La routine du rappel


«"Ah bien!, dit une voix enrouée de femme. J'ai cru qu'ils nous garderaient ce soir! En voilà des raseurs, avec leurs rappels!" C'était la fin, le rideau venait de tomber» écrivait Zola dans «Nana». Aujourd'hui, les raseurs, ce sont les chanteurs qui ont fait du rappel (à l'origine brouhaha de bravos par lequel les spectateurs rappellent un comédien, un musicien, une troupe pour les acclamer) un pis-aller plus ou moins expédié après trois ou quatre pauvres minutes au cours desquelles la vedette a quitté la scène qu'elle regagne immanquablement en prenant un air faussement étonné. Le public n'en est d'ailleurs jamais dupe qui s'est égosillé sans véritable conviction: «Une autre! une autre!» Les chanteurs vont même désormais jusqu'à décider à l'avance quels seront les chansons jouées en rappel... Envolée l'idée du retour exceptionnel motivé par une irrésistible poussée de désir. Le rappel dans un concert est devenu routine. Jacques Brel n'en faisait jamais: «Demande-t-on à deux boxeurs qui s'en sont mis plein la gueule pendant quinze rounds d'en faire un petit seizième pour le plaisir?» Brassens non plus, ça va de soi. Ni même Jean-Jacques Goldman, ou Julien Clerc qui sait parfois se retenir de souscrire à cette convention. Et Trenet tarifait les siens de telle sorte qu'ils étaient rarissimes, ce qui faisait leur prix; alors il chantait, et c'était merveilleux, La romance de Paris. Pour garder d'un spectacle un souvenir lumineux, partir avant les rappels. Après, c'est plutôt célébrer ce que Milan Kundera appelle «la fête de l'insignifiance».

Baptiste Vignol