Entre fatalité, blues et musette


Cela fera quarante ans l'année prochaine qu'elle fut la «révélation 1978» du Printemps de Bourges après quoi Daniel Colling, qui créa ce festival, lui fit enregistrer son premier 33 tours. LE KIOSQUE décrochera le Grand Prix de l'Académie Charles Cros en 1980. Une douzaine de disques plus tard, et deux Grand Prix supplémentaires, Michèle Bernard a sorti un nouvel album en septembre 2016: TOUT' MANIÈRES... Vêtue sur la pochette d'une veste en forme d'accordéon, son instrument fétiche (comme le piano pour Véronique Sanson ou la guitare pour Carla Bruni, bien), la Lyonnaise propose comme à son habitude une moisson d'airs forains au fil desquels elle croque, avec une fausse naïveté, mais une vraie colère, les petites choses de la vie pour en dénoncer ses travers – ou pour glorifier sa beauté. L'amour de son prochain (Tout' manières), celui de la planète (Rivière), les amis disparus (Montée des Anges), la vacuité pathétique d'Internet quand il s'agit d'effleurer le malheur du doigt (Je clique), l'uniformisation des identités culturelles et le désengagement (Tu t'rappelles “Les petites boites”) – bel hommage à Graeme Allwright. Anne Sylvestre, dont on pourrait dire que Michèle est une sœur, lui donne également la réplique dans Madame Anne sur leur métier de chanteuse («Des fois j'en peux plus, j'en ai ma claque / De trainer mon biniou / Qu'est lourd comme un sac de cailloux…»). Mais un titre se démarque, Savons d'Alep (Pavane pour une Syrie défunte), qui synthétise l'art de Michèle Bernard, tellement plus musical qu'il n'y paraît sur des mots toujours choisis: «Savons d'Alep / Peau douce des hammams / Petits pavés séché dans ma main qui se serre / Laveras-tu ma honte et ma pauvre colère / La feras-tu s'enfuir avec l'eau de mon bain ?» TOUT' MANIÈRES... sonne le retour discographique d'une magnifique chanteuse française.

Baptiste Vignol