Georges Moustaki parti, qui reste-t-il de la chanson dorée des cabarets, qui partagea scènes et coulisses avec Barbara, Georges Brassens, Jacques Brel et Serge Gainsbourg? Quatre monstres sacrés. Les derniers Géants. Charles Aznavour (89 printemps), Gilles Vigneault (85 hivers), Guy Béart (83 étés) et Anne Sylvestre (79 automnes). Révélée en 1959 par Mon mari est parti, Anne Sylvestre vient de sortir son vingt-deuxième album de chansons, JUSTE UNE FEMME, quelques mois après la parution chez Fayard d'une biographie bien utile («Anne Sylvestre, "Mais elle chante encore?"» de Daniel Pantchenko) pour qui souhaiterait remonter le cours d'une carrière débutée il y a cinquante-cinq ans sur l'île de la Cité, à La Colombe. Bien qu'elle n'ait jamais suscité d'admiration unanime, pas de unes ni de nomination aux Victoires de la Musique, et pourtant..., la chanteuse ne doute pas de sa place dans le champ des Variétés. En 1962, sur son deuxième 25 cm, une présentation de Brassens regrettait d'ailleurs «la fâcheuse tendance du public à bouder un peu ceux qui le respectent assez pour se refuser à lui faire la moindre concession. Avant la venue d'Anne Sylvestre dans la chanson, il nous manquait quelque chose et quelque chose d'important.» (Ne pourrait-on pas aujourd'hui tirer pareil constat à propos de Claire Diterzi?) Brassens donc, le suzerain, duquel la critique, en 1962 rappelle Pantchenko, tira ce surnom sparadrap dont Anne Sylvestre ne s'est jamais défait: la «Brassens en jupons». «"Brassens en jupons", qu'est-ce que ça veut dire? demanda-t-elle en 2002 dans les pages de la revue Chorus. C'est plus que réducteur! À partir d'un certain niveau de métier, cela devient humiliant, car je me trouve, depuis pas mal de temps, au même niveau que ces gens auxquels on me compare.» Du même bois, c'est vrai, mais pourtant tellement méconnue. En avril 2013, grâce aux Inrockuptibles, des centaines de lecteurs auront probablement découvert son nom, cité par Jean-Louis Murat comme étant sa chanteuse française préférée. L'hommage, pour inattendu, n'est pas étonnant. La simplicité si précise du vocabulaire, la clarté universelle du propos font des ballades d'Anne Sylvestre des pièces voisines des poèmes de La Fontaine. La chanson Juste une femme qui donne son titre au disque est née de l'affaire DSK («Mais c'est pas grave / C'est juste une femme à saloper...»), elle résume par surcroît l'éternel combat d'une infatigable «femen» : «Je ne récuserai jamais le terme de féministe. Je l'ai été, je le suis et le serai encore, expliquait-elle dans Chorus en 2008. Comment ne pas être féministe quand on est une femme et qu'on a sa dignité. Je suis une femme qui avance, témoigne et je n'abandonnerai jamais cela.»
Et si parce qu'elle a fait fi avec une inflexible droiture des quant-à-soi médiatiques qu'elle endure depuis un demi-siècle, le regard d'Anne Sylvestre sur le monde était en définitive le plus moderne de la chanson française?
Baptiste Vignol
Et si parce qu'elle a fait fi avec une inflexible droiture des quant-à-soi médiatiques qu'elle endure depuis un demi-siècle, le regard d'Anne Sylvestre sur le monde était en définitive le plus moderne de la chanson française?
Baptiste Vignol