La réalité du marché
















Le box-office est l’échelle de succès (des spectacles) d’après le montant des recettes. Au cinéma, il délivre chaque semaine le classement des films les plus vus selon le nombre d’entrées. Le monde de l’édition n’hésite pas non plus à publier ses résultats, pour vanter un carton, ou regretter un bide. Bien entendu, l’industrie musicale possède aussi son palmarès, établit ses classements, fête ses succès en octroyant des disques d’or (75.000 exemplaires vendus), de platine (200.000) et de diamant (750.000). Mais elle rechigne, au nom d’on ne sait quelle pudeur, à dévoiler ses chiffres de ventes. Ils sont pourtant plus édifiants que jamais.
Voici donc le détail des 15 premiers du Top 200, c’est-à-dire des albums vendus en France - ici entre les 20 et 26/7/2008. Ainsi que celui des 3 derniers. Pour se faire une idée…

1 Coldplay VIVA LA VIDA : 14264
2 Carla Bruni COMME SI DE RIEN N’ÉTAIT : 13354
3 Laurent Voulzy RECOLLECTION : 10181
4 Francis Cabrel DES ROSES ET DES ORTIES : 7767
5 Christophe Maé MON PARADIS : 6210
6 Christophe AIMER CE QUE NOUS SOMMES : 6194
7 Duffy ROCKFERRY : 6174
8 Julien Doré ERSATZ : 6170
9 Mika LIFE IN CARTOON MOTION : 6097
10 Vox Angeli VOX ANGELI : 5065
11 William Baldé EN CORPS ÉTRANGER : 4444
12 Slai CARAÏBES : 4033
13 Pascale Picard ME, MYSELF & US : 3885
14 Renan Luce REPENTI : 3877
15 Alain Bashung BLEU PÉTROLE : 3063

198 Vampire weekend VAMPIRE WEEKEND : 285
199 Buika NINA DE FUEGO : 284
200 Tokio Hotel ZIMMER 483 : 283

Ci-après, le classement, au 30 juin 2008, des 10 meilleures ventes de CD de janvier à juin 2008. Les "artistes" français ayant sorti un album entre janvier et mai 2008 y figurent à la suite.

1 Les Enfoirés LES SECRETS DES ENFOIRÉS 2008 : 392522
2 Francis Cabrel DES ROSES ET DES ORTIES : 371019
3 Amy Winehouse BACK TO BLACK : 274405
4 Renan Luce REPENTI : 255241
5 Christophe Maé MON PARADIS : 239483
6 Mickael Jackson THRILLER : 187964
7 Duffy ROCKFERRY : 184976
8 Raphaël JE SAIS QUE LA TERRE EST PLATE : 168060
9 Mika LIFE IN CARTOON MOTION : 156340
10 Madonna HARD CANDY : 163001
11 Vox Angeli VOX ANGELI : 150732
12 Alain Bashung BLEU PÉTROLE : 138148
14 Bernard Lavilliers SAMEDI SOIR À BEYROUTH : 125488
20 Grand Corps Malade ENFANT DE LA VILLE : 106253
23 Cali L’ESPOIR : 92248
37 Léa Castel PRESSÉE DE VIVRE : 64009
42 Camille MUSIC HOLE : 55481
44 Maxime le Forestier RESTONS AMANTS : 53086
48 Psy 4 de la Rime LES CITÉS D’OR : 49972
52 Isabelle Boulay NOS LENDEMAINS : 48067
58 Saez SAEZ : 43471
70 Juliette BIJOUX ET BABIOLES : 32479
80 Tunisiano LE REGARD DES GENS : 29114
84 Berry MADEMOISELLE : 27044
109 Liane Foly LE GOUT DU DÉSIR : 20351
110 Louisy Joseph LA SAISON DES AMOURS : 20227
121 Daniel Darc AMOURS SUPRÊMES : 18118
139 Sébastien Tellier SEXUALITY : 16120
158 Georges Moustaki SOLITAIRE : 13727
173 Jean-Louis Murat TRISTAN : 11651

Sans commentaire.

