Douces chansons d'Alex Beaupain

Faut-il crier «Remboursez!» sous les fenêtres de Valérie Lehoux pour publicité mensongère? Son enthousiasme portant la marque de la sincérité suggère toutefois la clémence. Pourtant, quel emballement. Dans le n°79 de son émission «Les Sonos tonnent» que les zinzins de la zizique écoutent sur Télérama.fr, la journaliste assurait, pleine d'émotion, qu'APRÈS MOI LE DÉLUGE contenait des chansons dont l'écriture la bouleversait davantage que celle de Biolay. Le critère. Alex Beaupain, «l'un des auteurs-compositeurs-interprètes les plus bouleversants de la chanson d'aujourd'hui, [...] ses chansons sont toutes merveilleuses...» Etc. Assez prometteur pour acheter les yeux fermés le quatrième volet de ses aventures musicales - qui forment donc désormais une tétralogie. Mais lorsqu'on dépense 15€ pour un CD, à l'heure où l'on pourrait le télécharger à la diable, on en veut pour sa monnaie. Loin d'être raté, ce disque n'est pas la perle annoncée. Depuis quelques temps, c'est bizarre, la critique chansonnière fait dans le dithyrambe. Citons pour exemples les dernières bien qu'inodores productions de Raphaël (SUPER WELTER - on a même tenté de nous expliquer que grâce à cet album, Raphaël était devenu «le plus grand rockeur français»!), d'-M- (ÎL) et de Benjamin Biolay (LA VENGEANCE). Quelle digue élever contre ces déluges de louanges qui vont finir par inonder toute objectivité? Revue de titres, à sec.


01.Je peux aimer pour deux (4'25). Chanson de soumission. Par Étienne Daho, elle se gonflerait comme une voile.
02.Après moi le déluge (3'17). Une parole attribuée par les uns à Mme de Pompadour, par d'autres à Mme du Barry devant les troubles politiques qui devaient aboutir à la Révolution. Chanson sur l'aveuglement amoureux. Le texte bien fichu («Je t'attends, tu t'étends / Sur un autre sujet / Que moi...») d'un garçon pour un autre («Je sais c'est moi qui t'ai quitté / Mais toi, qui t'es?» car si la personne quittée était une fille, il faudrait écrire «c'est moi qui t'ai quittée», en vertu de la règle de Clément Marot) sur un air sautillant de Nicolas Subrechicot. Ceux qui n'auraient pas souvenance d'avoir déjà croisé ce nom-là apprendront que Nicolas fut le claviériste de Chimène Badi.
03.Pacotille (3'40). Chanson méchante et chic, façon Labro/Gainsbourg. Probablement inspirée par une personne du genre féminin («Je t'ai prise comme on prend la Bastille, sans culotte...»). Sinon, cette interjection d'origine maghrebine qu'on avait perdue d'oreille depuis «Après c'est toute une histoire / Pour s'rendormir ouallou!» de Renaud (Banlieue rouge, 1981). Elle réapparaît, sous d'autres graphies, ici («Pacotille / Zéro carat, Walou») comme chez Clarika (Oualou, 2013) et Thomas Pitiot (Walou, 2013).
04.Ça m'amuse plus (4.32). Chanson dont le titre relève d'une locution adverbiale incomplète et plus précisément d'une incorrection, autrement dit d'une faute de syntaxe, et qui a pour thème la lassitude, en amour notamment. S'écoute agréablement.
05.Vite (3'38). Chanson sur l'impatience et le silence, sur la difficulté de tomber le masque. Astucieux, Nicolas Subrechicot l'a déposée sur un air élastique qui aurait si bien convenu à Michel Delpech.
06.Contre le vent (3'16). Chanson sur l'usure en amour, mise en musique par La Grande Sophie. Au final, le morceau sonne comme un titre de La Grande Sophie. Du caractère supérieur de la mélodie.
07.En quarantaine (2'54). Chanson sur les désillusions des enfants nés sous Pompidou et Giscard. Alex Beaupain a vu le jour en 1974 à Besançon, une ville dont Peter Kröner, autre chanteur délicat, avait fait en 1998 le cadre d'une chanson (Caméléon) sur OÙ LES FILLES VONT.


08.Coule (3'00). Chanson sur le malheur, composée par Julien Clerc. Même remarque que pour le titre 6 à ceci près que la partition de Juju est tellement bateau qu'elle noie le propos.
09.Grands soirs (5'03). Chanson d'épiderme et de nostalgie. «Tes grains de beauté dans le dos / Je les ai comptés un par un...» Que reste-t-il de nos amours?
10.Profondément superficiel (3'22). Chanson d'autodérision («C'est peut-être moi le moineau sans cervelle...») que Marc Lavoine aurait su populariser («Plus le temps va, plus je me creuse / Des sillons sur le visage...»).
11.Je suis un souvenir. Une chanson-bilan qui selon le club des «Sonos tonnent» ferait déjà partie des plus belles du patrimoine francophone. Sa musique, transparente, n'en laissera pas de grand, souvenir. Et puis six minutes quatorze, c'est long.
12.Baiser tout le temps. Chanson dont Françoise Hardy aurait fait un incendie il y a quarante ans. Paroles : Christophe Honoré / Musique : Alex Beaupain qui, s'il n'avait pas fait chanteur, serait devenu l'auteur-compositeur réputé des années 2000/2010.
À trop crier au génie, on provoque des déceptions. Et l'on dessert son sujet. APRÈS MOI LE DÉLUGE aurait du constituer une charmante surprise. Ce qui n'est pas négligeable. Il suscite de la déception. Du paradoxe d'être déçu d'avoir acheté un bon album. Merci Valérie.

Baptiste Vignol

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La réponse de Valérie Lehoux:

«Cher Baptiste,
Je sais que l'écoute d'une émission gomme parfois les nuances, et s'il faut retenir des Sonos Tonnent dont vous parlez, mon soutien aux chansons d'Alex Beaupain, tant mieux !
Ceci dit, je me permets d'apporter quelques précisions.
Le meilleur album de chanson française que j'aie écouté depuis des mois est BEAU REPAIRE, de Jacques Higelin. Je l'ai écrit, je l'ai dit. Je le répète. C'est pour moi un disque merveilleux, de bout en bout.
D'ailleurs depuis plus de deux mois, je ne cesse de l'écouter.
Je suis convaincue qu'Alex Beaupain est l'un des meilleurs auteurs de la scène française. Et je place l'un des titres de son dernier album, Je suis un souvenir, parmi ce que j'appellerais les "chansons parfaites", celles qui nous portent et nous transportent; qui dépassent auteur et auditeur - un peu à la manière de Une sorcière comme les autres d'Anne Sylvestre.
Nous ne sommes pas d'accord sur ce point, ça arrive !
Malheureusement, certains arrangements du disque sonnent trop variété à mon goût. Cela aussi, je l'ai dit et écrit. Dans l'émission, je l'ai même précisé deux (ou trois) fois.
Mais je pense, définitivement, que l'écriture de Beaupain mérite qu'on l'écoute autant qu'un Biolay (quand je parle d'écriture, je ne considère pas la voix, ni les mélodies ni les arrangements, mais l'agencement des mots). Cette écriture là me touche particulièrement. Elle m'est précieuse. Voilà ce que j'ai dit - ainsi que Sophie Delassein, Guillemette Odicino et Gilles Médioni.»