Robi superglu

Chloé Robineau, alias Robi. Son premier EP sortira au mois d'octobre. Un album bref et perturbant. Remarquée par les Inrockuptibles, la parisienne, d'essence mascarine, concourt aux Inrockslab de septembre. Les votes sont en cours; n'hésitez pas, c'est ici.
Les titres superglu de Robi donnent envie de la connaître. Elle répond donc à quelques questions naïves nées pendant l'écoute d'un six-titres carrément novateur. Robi ? La meilleure chose qui soit arrivée à la chanson française en cette année 2011.


"Je te tue, je te tue, je te... tu es mort" (Je te tue). Dès l'entame de ce morceau d'ouverture, l'auditeur se dit avoir rarement entendu ce genre de musique, moite et sexy, chantée en français. Robi, d'où venez-vous?

Robi - Passée la petite enfance en Afrique, je vis à la Réunion où ne parviennent à moi d'où je suis, via longues ondes, que des produits tout faits et des succès de masse. Alors comme je ne m'y reconnais pas du tout, je m'enferme avec Brel, Brassens, Barbara, Ferré et Ferrat dans un dérisoire, délicieux et pathétique sentiment de supériorité. Je me sens subversive. À l'époque je lis. Je lis beaucoup. Au point d'à peine me rendre compte que je m'ennuie un peu. Il manque quelque chose. Et je ne sais rien de rien. Rien du rock alternatif, rien de la cold wave, rien du trip hop, des néo romantiques, de la scène indé. Rien. L'époque me passe au travers. Puis Paris l'attendue, le choc, la peur, le mouvement, les codes, l’incompréhension, l'hiver, le tourbillon.... Et là, la partie consciente de moi-même se sclérose et se replie sur ce qu'elle sait et rejette l'inconnu. Quand l'autre, dans l'hombre, s'en repait, insatiable et silencieuse ... Je passe donc des années dans l'ignorance de moi-même à essayer d'être ce que je ne suis déjà plus: j'écris, je chante, en pure perte, à la recherche du passé béni et sacré des anciens. Les vrais. Les purs. Et je fais un premier album auto-produit, grâce à un ami, mais trop tôt. Ce beau projet avec de belles personnes ne sera finalement qu'une caricature assez naïve. Pourtant j'ai bien des choses en tête qui m'obsèdent de plus en plus pressamment. Des bruits, des rythmes, des mélodies, des souffles de l'enfance mais je ne sais pas les traduire, je ne sais pas les dire et les vouloir. Je n'ai pas les références. Alors je confie le soin de ma musique à d'autres, brillants, nombreux, je cherche, je cherche longtemps et en vain celui qui... Voilà. Et un jour je rencontre Jeff Hallam. Il entend ce que je ne sais pas bien lui raconter et à force de comprendre il me pousse, m'accompagne et me décide: à moi maintenant de faire ma musique et fi des références, lui les a pour moi. Je découvre que mes obsessions ont des noms et un sens et je construis enfin le pont entre l'Afrique, les battements, la moiteur âpre de mon enfance, le classicisme, les mélodies, pures et rebelles, de mon adolescence et la culture anglo-saxone puissante et précise, riche, découverte et aimée sur le tard... jeune adulte. Et j'ai enfin l'impression de m'être trouvée. Ou retrouvée. Voilà d'où je viens. Du rythme et des mots et du temps... Beaucoup de temps.


(Robi & Jeff Hallam)

L'entêtant Chéri chéri, deuxième morceau du CD, sonne comme un tourbillon hypnotique. Robi, chez vous, qu'écoutez-vous?

- Pour tout dire, je n'écoute presque rien ou du moins trop peu de choses. J'en suis consciente, confuse et honteuse mais je vis avec un constant brouhaha de sons et de mots dans la tête. Je chantonne, je annone, je siffle, je tape du pied et des mains, je recommence... Je ne connais pas le silence. Et le reste du temps j'allume la radio. Quand j'écoute de la musique, c'est celle qu'on me prescrit et j'ai d'excellents conseillers. En ce moment je me régale de Arlt, Baxter Dury, Dominique A encore et encore, Bill Calahan et d'autres.

Dans un précédent entretien sur ce blog, le chanteur Benoît Dorémus racontait avoir écrit Paris (la meilleure chanson de son deuxième album, 2020) parce que vous l'y aviez poussé. Le milieu de la chanson ne vous est pas étranger, vous en fréquentez des figures. Vous avez par exemple programmé à La Réunion au mois de mai 2011 deux soirées sous les étoiles avec JP Nataf, Arlt, Bertrand Belin, Alexandre Varlet, tous chouchoutés par la presse spécialisée. Ces artistes-là vous ont-ils encouragé à passer le pas, ou bien avez-vous travaillé en "secret" avec Jeff Hallam?