Pas de quoi pavoiser




















“Pitié pour cette chanteuse qui voudrait tant être Barbara, et qui n’est que Carla Bruni!”
Il faudrait être malhonnête pour décrier ainsi le dernier album de la Franco-Italienne, même si la fredaine du CD est cette pale copie (Péché d’envie) où elle plagie la Longue Dame brune... Quand elle s’y frotte, Bruni fait du sous Barbara! Que le bon dieu lui pardonne cette vanité saugrenue.
Pour le reste, COMME SI DE RIEN N’ÉTAIT est un bon disque de variété, dont les médias n’auraient pas (tant) parlé si l’ancien mannequin n’avait épousé Nicolas Sarkozy. Qu’en dire alors, succinctement?
Les chansons d’abord, qui ressemblent à leur interprète: brillantes mais convenues. La voix ensuite, qui dévoile des limites contrariantes quand il s’agit de servir les mélodies. Michel Houellebecq enfin, dont on s’aperçoit qu’il ferait un parolier hors norme.
Un dernier détail s’il vous plaît: 14 100 CD se sont vendus après deux jours d’exploitation, glissant l’opus à la 3ème place du Top. Un résultat décevant, quand on sait que, sur la même durée, en avril dernier, Madonna en avait écoulé 37 000 unités (HARD CANDY). Un bilan pathétique si l’on se souvient que Renaud avait dépassé le cap des 100 000 ROUGE SANG (2006) deux jours après sa parution, ou que Francis Cabrel n’avait mis que 48 heures, en 1994, pour écouler 300 000 exemplaires de SAMEDI SOIR SUR LA TERRE.
Bref, et au risque de se répéter, COMME SI DE RIEN N’ÉTAIT n’est pas le carton annoncé, ni le flop que d’aucuns espéraient. Il ne fait qu’entériner cette incroyable déconvenue de l’industrie musicale – qui fait comme si de rien n’était : le disque se meurt. Vive la chanson!

Baptiste Vignol

Douce France

À vous tous, à ma douce France, merci de m’avoir accompagnée toutes ces années, de m’avoir pris la main, […] d’avoir toujours cru que, en luttant pour moi, même si la France paraissait si lointaine, nous réussirions tous ensemble à faire la différence. […] Je vais très vite être avec vous, je rêve d’être en France. […] Je vous aime, vous êtes avec moi, je vous porte dans mon sang, je suis à vous. Merci la France. Ingrid Bétancourt, mercredi 2 juillet 2008

La pléthore de refrains qui, depuis mai 68, a trouvé le succès en brocardant le pays, son pouvoir, son armée, sa police, son affaiblissement sur la scène internationale, laisse entendre que la France n’a plus rien de cette grande nation qui, autrefois, tout en se targuant de porter un message universel, parlait au monde et lui disait: “Nous tentons de construire chez nous une société plus juste, plus humaine et plus égalitaire.” Tranche de vie (François Béranger, 1969), J’m’en fous d’la France (Maxime Le Forestier, 1972), Hexagone (Renaud, 1975), Merde in France (Jacques Dutronc, 1985), La France (Zebda, 1990), Regarde un peu la France (Miossec, 1995), Un jour en France (Noir Désir, 1996), Jeune et con (Saez, 2001) témoignent toutes de ce postulat… Mais il faut dire que les Français n’ont pas l’âme patriotique ! Quand les Allemands, les Italiens, les Anglais, les Australiens portent leurs couleurs sur leurs t-shirts - ou leurs sacs-à-dos, très courant chez les routards –, quand l’Américain moyen les hisse dans son jardin, agiter le fanion tricolore s’avère suspicieux, emprunt d’un nationalisme nauséeux.
« Le patriotisme, c’est aimer son pays. Le nationalisme, c’est détester celui des autres » disait le Général de Gaulle.
Pour parler des Français, Julien Clerc précisait, sur des mots d’Étienne Roda-Gil, issu d’une famille d’exilés espagnols : « Nous avons l’amour du nid/ Que certains appellent patrie » (Terre de France, 1974). Dix-sept ans plus tard, le nom de cette chanson prendrait racine sous la plume terreuse et contemplative de Jean-Louis Murat :« Je marche au matin/ Loin des embrunts/ Sur les terres de France/ Gorgées d’innocence… » (Terres de France).
On peut donc déduire de ces deux titres honorables le droit d’avoir la fibre française, sans céder au chauvinisme paillard d’un Michel Sardou (J’habite en France, 1970 ; Le temps des colonies, 1976 ; Ils ont le pétrole mais c’est tout, 1979; etc.) ! Pourtant, les Français se sont coupés de leurs emblèmes. N’en sommes-nous pas à siffler, dans une posture anarchisante, l'hymne patriote au Stade de France ? Si le sport a longtemps été le domaine où la passion nationaliste, l’exaltation du sentiment drapeautique, s’exprimait le plus favorablement, il cristallise aujourd’hui la crainte que ne dérivent les nationalismes. En 1973 déjà, Henri Tachan soulignait : « Ce s’rait chouette les Jeux Olympiques/ Si nom de Dieu, il n’y avait/ Leurs p’tits drapeaux/ Pour chaque nation/ Qui claquent au vent/ D’une musique militaire » (Les Jeux Olympiques).

