus d'après, et Daniela découvrira le mélodiste génial qu'était Guy Béart. Qu'un Arthur H, qu'un Miossec ou qu'une Olivia Ruiz s'approprient L'écharpe, et l'on reparlera de Maurice Fanon. Qu'une Carla Bruni ait l'heureuse idée d'interprèter Stanislas, et Benjamin Locoge encensera l'humour délicat de Ricet Barrier. Et patati et patata.
Pourvu que Renaud, qui s'est fait une spécialité, voire un devoir, d'enregistrer (pour les "repopulariser" parfois) les chansons de son cœur (celles des années 30, du Pas-de-Calais, de Brassens et d'Irlande aujourd'hui) visite un jour Bernard Dimey. Les chroniqueurs-radio s'apercevront alors que le Montmartrois n'était pas que l'auteur de Syracuse. Pas plus que Ferland n'a simplement écrit "Fais du feu dans la cheminée/ Je reviens chez nous...".

Baptiste Vignol

Jean-Pierre Ferland, pas tout à fait n'importe qui...

"Y a deux gros tchubes!"



Il n’y a jamais eu autant de musique et d’artistes qu’aujourd’hui, et pourtant l’industrie discographique bat de l’aile. Pire, ce marché dégringole de jour en jour. Son chiffre d’affaire a perdu 60% en sept ans (il représentait 1,3 milliard d’euros en 2002, et n’était plus que de 600 millions en 2008). Pour intégrer le top des 200 meilleures ventes en France, il suffit désormais d’écouler 250 CD en une semaine. Un pari à la portée de n’importe quel candidat au casting de la Nouvelle Star. Quand il fallait il y a peu vendre 100.000 albums pour décrocher un disque d’or, 50.000 font l’affaire aujourd’hui.
Alors, à qui la faute? Les patrons de label incriminent d’ordinaire le piratage pour justifier ces chiffres, le prix du cd, le taux de TVA... Mais aucuns n’évoquent leur propre responsabilité dans ce naufrage. Eux qui depuis la mort du vinyl – et la retraite des grands directeurs artistiques dotés d’un flair redoutable - ont pris du ventre en gérant un domaine dont ils méconnaissent l’Histoire, les figures, le public. C’est sous la tutelle de passionnés, de véritables découvreurs de talents, que la chanson française a vécu son Âge d’Or (1930-1980). Car Jacques Canetti (Trenet, Brassens, Gainsbourg, Brel ou Béart…), Eddie Barclay (Dalida, Aznavour, Léo Ferré, Jean Ferrat…), Claude Dejacques (Barbara, Nougaro, Le Forestier, Yves Simon...) ou Philippe Constantin (Higelin, Julien Clerc, Daho, les Rita Mitsouko…) aimaient tellement la musique, connaissaient si bien leur époque qu’ils étaient capables de déceler le talent.
L’archétype du producteur aujourd’hui serait Valéry Zeitoun. Popularisé en 2001 par l’émission Pop Star (M6) dont il était membre du jury, l’homme a révélé Chimène Badi. Bon. Bien. Cet “éleveur d’artistes”, tel qu’il se définit (cf. Wikipédia), s’occupe du label AZ chez Universal Music France.
Pour promouvoir leurs albums, de nombreux chanteurs publient sur internet des mini-vidéos montrant les différentes étapes de leur enregistrement, de l’écriture des chansons aux dernières séances-studio, quand les big boss du label débarquent pour découvrir les nouveaux morceaux. À l’occasion de la sortie de 1800 DÉSIRS de Martin Rappeneau, on pouvait voir, sur l’un de ces films promotionnels, Valéry Zeitoun étaler au débotté son sens inné de l’intuition.
Affalé dans un canapé, devant un Rappeneau plutôt intimidé, Zeitoun, qui semblait en pleine digestion, lacha devant la caméra, avec l’autorité du spécialiste: “Y a deux gros tchubes!” Quelle perspicacité! Et Martin Rappeneau en était tout soulagé. C’est ainsi qu’on tue la chanson, qu’on malmène la création : en la flagornant parce qu’on n’a rien d’autre à lui dire.
Les jeunes chanteurs prometteurs perceront d’autant mieux qu’ils cesseront de s’en remettre à des gens qui n’apprécient la Variété que pour ce qu’elle leur rapporte ; paillettes et monnaie.

Baptiste Vignol

Y a deux gros tchubes!


