On l’avait retrouvé vers la fin de l’été 2017 sur une vidéo plutôt honteuse et postée par ses soins où, dans un bar de l’Isle-sur-la-Sorgue, il massacrait au piano Mistral gagnant devant un Renaud qui, par politesse sans doute, simulait l'endormissement plutôt que d’avoir à s'enfuir en courant… Et puis on était tombé quelques mois plus tard sur sa nouvelle et très mauvaise chanson, Feu de joie, qu’il vint, gai comme un pinson, présenter à la télévision, la coupe étrange et dansant mal, devant des musiciens un peu gênés quand même. Hier, 30 mars 2018, Bénabar a donc enfin sorti le huitième album de sa discographie. Qu’en dire? Qu’il commence ainsi: « Les aiguilles de la montre / Ne tournent que dans un sens… » Bien vu, Bébène, mais ça fait des siècles que ça dure. « Quand on la remonte / C’est encore pour qu’elle avance. » Ça va, ça rime à peu près, même si c’est pas carré. «C’est le début de la suite » enchaine-il sur-le-champ, et nous sommes déjà las. Alors que le morceau n’a pas commencé depuis trente secondes. « Le passé, c’est le passé, / On n’y peut rien changer », souligne-t-il encore... Et cette chanson résume l'album tout entier, vain, vide et pesant. Avec La petite vendeuse, Bénabar n’est qu’une ombre vague et futile de Pierre Perret, avec Chauffard, il singe Renaud, avec Le destin, il fait du sous-Duteil, avec Marathonien, il trouve le moyen d’évoquer les vertus du jogging - Robert Charlebois s'y était déjà attaqué, avec classe, lui, dans J’t’aime comme un fou! Mais Bénabar est là, qui fait tout comme les autres en moins bien. Ce disque hors de prix (15€99) si l’on considère sa piètre qualité, Bénabar l’achève avec Ça ne sert à rien une chanson. Alors pourquoi en écrit-il?
Lady héroïne
Etape de sa tournée mondiale (elle sera ce soir à Londres et se produisait avant-hier à Zurich, avant d’aller au Japon la semaine prochaine), Charlotte Gainsbourg chantait ce mercredi 28 mars à Paris, dans cet écrin qu’est La Cigale. Une heure et quart d'intensité, et pas une minute de plus, sans que rien ne manque au rendez-vous. Leçon de concert. De chant, de nonchalance, de grâce, d’éclats mythiques, de transe et d’émotion pure (pics sur Lying with you, Kate, Charlotte for ever et Lemon Incest). Que symbolise cette poignée de secondes absolument divines où, sur Deadly Valentine, alors que SebastiAn a rejoint les musiciens (excellents et tous vêtus de t-shirt blancs recouverts d’une veste en jean), Charlotte s’avance et s’adosse, les mains dans les poches, au cadre en néon qui fait office de décor, pour regarder, presque alanguie, la foule en liesse de ses admirateurs qui sont aussi trente années de sa vie. Sous les yeux de Jane B. Et les hurlements du public. Souvenir for ever.
Baptiste Vignol
Qu'il marche à l'ombre
«Pendant ce temps à Istres la Censure est en marche», s'indigne Bertrand Cantat sur Facebook, déplorant que plusieurs concerts de sa tournée soient annulés suite aux pressions exercées par des citoyens en colère. Connait-il seulement l’acception du mot « censure », cet homme pour qui l'amour se clame à coups de poing? « Action de reprendre, de critiquer les paroles, les actions, les ouvrages de quelqu’un. » Donc, oui, la censure est en marche, et pourvu que ça dure. A quoi s’attendait-il en sortant un nouveau disque en décembre 2017 ? S’imaginait-il, la tête farcie par sa mégalomanie maladive, qu’à l’image des Inrocks, tous les médias du pays le traiteraient en héros romantique? Qu’il pourrait reprendre sa carrière, comme si de rien n’était? Parader de ville en ville, jouer les rockeurs humanistes... Et, tiens, pourquoi pas, se pointer un jour, plein de morgue, aux Victoires de la Musique afin d’y être honoré comme il l'était jadis lorsque, grand donneur de leçons, un an avant de tuer Marie Trintignant, ce révolutionnaire de pacotille concluait ainsi sa missive, lue à voix haute – et avec quel contentement de soi – au président d’Universal, Jean-Marie Messier: « Sache que si tes pilules sont trop amères, tu trouveras d’autres que nous pour les faire passer […] et que si nous sommes tous embarqués sur la même planète, on est décidément pas du même monde. » Bertrand Cantat veut chanter, c’est son droit, dit-il, et se faire applaudir. C’est aussi celui des Français de crier plus fort que lui, pour qu’il se taise. Et marche à l’ombre.