France. Ce mot résonne encore quand il est invoqué, chanté quasiment, dans la voix d’Ingrid Bétancourt au nom de ce qu’elle n’a pas fini de suggérer, elle dont le génie “défendi[t] le droit des hommes, coutumière de tous les dévouements et de tous les devoirs…” (Victor Hugo). Précédé d’un pronom possessif et d’un adjectif chaleureux, il se lustre miraculeusement et gagne la sphère poétique: “Ma douce France…” Comment ne pas penser à la chanson de Charles Trenet?
En trois mots seulement, Ingrid Bétancourt aura rendu les Français fiers de l’être. En lui clamant son amour, elle aura redonné au mot nation, sur lequel potassent des armées de polars, ses valeurs originelles, positives et libertaires, héritées de 1789. “Qu’est-ce qu’une nation?” demandait Ernest Renan. “Le sentiment de vouloir vivre ensemble.” Tout est dit.
Quelques mois avant sa libération, dans une lettre adressée à ses proches, Mme Bétancourt écrivait du fond de la forêt colombienne : «Mon cœur appartient à la France. […] Quand la nuit était la plus obscure, la France a été le phare. Quand il était mal vu de demander notre liberté, la France ne s’est pas tue. […] Je ne pourrais pas croire possible de sortir un jour d’ici si je ne connaissais pas l’histoire de la France et de son peuple. J’aime la France de toute mon âme […], j’admire la capacité de mobilisation d’un peuple qui, comme disait Camus, sait que vivre, c’est s’engager. »
Et c’est en s’engageant qu’un artiste populaire a su émouvoir l’opinion sur le sort de cette prisonnière. « Nous t’attendons, Ingrid/ Et nous pensons à toi » chantait-il humblement, « Et nous ne serons libres/ Que lorsque tu le seras » (Dans la jungle, Renaud, 2005). Libérée, ces vers devinrent obsolètes tandis qu’aux yeux du monde, le destin d’Ingrid Bétancourt semblait s’être charnellement lié à celui de la France. Cette France dont les enquêtes démontrent que son image se détériore à l’étranger, étant même passée derrière l’Espagne et l’Italie parmi les destinations touristiques favorites ! Cette France dont Time Magazine, en novembre 2007, annonçait la mort de la culture… Cette France qui, au terme d’une semaine d’émissions sur CNN International («Eye on France », du 2 au 8 juin 2008) apparaît comme un petit État aligné, n’étant même plus, pour ses voisins frontaliers, le moteur de la construction européenne. On a les chansons qu’on mérite, dit-on parfois. La France n’échappe pas au proverbe. Son plus beau chant d’amour remonte à 1969. Une éternité. Quand le plus engagé des chanteurs engagés promettait : «Du printemps qui va naître à tes mortes saisons/[…] Je n'en finirais pas d'écrire ta chanson/ Ma France » (Ma France). Revenant alors d’un séjour à Cuba (d’où il avait rapporté ses célèbres moustaches), Jean Ferrat, au nom des misérables et des travailleurs, prévenait les puissants, coupables selon lui de « crimes » et d’« erreurs » : « Cet air de liberté au-delà des frontières/ Aux peuples étrangers qui donnait le vertige/Et dont vous usurpez aujourd’hui le prestige/ Elle répond toujours du nom de Robespierre/ Ma France ».
Mais savons-nous encore qui était Robespierre ?

