Admiration

Elle n’a que trois albums et un EP à son actif mais tellement de succès que son label devrait déjà songer à sortir un best of ! D’où provient donc l'immense aura de Clara Luciani, cette élégance qui transporte les foules, ce petit quelque chose par lequel elle rayonne, dominant de sa chevelure et des épaules son sujet ? De l’impeccable veste en daim de sa voix. Du vison de ses textes où luit toujours le mot exact pour dépeindre un sentiment. De l’immédiate poésie de certaines images qui sont la trace d’une griffe invisible et visent tellement juste qu’elles se cristallisent aussitôt jusqu’à ressusciter Sagan : « C’est si fragile / Ce bonheur subtil / On voudrait le garder sous verre / On l’asphyxierait dans sa serre / Je voudrais figer / Cet instant parfait / Comme les statues de Pompéi / Enlacées pour mille autres vies » (Cette vie) – ne serait-ce que pour celle-ci qui clôt la première plage de MON SANG, merci. Du cuir souple et raffiné de ses mélodies. De cette présence tombée des nues, verticale et féline ; cette façon d’être, presqu’en recul, lunaire, qui aimante les regards. De son sourire, bien entendu, qui vous saisit comme un lasso. Et de son chapelet de tubes depuis La Grenade dont le plus récent insuffle du Courage mais qui cachent aussi des bijoux de mélancolie qui vous attrapent le cœur comme un nœud qui se serre, abordent des rivages escarpés, des forêts indociles où rampent de noires araignées et font qu’en les écoutant, qu’en se glissant dedans, l’on se sent moins seul. (Dans MON SANG, Chagrin d’ami et Ma mère ont ce pouvoir-là, net, d’une pureté coupante, qui dentèle un répertoire.) Françoise Hardy d’abord dès 1962, Barbara ensuite avec Nantes et Dis, quand reviendras-tu? (1964) puis Véronique Sanson à partir d’AMOUREUSE (1972) se sont imposées comme - et demeurent - les trois phares d’une prodigieuse lignée dont on guettait l’éclosion d'une éventuelle quatrième étoile. Et si le cœur de Clara Luciani flambait du même feu ?

Baptiste Vignol

 

 

Chanter droit

Janvier 2024. Porté par Rome, sa grenade, et sa rage salvatrice («Certains me doivent des mea culpas à genoux / Mais préfèrent cracher leur venin debout / Je mangerai leurs langues si c’est le prix du silence…»), MONSTRUEUSE, le premier EP 6 titres de Solann, fait sensation, qui compte également Petit corps, sur cette enveloppe, cet emballage d’os et de peau que nous sommes toutes et tous condamnés à porter, ou bien encore Narcisse sur le temps qui flétrit… Ce premier galop-là, d’envergure, lui aura permis de décrocher la Victoire de la Révélation de l’année – l’une des trois seules bonnes notes de cette soirée avec le tableau « cuir » de Clara Luciani et l'éclosion de Yoa. Bien entendu, on retrouve Rome et Petit corps sur l’album SI ON SOMBRE, CE SERA BEAU qui vient de paraitre. Un disque sur lequel figurent onze titres inédits parmi lesquels, notamment, outre un Préambule ensorcelant («On l’aura bien cherché / Si un jour il pleut des oiseaux / On l’aura bien cherché / Et puis si on sombre, / Ce sera beau...»), s’imposent dès leur première écoute Appelle-moi sorcière où la voix cristalline de Solann fait merveille («Si on sombre, ce sera beau, promis ce sera beau, / Ce sera terrifiant, et peau contre peau / On se mangera mon ange / Et ce sera beau»); Les draps dont on sort le cœur ballant («Certains veulent mourir dans leur lit / Moi je l’ai fait, je recommande pas l’expérience…»); l’anthropomorphique L’OiseauJe ne regrette pas mon nid / Ou mon plumage tacheté de gris / Qui vire maintenant au vermillon…») où l’héroïne finit sa vie entre des crocs; ou Marcher droit, superbe hommage à ses aïeux débarqués à Marseille d’Europe centrale. Et l’on pense à Charles Aznavour, à Barbara aussi, tant les chansons arachnéennes de Solann, sanguines, cannibales, juteuses et vengeresses, ondulent comme des serpents dans une amphore, semblent avoir été écrites à la lumière d'une bougie et sont aussi denses, sombres et lumineuses que le sont les pochettes de ses disques, d’un autre temps, mais redoutablement modernes.

Baptiste Vignol