Baptiste Vignol
Ce talent qui saute aux yeux
Parmi toutes les promesses qui depuis quelques mois affolent la chanson française, la plus fascinante, et de loin, vit en Belgique. Son prénom est Angèle. Et n'a que 22 ans. Sans se prendre pour la petite-nièce de Véronique Sanson ni vouer une fascination pour les synthés à la mode Balavoine, cette blonde bruxelloise a déboulé par le Net fin 2017, remettant à l’heure du temps qui passe la variété «cool» et moderne qui raconte, et c’est pas plus mal, des choses intelligibles. Après l’impeccable clip de La Loi de Murphy (six millions de clics) qui fit l’effet d’un vol de cigognes aux becs rouges sur une zone pavillonnaire où l’on n'entendait en sourdine, derrière les fenêtres embuées des chambres d'adolescents, qu'Amir ou Soprano, Angèle revient, sans l'appui d'aucune maison de disques, avec Je veux tes yeux, bien partie pour être portée par les mêmes courants chauds et rendre dingos les patrons de labels parisiens. « Connecté en ligne, mais pas à moi / J’attends ton signe, j’crois qu’y’en a pas / J’ai vu qu’t’as vu, tu réponds pas / Alors j’attends, toujours j’attends / Qu’enfin il sonne, ce son latent… » Chanson d’époque, sur un flirt virtuel, idéalement filmée par la réalisatrice Charlotte Abramow, 25 ans tout juste, dont Angèle est une muse. La relève, quoi. Et l’occasion d'observer en gros plans, sur un tempo arabesque, des yeux «blue lagoon» et châtaigne, des yeux noir pétrole et fougère (les plus beaux), yeux mer orageuse et noisette, auxquels la bouche cerise d’Angèle Van Laeken semble donner la berlue.
Baptiste Vignol
Saint Cloclo
Quarante ans que Claude François, la
plus grande star de la chanson française des années 70, s’est éteint, foudroyé
par sa maniaquerie. Il n’avait que 39 ans, et comptait, en seize ans de
carrière à peine, quinze albums et quelques 300 chansons, dont une trentaine de
tubes. Plus qu’aucun autre chanteur de cette époque, Claude François demeure,
quoi qu’en pensent ceux qui trouvent très chic de le détester, à la pointe de
l’actualité puisque trois ou quatre de ses succès sont encore joués dans les discothèques de province et
viennent égayer tous les mariages du pays. « La lumière du phare d'Alexandrie / Fait naufrager les papillons de ma
jeunesse… » Depuis le 11 mars 1978 (ce jour-là, le soleil brillait sur
Paris), tous les dix ans, des millions de Français fêtent Cloclo, à l’unisson.
D’ailleurs, le phénomène se prolongera tant que ne seront pas morts ceux qui
l’ont connu de son vivant, vu danser à la télévision, Roi-Soleil parmi ses
Clodettes, virevoltant dans des chorégraphies plus que parfaites. Nul n’a
jamais fait aussi léché depuis.
Mais cet anniversaire semble aujourd’hui
être l’occasion pour certains, qui ont pourtant déjà tout dit (au premier rang
desquels Fabien Lecœuvre qui, boudiné dans son costume bleu, la chemise trop ouverte, donne toujours l’air de sortir de chez le coiffeur), de forcer sur la ficelle. Au point d'en devenir grotesque. Obligeant même certains
intimes de l’artiste à s’indigner. On apprend donc ici que Claude François ne
serait pas mort dans sa baignoire mais assis sur un tabouret, incapable de
parler, tétanisé, cherchant encore, car c’était plus fort que lui, n’est-ce
pas, à donner un ordre à Kathleen, sa fiancée… On apprend là que le chanteur,
dont l’attirance pour les adolescentes ne faisait aucun mystère puisqu’il s’en
expliquait lui-même à la télévision dans des déclarations ahurissantes, mais
d’une autre époque, eut, en 1976, une fille avec une fan belge de quinze ans,
qui lui avait juré d’en avoir dix-huit. Et l'on apprend également qu’une gamine
ayant, à l’âge de 14 ans et demi, fait la «playmate» pour le patron de Podium, se souvient maintenant avoir craint, cet après-midi-là, d’être
la proie de son Dieu, dont elle deviendra la danseuse…
« Claude a été très correct. Il m’a
seulement demandé si je voulais être Clodette, j’ai accepté et je suis restée
jusqu’à sa mort. » Alors ? La mémoire a ses mystères, et des
résurgences opportunes.