UMP (Union des Musiques Pourries)


Mais que se passe-t-il à l’UMP ? Mireille Mathieu, Faudel, Enrico Macias, Johnny, Gilbert Montagné, Didier Barbelivien…. Nous connaissions déjà les vedettes de la chanson proches de notre président ; relations qui tendraient à démontrer les goûts douteux de ce dernier en matière d’art en général et de musique en particulier (je ne parle pas de Carla, le cœur a ses raisons…).
Et voilà que débarque le Clip ( lip dub) des jeunes du parti. Il faut voir et entendre ça. C’est d’un autre âge, mais pas seulement démodé. En 1980, un être humain normalement évolué et doté d’une oreille correcte aurait immédiatement repéré, déjà à l’époque, que c’était de la MERDE. (Oui, je suis trivial, mais ça le mérite).
De là à induire que pour être sensible aux idées de droite, il convient d’être, au moins, partiellement sourd, il n’y a qu’un pas. Ce pas, je ne veux pas le franchir. En particulier par égard pour Gilbert Montagné qui se verrait alors affublé d’un surplus de travail dans sa mission gouvernementale d’intégration des personnes handicapées.
Si l’ambition de cette incommodante rengaine UMPénienne était de rendre hommage au regretté C.Jérôme ou de réhabiliter le style de Sheila et Ringo, c’est encore raté ! Le texte de cette bouse fraîche ne peut rivaliser avec le charme désuet des tubes de l’époque. L’auteur de Laisse les gondoles à Venise est un incommensurable génie à côté de l’imbécile contemporain qui ose écrire pour célébrer l’UMP l’ineptie suivante «Il n’y aura pas de fin du Monde, la vie est une éternité». Je ne vais pas me rabaisser à décortiquer la crotte verbale que je viens de citer, je ne sais par quel bout la prendre tellement elle est dégoulinante de bêtise. Je crois que cette seule phrase dans une dissertation de philo mériterait que le devoir entier soit couronné d’un illustre zéro. Qu’un ministre ose cautionner une ânerie semblable me troue le cul. (Oui, je suis vulgaire, mais ça le mérite.)
J’aimerais également souligner cet autre vers (ah ! les grands mots) aussi mémorable qu’incorrect «À chaque jour l’avenir recommence». Dieu merci, ils n’ont pas demandé à Luc Chatel, ministre de l’éducation nationale, de fredonner cette absurdité grammaticale. Mais pour un gouvernement qui s’interroge sur l’identité nationale et veut imposer aux étrangers de parler notre langue, ne serait-il pas judicieux de commencer par donner l’exemple en chantant dans un français tout simplement français ?
Je n’avais jusque-là parlé que du son. Car malheureusement, il y a l’image aussi. Je ne discute pas la manière de filmer, tout le monde a le droit de commencer une école de cinéma et de s’apercevoir en cours de route qu’il n’était pas fait pour ça. Je parle de cette livraison de balais qui s’est faite au siège juste avant le tournage. Pourquoi les avoir introduits ? Hé, les jeunes militants, il faut vous décontracter du gland. (Oui, je suis grossier, mais c’est pour leur bien.) Moi qui suis antidrogue, j’ai soudain une sympathie sans borne pour les fumeurs de Gandja, les poètes alcooliques, les utopistes, les rêveurs décadents qui libèrent les mots et jonglent avec les idées. «Tous ceux qui veulent changer le monde, venez marcher à mes côtés», c’est ça votre révolution ? Vous voulez marcher ? Et aux côtés de qui s’il vous plaît ? Vous voulez changer le monde avec l’UMP ? Comment peut-on être jeune et se retrouver dans ce message vide, se reconnaître dans cette propagande sans ambition ? Ça me troue le troufignon ( Oui, je suis jeux de mots, c’est mon défaut.)
Il faudrait être un crétin patenté pour ne pas vouloir changer le monde. Autant qu’il faut être crétin pour ne pas voir que cet hymne de l’UMP n’a que l’ambition de plaire à tout le monde qui vote. Ce n’est pas un engagement politique, c’est un chant de messe. On va chanter, on va danser, il y aura de la fraternité, des chemins de liberté, on vivra d’amour, on mourra d’espérance. Et comme à la messe, il faudra espérer que le salut vienne du ciel. Ces jeunes militants ne sont que des croyants entonnant le cantique. Ils ne changeront rien bien au contraire, ils continueront, fidèles moutons, à soutenir inconditionnellement leurs chefs spirituels dans tout ce qu’ils diront. En politique, seule l’action a de la valeur et ces petites prières partisanes sont ridicules. Je vous dispense de la rime qui me vient à l’esprit et qui résume pourtant, concernant cette tentative maladroite de manipulation mentale, le sentiment qui m’habite.