- Benoît n'arrivait pas à avancer sur cette idée qui l'obsédait, une chanson sur Paris. Tout le monde l'a fait, c'est un exercice difficile. Alors nous nous sommes lancé un défi, le premier de nous deux qui aurait fini la sienne. Il m'a appelée deux jours après. Il avait gagné. Et c'est effectivement une chanson très belle et très forte.
Par contre non, sur mon projet, je n'ai travaillé en interaction qu'avec Jeff, nous avons pensé les arrangements, les ambiances, seuls et en autarcie, dans le plus grand silence. C'était une façon d'être sûre d'aller jusqu'au bout de mes envies, pleinement et sans influences. Le seul qui ait eu accès aux différentes étapes du processus et qui l'ai accompagné, c'est mon compagnon, Frank Loriou, photographe, graphiste et épris de musique. Il est un miroir exigeant,très précieux. Il ne me laisse jamais de repos et je dois énormément à son énergie et à son talent.

"Ce rivage inconnu, mon visage bête et nu, où tu n'as fait qu'escale / Par où tous et tout passe, là où s'ouvre le sas, mon canal lacrymal". C'est bon où ça fait mal confirme le côté ovni du projet, parfaitement maîtrisé, riche de textes élégamment hantés mais hyper accessibles. Vous avez le don d'imposer, en des chansons d'à peine trois minutes, un univers étonnamment précis auquel on adhère aussitôt. Aussi, aurait-on l'impression d'écouter la bande son d'un film !

- Vous l'aurez compris, je n'ai pas une très grande culture autre que littéraire. Et encore. Je lis mal et de tout, comme une enfant. Et c'est un peu pareil pour le cinéma et la musique. J'ai la grande chance (je me la dois peut être ceci dit) d'être bien entourée et de bénéficier de l'immense curiosité et culture de mes amis et de mes proches. Je prends mon plaisir désordonné où il est, maladroitement et au hasard des rencontres et je suis davantage sûre de ce que je ne veux pas, de ce que je n'aime pas que de ce que j'aime. Enfin non, je ne sais pas... C'est peut être un snobisme d'autodidacte que de vous dire ça. Non non, je mens. Et je n'ai pas répondu à la question.


"Brûle dans mes veines, je redeviens africaine" (Africaine), chanson physique, haletante...

- Les Afriques oui. L’Afrique. Réelle et imaginaire. Je ne suis pas sûre de ce que je me souviens d'elle, je l'ai quittée à dix ans. Mais elle m'habite plus que je ne l'ai habitée. Car les enfants traversent les choses. Mais les choses en retour les traversent pour longtemps. C'est d'elle que me vient ma musique, son rythme, qui en dit plus que je ne saurais le faire. Du moins c'est ce qu'il me reste d'elle ou l'idée que je m'en fais. Mais les notes, elles, non; les mélodies sont occidentales. C'est étrange.

Les Fleurs évoquera forcément aux fans de Marlène Qui peut dire où vont les fleurs du temps qui passe?. Ta peur est un duo à l'érotisme ambigu. Le tout fait de vous, en 6 titres, une artiste singulière repérée par les Inrocks qui vous classe entre Portishead, John Parish et Dominique A.

- Cela me fait grand plaisir. Ça me touche beaucoup que mon travail commence à séduire quelques personnes quand je cesse moi, enfin, d'avoir peur de ce qu'on pensera de lui.... C'est une joie, apparemment partagée, qui durera un peu j'espère.

Pourquoi proposer six titres uniquement?

- Je voulais aller jusqu'au bout, creuser mon sillon, prendre le temps nécessaire de la recherche et de l'impasse. De la chance et de la volonté. Je voulais pousser l'expérience très loin après des années à n'enregistrer que des maquettes... Et ce n'était tout simplement pas possible avec nos moyens sur un album complet. Ceci dit, ce n'est pas l'unique raison de ce choix. La musique ne s'écoute plus de la même façon, les gens changent et bougent avec elle. Un EP ou un mini album correspond mieux à la manière dont moi même je la vis. Je n'ai jamais eu peur des formats courts et de la répétition, c'est d'ailleurs pour cette raison, entre autre, que je fais de la chanson. Ou que je ne fais pas autre chose.

(Photos Frank Loriou)
(entretien Baptiste Vignol)


L'empreinte de Cora Vaucaire


S'il fallait mettre en lumière cinq fleurs du grand bouquet des chanteuses qui décore l'autel de la Variété francophone, pour ce que le mot «interprète» suppose de grâce, d'intelligence, de profondeur théâtrale, de charisme en somme, on penserait évidemment à Édith Piaf, Juliette Gréco, Barbara, Diane Dufresne... et ce serait grossier que d'oublier de ce quintette majeur Cora Vaucaire, décédée le 17 septembre 2011 à l'âge de 93 ans. Cora Vaucaire chantait sur du velours, son art semblait la faire flotter sur les mots de Prévert, dont elle créa Les Feuilles mortes en 1945, d'Aragon, de Trenet, de Ferré, de Mireille, de Fanon (L'écharpe devenant avec elle l'une des plus belles pièces qui soient, à tel point que le quatrain "Si je porte à mon cou/ En souvenir de toi/ Cette écharpe de soie/ Que tu portais chez nous [...]" illustre la définition du mot dans le Dictionnaire Culturel en 4 volumes d'Alain Rey)...
En 1997, pour fêter ses 80 ans, la «Dame blanche» fit un tour de chant triomphal à la Comédie des Champs Élysées. Triomphal car une semaine durant, la salle était pleine comme un œuf et se levait pour acclamer cette incomparable diseuse, subtile, moderne, merveilleusement élégante. L'un des concerts les plus «forts» qu'il m'ait été donné de voir, avec ceux de Charles Trenet au théâtre du Châtelet (1988), de Lhasa au Grand Rex (2004), de Björk à la Mutualité (1997) et de Bruce Springsteen seul à la guitare au Zénith de Paris (1996).
L'enregistrement public CORA VAUCAIRE AU THÉÂTRE DE LA VILLE paru en 1975 chez Jacques Canetti est un album indispensable à toute discothèque digne de ce nom.

