Clarika, et tout de suite


Pourquoi écoute-t-on encore de la chanson française? Franchement? Pour ce que disent ses paroles. Pour la passion des mots. Pour le bien qu’ils procurent parfois. Parce que s’il fallait simplement se laisser porter par la musique, on se contenterait des Anglo-saxons! La magie, l’ampleur, la finesse des mélodies sur lesquelles la planète s'époumone et chavire se nichent chez les English tellement plus fortiches que nous à ce jeu-là. Si la chanson francophone touche celles et ceux qui la comprennent, c’est parce qu’elle est capable, par sa poésie, d’être un écho dans nos vies. Après quelques sorties discographiques d’artistes anecdotiques dont les textes approximatifs font un peu de peine ces dernières semaines (non, pas de noms), voici un album dense, accompli, écrit à la lisière du désespoir et qui rappelle combien Clarika n’a jamais cessé d’être en marge des courants, avec sa façon si particulière d’observer le monde (L'Azur, poignante) et nos tourments, de les dépeindre dans la banalité de leurs détails les plus anodins, auxquels personne ne prend jamais garde, mais qui brûlent et remuent quand on met le doigt dessus. Comme elle est réconfortante, douce et intelligente, la voix de Clarika. Et comme son écriture peut émouvoir lorsqu’elle est sertie avec soin par des musiques au diapason qui rappellent, dans leur ambition, un certain âge d’or de la chanson française. La lisière est une grande chanson d’ouverture, d’une femme qui renait et se dresse devant la ligne plate de ce qui lui reste à vivre. «Tout est devant, tout est derrière / Quand on est juste à la lisière / La mer est calme, le temps est clair / L’horizon aux deux bras offerts…» Venise, un bijou d’écriture – même si l’on aurait plus volontiers entendu dans ce duo la voix envoutante de Jean-Louis Murat, de Marc Lavoine ou de Francis Cabrel, voire même de Patrick Bruel, et c’eût alors été un succès de radio. Mais le point d’orgue du disque s'intitule Âme ma sœur âme. En découvrant ce trésor de poésie introspective, c’est le fantôme de Trenet qui nous revisite. (Pour certains, « C’est du Trenet! » est le compliment ultime.) Une folle complainte.

Baptiste Vignol