(Cliquer pour agrandir l'image)
C’est avec une rigueur électrique, au
plus près des chansons de l’idole, de sa passion folle pour la musique
américaine, que l'ouvrage «Claude François –
je reviendrai comme d’habitude» (Gründ) survole
en détail et sans complaisance l’abondante discographie, à la lumière du
témoignage de personnalités proches du showman auxquelles on n’avait peu
jusqu’ici, parfois jamais, donné la parole: l’écrivain Gilbert Sinoué,
l’arrangeur Jean-Pierre Sabar, les
paroliers Frank Thomas (Le téléphone pleure) et Jean-Michel Rivat
(Je viens dîner ce soir, Le chanteur malheureux), Jeff
Barnel, l’une de ses premières signatures chez Flèche, l’amie Dani, le complice
Jean-Marie Périer, la chanteuse Patricia Carli qu’il embaucha comme directrice
artistique, le compositeur et frère d'armes Jean-Pierre Bourtayre… Richement illustré de belles photographies rares, ce livre de 320 pages puise ses
informations dans les interviews données par la star à Denise
Glaser, Pierre Tchernia, Philippe Bouvard ou Michel Drucker, de février 1963 à mars
1978, et dans quelques biographies captivantes signées par son épouse Janette
Woollacott («Claude François, les années
oubliées»), par Isabelle Forêt («Claude François, nos enfants et moi»), par sa compagne finlandaise Sofia
Kiukkonen («Ma vie avec Claude François»),
par sa sœur Josette Martin («Claude,
l’histoire d’une revanche»), par son éclairagiste Félix Bussy («Sur la route avec Claude François») et
par son habilleuse Sylvie Mathurin («Un
amour absolu»). Claude François, au plus près de sa vérité, donc. Sans
vouloir faire parler un mort. Ni le juger. A tout prix.
Baptiste Vignol
Duo de goût
Jeunes gens presqu'amoureux, filez au premier vide-grenier, munissez-vous d’un vieux radio-cd pour découvrir, quand les beaux jours seront là, l'album PIQUE-NIQUE sur une nappe étendue dans un pré, ou dans une clairière en forêt. Ce disque est un marche-pied. Écrites et composées par la Suédoise Johanna Wedin et l’ultra-brillant Jean Felzine (Mustang), vous y trouverez douze slow-rocks enflammés (la voix de Johanna, son léger accent du grand nord) qui ne tournent pas autour du pot de confiture. Chanter, baiser, boire et manger («Nous sommes deux âmes esseulées / Que n’apaisent que ces activités: / Chanter, baiser, boire et manger »), Les eaux claires (« Oh j’ai joui si fort! »), Idiot (« L’amour se cache dans des soupirs, / Il ne faut jamais trop en dire »), Nez, lèvres et menton (« Je n’étais pas la plus sex de la fac d’éco… »), entre autres, ont l'éclat vif des chansons que Jacques Duvall écrivait au scalpel pour Lio quand elle n'avait pas vingt ans et qu’elle était la plus belle chanteuse du monde. Et puis, en septième position, se terre une pépite, Un jour de plus un jour de moins, qui nous raconte en 3 minutes et 46 secondes ce qu'est parfois la déchirure de tomber amoureux d’un(e) autre, « Ces jeux stupides, ces nuits sans fin, / C’est toujours à ça que je pense... » Des romances nerveuses, comme le chantait Alister, que l’on sent vite écrites, ce qui vaut mieux que de la variété bavarde, ou du slam sentimentaliste...
Baptiste Vignol
Inscription à :
Articles (Atom)