Christian Pirot

- Je n’ai pas peur de la mort. Je l’ai déjà vue, en face, lors d’un accident de la route. Alors que la bagnole allait s’écraser, j’étais au volant, et je n’avais pas peur, non, je me disais simplement: “C’est con. Con que ça s'arrête comme ça”.
Christian Pirot était de ces personnes avec qui l’on parlait assez facilement, le soir, à la veillée, de la vie, de l’amour, de la mort, ce triptique thématique qui a toujours inspiré la chanson française, l’une de ses passions.
“Petit éditeur de province” comme il aimait se définir, Pirot rééditait des romans de Balzac, de George Sand, avait créé la formidable collection “Maison d’écrivain” (pour laquelle ont œuvré notamment Sylvie Genevoix, Jacques Lacarrière, Sylvie Germain, Jean-Marie Laclavetine), publiait des essais, des ouvrages collectifs (son dernier, le très réussi Les grands interprètes, paru en septembre 2010),


des récits autobiographiques (le plus récent étant Sur le boulevard du temps qui passe par Marcel Amont, sorti en 2009), des écrits sur le Berry, sa région… et des recueils de paroles de chansons, alors qu’on les trouve gratuitement sur l’internet.
- Tout le monde me dit que c’est une connerie, mais ces textes-là méritent de figurer dans des livres!
Ainsi était-il l'éditeur, entre autres, de Charles Aznavour, Georges Chelon, Gaston Couté, Leny Escudero, Brigitte Fontaine, François Hadji-Lazaro, Gilbert Laffaille, Bernard Lavilliers, Pierre Louki, Christophe Miossec, Georges Moustaki, Serge Utgé-Royo, Gilles Vigneault… pour des ouvrages soignés, lourds, cousus main.
Il était très heureux par exemple d’avoir vendu plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires des recueils de Bernard Dimey, “et il s’en vend encore!” précisait-il, le regard fier sous ses sourcils blancs. Bernard Dimey, peut-être son auteur préféré. Il faut donc citer le poignant Dimey, la Blessure de l’ogre, écrit par Yvette Cathiard, qui fut la compagne du poète, publié chez Christian Pirot en 1993.


Si Christian Pirot était le meilleur éditeur spécialisé dans la chanson, le plus courageux, le moins cupide, c’est parce que cet art, parfois, l’impressionnait. Il m’avait raconté avoir été l’un des premiers à repérer Renaud, en 1975, et à lui avoir adressé une proposition éditoriale qui était restée lettre morte. Pour autant, en 2000, alors que Christian m’avait donné rendez-vous à La Closerie des Lilas pour que nous parlions du pamphlet Cette chanson que la télé assassine qu’il allait éditer, le chanteur avait fait son entrée dans le café vide à cette heure creuse de l’après-midi. Aussitôt, Renaud s’était dirigé vers Pirot et l’avait salué d’une franche poignée de main. Touché, Christian m’avait dit: “Tu vois, ce mec a de la mémoire!
Que de souvenirs avec Christian, chez lui, à Saint-Cyr-sur-Loire, avec Laurence, sa moitié, autour de la table à manger, devant son téléviseur à regarder des matchs de foot, une autre de ses passions – tout s’arrêtait quand le Real jouait !-, ou bien encore à Randan où nous organisions ensemble le salon “La chanson des livres”; d’éclats de rire et de fâcheries aussi devant ses sautes d’humeur, son côté grincheux, intransigeant, ses jugements à l’emporte-pièce. Un type pas banal. “Chaleureux et bougon, tendre et moqueur, généreux et libertaire, il ne se laissait pas dicter ses choix par les modes mais par un goût authentique des mots et des paysages” rappelait récemment Le Magazine Littéraire qui lui rendait hommage.
Christian Pirot allait avoir 73 ans. Il est mort le 26 octobre, taclé par derrière, des suites d’une opération chirurgicale qui ne devait poser aucune difficulté. C’est con, a-t-il dû penser. Plus que ça, Christian.

Baptiste Vignol

Interview de Cristian Pirot