Baptiste Vignol

Ma France, Jean Ferrat

Melancholy of Cantona


Et si le plus grand footballeur français des années post Platini n’était pas celui qu’on croit, mais Éric Cantona ? Onze ans après sa retraite sportive, l’ancien international (45 matchs, 19 buts) a conservé toute son aura. Qu’on en juge: le 9 avril 2008, alors qu’il se trouve en Angleterre pour assister à un quart de finale opposant son équipe fétiche de Manchester à l’AS Roma, les 40 000 spectateurs d’Old Trafford, ayant remarqué sa présence dans les tribunes, entonnent une formidable Marseillaise ! Rien que ça.
Il faut dire que sa prestance d’imperator (buste dressé, menton haut, col du maillot relevé), l’autorité qu’il dégageait, sa technique balle au pied, inégalée pour un athlète de cette taille (1m88), sa vista, la précision platinienne de ses ouvertures, son efficacité face au but, ont marqué les esprits. Autant que ses coups de sang, ses déclarations fracassantes, suicidaires presque quand il traite, par exemple, en août 1988, le sélectionneur national de “sac à merde”. Une question se pose en passant: quel joueur en activité aurait ce courage aujourd’hui? Même si le courage de l’insulte n’est pas toujours une valeur sûre… Mais Éric Cantona privilégiait la réplique au ressentiment, le franc-parler à la langue de bois, l’amour du jeu à l’argent.
Suspendu par les instances officielles pour avoir, en 1991, jeté le ballon sur un arbitre, Canto rompt le contrat qui le liait au club de Nîmes, stoppe sa carrière puis se ravise en tentant sa chance outre-Manche. Il y deviendra The King, l’une des premières superstars du football moderne.
“I love you, I don’t know why, but I love you” annonce-t-il aux supporters de Leeds après leur avoir offert un titre de Champion. Cette petite phrase, prononcée avec un accent marseillais, lance la cantomania. Des chants, dont le fameux Ooh Aah Cantona, sont écrits à sa gloire, regroupés sur un cd, CANTONA THE ALBUM. À force d’exploits, d'ailes de pigeon en reprises de volées, l’inflexible n°7 séduit le public le plus exigeant de la planète et se voit nommé à deux reprises Meilleur joueur de la League anglaise.
En 1995, un partisan de Crystal Palace l’invective du bord du terrain. Sans coup férir, Cantona l’exécute d’un mawashi-geri (coup de pied circulaire). Suspendu neuf mois et condamné à des travaux d’intérêt général, il déclare à la presse: “When the seagulls follow the trawler, it is because they think sardines will be thrown into the sea” *, se lève et tourne les talons. Le panache à la cantonnade! L’inspiration du poète! L’imprévisibilité de l’artiste! Le flegme de l’Apache, qu’il a tatoué sur le cœur.
Cantona purge alors sa peine, tourne d’impayables spots publicitaires, affirme son impatience de retrouver les Bleus et signe son retour aux affaires en marquant contre Liverpool. Pourtant, lassé par le mutisme d’Aimé Jacquet, et comprenant qu’il ne serait pas convoqué pour le Mondial 98, l’attaquant tire sa révérence en juin 1997 après avoir gagné son cinquième titre d’Angleterre. Il venait d’avoir 31 ans.
Alors qu’on célèbre aujourd’hui l’anniversaire décennal du triomphe de l’équipe de France, n’est-il pas évident que l'"épopée" aurait été plus glorieuse, moins poussive (pour ce qui concerne tous les matchs qui précédèrent la finale), plus saignante et chevaleresque si Cantona avait pu la marquer de son incroyable charisme ?
Quand les anciennes stars du football se reconvertissent sans tarder dans des rôles attendus (entraîneur, agent, commentateur), le Marseillais, lui, s'est consacré au théâtre, au cinéma et à la promotion du beach soccer, convaincu que la pureté du jeu se trouve là. Avant, qui sait, de rejoindre un jour Manchester pour coacher le club de son cœur... Cantona, ou l'histoire d'un homme libre, mystérieux, qui, dix ans après s’être retiré des “pelouses sportives” chères à Charles Trenet (“J’ai retrouvé l’odeur des pelouses sportives/ Où tombe la sueur des athlètes complets/ Clair dimanche aux couleurs de maillots vert olive/ C’est dans ton souvenir que mon cœur se complaît”, 1975), demeure, et de loin, l'idole de sa génération qui a le mieux vieilli. Sans aigreur ni nostalgie.

Le 12 juillet 2008, Baptiste Vignol

* Quand les mouettes suivent un chalutier, c'est parce qu'elles pensent que des sardines seront jetées à la mer.

Cantona dans ses œuvres

Ooh aah Cantona

When the seagulls...

