Opportunisme au gré des vents


Critique littéraire au Figaro, Nicolas Ungemuth est en train, à coups d'articles iconoclastes, de s'imposer comme un observateur sagace du paysage des variétés. Ses précédentes sorties sur le groupe Fauve ou sur Jean-Louis Aubert reprenant Houellebecq n'étaient pas piquées des hannetons (tout de même, pour ce qui est du «charabia neuneu de Houellebecq», il pourrait être urgent de brider quelque peu le pamphlétiste, qu'il ne donne pas dans la trop voyante «figarade» ou «figaroade»!…). La plus récente cible d'Ungemuth? «Le roi du cheveu gras»: Benjamin Biolay, à propos de Vol noir, sa démarcation du Chant des partisans enregistrée dare-dare après l'élection européenne du 25 mai 2014 qui a vu Marine Le Pen devancer en nombre de voix tous les leaders de l'échiquier politique français. Régal que de lire cet article, alors que j'avais moi-même en 2007 publié un ouvrage sur la question, “Cette chanson qui emmerde le Front national" (Tournon), chouettement préfacé par Renaud. J'y recensais les cinquante «grandes» chansons anti-Front enregistrées depuis que, sur l'ordre de François Mitterrand, au nom du pluralisme à la télévision, Jean-Marie Le Pen fut reçu sur TF1 au Journal de la Nuit le 29 juin 1982 d'abord, puis au 13 Heures d'Yves Mourousi le 7 septembre de la même année (l'une des toutes premières chansons qui, sans le nommer, prirent position contre le Front national étant donc, pour mémoire, Saïd et Mohamed de Francis Cabrel qui figure sur le disque QUELQU'UN DE L'INTÉRIEUR sorti en 1983). En stigmatisant «l'affreuse musique contestataire» qu'engendrent les bons scores du FN, Ungemuth prend l'exact contre-pied du flot d'articles publiés ces derniers jours pour saluer l'initiative de Biolay, au cheveu, il est vrai, savamment décoiffé. De quoi se faire tirer l'oreille par la bien-pensance germanopratine (épithète, entre nous soit dit, sanctifiée au bénitier où barbote à l'envi tout ce que Paris compte depuis force décennies de maîtres à penser, chanter, danser et flamber les mignonnets, comme seul Gainsbourg - il faut le souligner - a osé le faire en public pour donner au bourgeois une sueur mortifère et au prolo la démangeaison d'un gnon bien senti: «Tare ta gueule à la sortie!»). 


Mais cela semble une convention de louer systématiquement ce qui est écrit - ou psalmodié - dans la chaleur d'un moment où les médias s'emballent et dans leur sillage les écrivaillons d'un jour et ceux de la «variète» qui n'y échappent pas. On prend le vent comme il vient, comme il va: tirer des bords demande trop d'efforts. Foin du discernement sans parler de l'esprit critique; on rabâche, on imite, on surenchérit, on démarque par paresse d'une conviction paralysée. Si la chanson française, pourtant si vivace, est perçue comme désespérément ringarde par la critique autre que celle que l'art de la ritournelle passionne, c'est à cause du discours tiédasse qu'elle génère chez les chroniqueurs soi-disant spécialisés, pas franchement cultivés pour bon nombre d'entre eux, il faut bien dire la vérité.

Baptiste & Jean-Claude Vignol