Putain d'métier




«Je ne suis certes pas un gros vendeur de disques, mais l'album est disque d'or, je ne suis plus un inconnu, je tourne en France et en Espagne. Il faut arrêter avec cette boulimie du chiffre qui n'a pas de sens et dont je n'ai pas besoin pour exister.» Une déclaration de Dominique A le lendemain de son sacre aux Victoires de la Musique. Chanteur de l'Année. Enfin! L'un de ces couronnements espérés depuis vingt ans par quelques dizaines de milliers de fans et qui ont, parmi d'autres récompenses (La Grande Sophie, C2C, Oxmo Puccino), fait du palmarès 2013 un modèle de pertinence, malgré la victoire de Lou Doillon pour un disque en anglais (le nœud du problème n'est pas qu'elle l'ait décrochée, son charisme emporte tout, mais qu'elle ait été nominée), la Chanson de l'année pour un titre de Camille que personne ne connaît (Allez, allez, allez) et le sentiment dérangeant (musiciens déjà en place, prêts à jouer l'air de la victoire) que certains résultats étaient connus d'avance par de futurs lauréats. Autant de dérapages qui trahissent un côté magouillage dont cette cérémonie ne parvient pas à se débarrasser depuis l'affaire Stephend en 1996. Observons donc à la loupe, car l'on devrait s'en réjouir, les ventes de disques les jours qui ont suivi cette soirée sensée relancer le marché et profiter aux vainqueurs. Être un chanteur accompli, c'est aussi, sans jamais se compromettre, chercher à toucher le grand public et donc écouler de la marchandise. Une entreprise réussie par tant de monstres sacrés dont il est inutile ici de rappeler les noms... 
Une semaine après la grand-messe, Dominique A était passé, dans le Top 200 des ventes d'albums en France, de la 100ème à la 75ème place, VERS LES LUEURS séduisant 740 nouveaux acheteurs. Sept-cent-quarante. Quand certains «spécialistes» auraient parié sur dix mille. Était-il farfelu d'imaginer que 0,4% des 2,5 millions de téléspectateurs présents devant France 2 achetassent l'album de l'artiste nommé «Chanteur de l'année»? Ils ne furent que 0,03%. Noir c'est noir. Quel rang pour l'«Album chanson de l'année»? LA PLACE DU FANTOME de La Grande Sophie atteignait la 37ème du Top (+10) avec 1700 passages en caisse. C2C, malgré quatre trophées, ne gagnait que deux places (11ème) pour 4700 exemplaires de TETRA. Et Oxmo Puccino, vingt-cinq (114ème), avec 440 ROI SANS CARROSSE. Misère. Quant à Camille et sa chanson de l'année, elle en perdait carrément seize (57ème), écoulant 1007 CD de son nouvel enregistrement.
Certains artistes chantant pour la première fois en prime time auraient dû, pensait-on, profiter de cette exposition télévisuelle pour conquérir de nouveaux admirateurs. Lescop a vendu 400 disques. Barbara Carlotti, 350. Cessons-là. Tout un art populaire se trouve en danger d'extinction. «Chez l'épicier, pas d'argent, pas d'épices, chez la belle Suzon, pas d'argent, pas de cuisses»... Voilà des musiciens qui, parce que l'industrie du disque ne rapporte plus un kopeck aux labels qui l'ont massacrée, pourraient tôt ou tard perdre leurs contrats et, pris dans la galère, écœurés, exsangues, contraints, cesseront d'écrire et de composer pour, afin de ne pas mourir, s'inventer une reconversion. Pourquoi ne pas fourguer des capsules de café, des sous-pulls ou des téléphones dans les enseignes qui remplaceront bientôt les Virgin Megastore? Avec le sourire s'il vous plaît.

Baptiste Vignol