Conne? Loin s'en faut
























Nous n’attendions pas Emma Daumas sur ce terrain-là. D’ailleurs, l’espérions-nous quelque part ? Mais voilà qu’elle réapparaît avec un titre inopiné (J’suis conne), qui n’a rien du chef-d’œuvre mais tout d'un tube en puissance, signé Mickaël Furnon. Décidément, l’astucieuse tête pensante du groupe Mickey 3d a le chic pour trousser le refrain évident, celui qui tombe dans l’oreille et séduit par son propos désuet (J’ai demandé à la lune, Indochine) ou baroque (Je m’appelle Jane, Jane Birkin)! J’suis conne surfe sur l’image prosaïque de la blonde bêtasse, qui de surcroît coïncide avec celle d’Emma Daumas - dont on se souvient encore trop qu’elle a fait la Star Ac'… À cette approche en ricochet, Furnon ajoute un thème inusité. C.Q.F.D.!
Si les cons ont été chantés plus que de raison (le classique du genre restant Le temps ne fait rien à l’affaire de Georges Brassens), rarissimes sont les interprètes qui endossent cet état. En 1932, Marie Dubas, l’inspiratrice d’Édith Piaf, ouvrait cette voie insolite : “J’comprends jamais très bien c’qu’on m’dit/ Je suis candide comme une oie/ Ma bêtise m’est v’nue en naissant/ Et j’ai beau fouiller dans ma tête/ J’y trouve rien d’intéressant/ J’suis bête !” (J’suis bête) Soixante années plus tard, poussée par Étienne Daho, Brigitte Fontaine signait son come-back médiatique avec un mea-culpa : “Je ne sais même pas parler une langue étrangère/ Et je suis incapable de passer l’aspirateur/ Parce que je suis conne !” (Conne)
C’est aujourd’hui le tour d’Emma Daumas de s’élancer tout schuss sur ce versant pulvérulent. “J’suis conne/ Mais j’essaie de me soigner/ Les hommes/ Me voient toujours comme une poupée/ Ils regardent mon cu-rriculum/ Et ça les fait rigoler…”
C’est aussi ça, la clef d’une bonne chanson: ne pas se prendre au sérieux, faire preuve d’audace (de l’audace!), de fantaisie, et se jeter à corps perdu dans des refrains singuliers. Bien sûr, Mickaël Furnon n’a pas le génie textuel d’un Serge Gainsbourg (l’ironique hiatus marqué par la chanteuse après la première syllabe du mot curriculum fait forcément songer au maître ès-versification des variétés françaises), mais il en a la clairvoyance. Et le don de trouver les bons interprètes. Qui sait si grâce à cette chanson, et la probante rancœur qu’elle glisse avec humour dans son interprétation, Emma Daumas ne deviendra pas une sorte de BB2008 (une Bardot jeune, ça va de soi, celle des années 63, de L’Appareil à sous, de Je me donne à qui me plaît) ? Car ce titre bête comme bonjour pourrait bien la déprendre de l’image caricaturale qu’elle trimballe depuis son passage dans le télé-crochet de TF1 et lui permettre, à l’instar de sa consœur Olivia Ruiz, d’évoluer sans rougir parmi les héritières d’Yvette Guilbert qui, rappelons-le, brodait d’or les grivoiseries qu’elle chantait.

Baptiste Vignol

Du pur Christophe















Dans un article consacré au chanteur Christophe (Les Inrockuptibles, 1er au 7 juillet 2008), on peut lire: “Au serveur qui lui demande ce qu’il désire boire, Christophe répond de sa voix de tête légendaire et de son phrasé heurté découpant chaque mot en saccade: "Vous n’avez pas de jus de caramel?" Manifestement perplexe, le serveur répond par la négative d’un hochement de tête. "Tant pis. Alors une coupe de champagne. Sans glaçons." On ignorait, reprend le journaliste, qu’on puisse boire du jus de caramel, ou même du champagne avec des glaçons, mais ce n’est pas la première fois que Christophe nous étonne.”
Pour le faire patienter, alors qu’il avait rendez-vous avec Jacques Sanjuan, directeur artistique chez Universal, Laurent Balandras, alors assistant de Sanjuan, demandait au chanteur lunaire s’il désirait boire quelque chose. “Un Coca, s’il vous plaît. Mais tiède, le Coca. Tiède.” Le jeune homme s’était trouvé fort embarrassé : réchauffer une canette de Coca glacé n’est pas chose commune… C’était en 2000, quelques mois avant la sortie de l'album COMM’ SI LA TERRE PENCHAIT; on avait oublié qu’en des temps plus affranchis, quoi qu'on die *, un patron de bistro, gros et poilu comme il s’en trouvait dedans Paris**, proposait à ses clients pour leurs sandwiches, un épatant pâté de lapin, pur porc !***

Baptiste & Jean-Claude Vignol

*Rappelons que le fameux "quoi qu'on die", orthographe garantie!, a été en son temps le clou du sonnet d'Uranie dans Les Femmes Savantes de Molière.
**Clément Marot, Dedans Paris
***Eugène Ionesco, Tueur sans gages