Baptiste Vignol

Jacno surrender


Une gueule. Comme on en taillait à l'aube des années 80, de petite frappe ambiguë, dans l'ombre tutélaire et christique du Delon de Rocco : Axel Bauer, Étienne Daho, Daniel Darc et Jacno.
Un groupe punk avec Elli Medeiros, les Stinky Toys, qui gueulait en anglais, juste et vent debout, trente ans avant Izia. Novateur.
Un chef-d'œuvre révolutionnaire, fondateur de l'électro minimale: Rectangle (#14 en juillet 80).
Un tube indémodable pour une Lio irrésistible dans la félinité de ses 18 ans - et dont le seul souvenir donnerait un coup de vieux à toutes les minettes plus ou moins délurées de la planète pop [regardez plutôt...]: Amoureux solitaires (#1 en novembre 80), adaptation méconnaissable d'un morceau des Stinky, Lonely lovers (1977). Son vœu moderne et cristallin, six mois avant mai 81: "Que nos vies aient l'air d'un film parfait!"
Trois 33 tours désinvoltes et un succès miniature (Main dans la main, #30 en octobre 80) sous le nom d'Elli & Jacno, tandem divin, romantique et racé, précurseur du regretté Niagara de Muriel Moreno et Daniel Chenevez.
Des productions pour Daho (MYTHOMANE, 1981), Jacques Higelin (TOMBÉ DU CIEL, 1988), puis quelques albums solo jusqu'à TANT DE TEMPS (2006), dont le tendre T'ES LOIN, T'ES PRÈS (1988), empreint de l'être aimé, l'actrice aux grands yeux bleus Pauline Lafont, qui mourrait tragiquement en août 1988.
Telle fut la trajectoire de Denis Quilliard, alias Jacno, stoppée en novembre 2009.
Une carrière mal connue du grand public mais dont un beau disque de reprises, JACNO FUTURE (2011), met en lumière les chansons phares d'un auteur-compositeur-interprète finalement desservi par une voix transparente. Mus par une authentique estime, Dominique A (Je t'aime tant), Benjamin Biolay & Chiara Mastroianni (D'une rive à l'autre), Jacques Higelin (Mauvaise humeur), Katerine (Rectangle), Miossec (J'ai triste), Christophe (Je viens d'ailleurs), Alex Beaupain (Tes grands yeux bleus) rendent à des titres menacés par l'oubli un tribut éclatant. Classe.


Baptiste Vignol

Eddy le humble


Deux pages dans les Inrocks (n°822), le portrait de Libé (1/9/2011)... Eddy Mitchell est partout. L'ancienne idole des yé-yé, définitivement respectée. Rien de scandaleux là-dedans. Eddy le humble, dont on dit même qu'il aurait refusé de confier ses cahiers d'écriture aux éditions Textuel pour un recueil de manuscrits, se voyant mal trôner entre Les Manuscrits de Georges Brassens et ceux de Nougaro. Car Eddy modère: «Attention, ce n’est que de la chanson. Et puis c’est putassier une chanson, c’est fait pour attraper des gens en trois minutes». Lui qui, textuellement parlant, est une gâchette hors-pair, refuse, sans fausse modestie, d'être «mis sur un piédestal : les pigeons vous chient dessus». Bien vu. Eddy qui balance : «La jeune chanson française, tellement loin de Bashung [qu'il a connu, rappelle-t-il, "quand il imitait Tom Jones et qu'il était produit par Dick Rivers"], m’emmerde. Ça me rappelle la TSF de mes parents.» Cruel et rock. Mais Eddy, le lecteur, lui, se hasarde: «[Maupassant], c’est d’une telle méchanceté que c’est d’aujourd’hui. Flaubert, c’est de la branlette et Zola, c’est prise de tête. Mais Maupassant, c’est bien campé, ça va à l’essentiel, c’est clair, c’est du Chandler.» Là, c'est Schmoll qui tourne (bête et) méchant. «Il ne faut pas toucher aux idoles : la dorure en reste aux mains» lit-on dans Madame Bovary. Que Claude Moine, malgré son formidable talent de parolier, écrive déjà comme Flaubert ou Zola, ce ne sera pas mal !

Baptiste Vignol