Vincent BaguianJustifier

Quand Bercy chante à tue-tête


Ce concert était un moment inouï, 3 heures de tubes fluorescents et incandescents, une communion immense de l’artiste, heureux d’être là devant un public conquis, conscient de vivre un petit moment de l’histoire du rock partagée par le monde entier. Ce soir-là Bercy est bondé, plein comme une casserole de lait bouillant. Débordant de chaleur. À ma droite, une jeune fille et son père. Elle craignait que Sir Paul ne chante que ses derniers albums solo. J’avais lu dans Le Parisien (dans lequel je ne lis pas que l’horoscope) qu’il chanterait tout de même quelques airs des Beatles. Je lui ai dit. Elle m’a assuré que si j’avais raison ce serait la plus jolie nouvelle du monde et de sa (courte) vie. On sait comme les jeunes adultes ont cette propension à déclarer unique chaque moment intense de leur existence. J’espère avec elle. Parce que depuis les Wings, je ne sais rien de Paul. Rien de sa musique, de ses nouvelles compositions. Mon horloge s’est arrêtée aux albums tricolores. Un bail. Je me souviens du récent concert de Dylan, mon idole de jeunesse, qui a réussi en l’espace de 90 minutes de concert à ne délivrer aucu tube de son répertoire. Une purge digne d’un match au Parc des Princes, durée comprise. J’angoisse. Et là… Il arrive, salue et attaque par Mystery Tour cette soirée qui sera un immense hommage aux Fab 4. Un fabuleux tour de « passe passe moi le chef d’œuvre suivant que je leur offre ». La fille m’étreint de bonheur devant son père amusé. J’étais un bon oracle. Elle me devait bien ça... À ma gauche, un autre père et son fils autiste. Ils ont fait le voyage de Marseille pour la circonstance. Le garçon doit avoir dans les 20 ans. Je l’observe du coin de l’œil. Il apprécie le spectacle. Ses gestes ne sont pas d’un rythme académique mais il exulte en bougeant la tête et en souriant benoitement. Comme un bienheureux. Il l’est. Bien et heureux. Paul enfile les tubes en s’amusant de notre intense plaisir. Les people sont bien là. Ils crient leur joie comme les autres. Gerbes de feux sur Live and Let Die, l’agent de sa Majesté joue les pyromanes dans une salle qui chavire. Puis le show se fait plus intime. La fin se profile. Paul apparaît sur scène après que ses musiciens se sont éclipsés. Il est toujours sobre et élégant comme un Lord anglais. Un assistant régie s'approche et lui tend un ukulélé. Paul s'en empare, le retourne et sourit. Puis il raconte l'histoire qui précède la chanson. Un moment avec George. C’était il y a longtemps. Il avait un petit air dans la tête et juste ce petit instrument pour en faire la démonstration. Alors il gratte les cordes fluettes pour nous montrer ce que ça donnait en prévenant... : "Hommage à George".
La vidéo est une captation maladroite mais le document est magnifique, rempli d'émotion. D'abord la musique légère, accompagnée de la voix de Paul, telle que cette soirée de jadis. Il est enfermé dans une lumière crue. Seul sur scène, il égrène sa mélopée. Puis un autre instrument rajoute une ponctuation musicale, un autre guitariste apparaît sous une douche de lumière. Un troisième faisceau allume un troisième instrument pour poursuivre en apothéose. L’orchestre est à présent au grand complet et Paul a trusté son ukulélé contre une guitare. Il balance la chanson, la vraie, l’éternelle. Puis arrive l’ultime rappel. La salle retient son souffle. Il est 23h30. Les paris sont ouverts tandis que les pieds martèlent le sol devant la scène vide. Je mise pour
Love Love Love (avec l’intro en Marseillaise, je trouvais que ça faisait sens. Et puis… Love quoi !). Paul arrive dans une lumière bleutée, guitare acoustique à l’épaule. Un seul accord et mon jeune voisin autiste de gauche sourit. Il chante dans un play back quasi parfait. Et ne mâchera pas une seule parole de Yesterday, n’oubliera pas un traitre mot de la chanson qui lui a redonné la parole. Paul est décidément le plus grand des magiciens. Strawberry Fields Forever !

Xavier Cucuel

Something for George

How the life goes on


Paul McCartney et Johnny Hallyday ont le même âge. Mais ils ne sont pas du même tonneau... Tandis que l'un comatise (souhaitons-lui de se rétablir) à Los Angeles (quelle vulgarité) sous le regard protecteur de Line Renaud et Nikos Aliagas (quelle tristesse...), l'autre allumait le feu jeudi dernier à Bercy.
Nous Français de l'océan Indien, c'est décidé, prendrons l'avion de Saint-Denis de La Réunion et irons l'applaudir à Johannesburg en 2010. À moins que Jérôme Galabert ne le programme au Sakifo.

Ob-La-Di, Ob-La-Da, life goes on, brah!...
La la how the life goes on...

Live à Bercy, 10 décembre 2009