Le bel art mineur


On n’en sortira donc jamais! Depuis que Serge Gainsbourg déclara dans un fameux numéro d’Apostrophe, l’émission littéraire de Bernard Pivot: “La musique de variété est un art mineur contrairement à la musique classique qui demande une initiation”, on ne sait plus quoi faire de la chanson, où la classer, comment la traiter, ni même si elle est digne d’intérêt. Il est évident qu’une chanson de Brel, Brassens, Trenet, Gainsbourg ou Ferré, pour prendre le dessus du panier, peut se comprendre et s’apprécier sans aucun apprentissage, ce qui n’est pas le cas des musiques dites “savante” ou “contemporaine”, ni de la peinture ou de l’architecture. Ce constat ne souffre d’aucune contestation possible. La chanson est un art mineur, oui, mais qui peut provoquer, à l’instar d’un tableau de Turner, d’une direction de Pierre Boulez, d’une vidéo de Laurent Grasso ou d’une sculpture de Giacometti, d’intenses émotions. Ajoutons que l’on doit trouver autant de mauvaises choses en musique “contemporaine” qu’en chanson française et qu’une musique très réussie de Michel Polnareff, Barbara, William Sheller ou Charles Trenet n’a rien à envier à un thème mélodique inspiré d’un opus de musique classique.
On apprenait récemment que la Villa Médicis allait en septembre 2010, et pour la première fois, ouvrir ses portes à des artistes de musique “actuelle”. Les pensionnaires de l’Académie de France à Rome, écrivains, designers, cinéastes ou musiciens sont logés - et rémunérés - aux frais de l’État français dans un cadre paradisiaque, afin de pouvoir créer dans les meilleurs conditions. La chanteuse Claire Diterzi et le flûtiste Malik Mezzadri pourront ainsi profiter du palais situé sur le mont Pincio où séjournèrent avant eux Berlioz, Debussy ou Henri Dutilleux. Les bienheureux.
Ce qui aurait dû passer pour une sympathique ouverture aux arts dits “populaires” en la personne d’artistes libres et authentiques qui élèvent leurs domaines respectifs, la chanson et le jazz, fait aujourd’hui l’objet d’une polémique dont le journal Le Monde s’est fait l’écho dans son édition du 10 juin 2010. Le milieu de la musique contemporaine, en effet, s’émeut de la vulgarité d’un choix qui dénigre de véritables musiciens porteurs, eux, de projets “audacieux et ambitieux”. Une lettre ouverte a été adressée au ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, et au directeur de la Villa Medicis, Eric de Chassey, accompagnée d’une pétition pour s’offusquer de cette décision.
Contacté par Le Monde, le compositeur de musique “concrète” Denis Dufour croit bon de s’interroger : “À quand les peintres et caricaturistes de la butte Montmartre, de la Côte d’Azur et de la place Beaubourg à la Villa Medicis ?” Une attaque indigne d’un homme qui, d’après Le Monde, serait une référence en création acousmatique.
Claire Diterzi est une artiste authentique, “ambitieuse” et “audacieuse”. Pour qui suit son travail depuis ses premiers disques (reviennent alors en mémoire quelques nottes délicieuses d’Embrase-moi sur la bûche…), sait qu’elle a étudié puis enseigné les arts graphiques, collaboré avec Philippe Découflé, travaillé pour le Musée de l’Homme, créé les chansons de son avant-dernier album TABLEAU DE CHASSE (dont chaque morceau était inspiré d’une œuvre d’art) au Théâtre de Chaillot, la remarque de Dufour n’appelle qu’un commentaire: Motus, Monsieur! Car le parcours de Mademoiselle Diterzi vaut le vôtre, tout professeur de composition électroacoustique que vous soyez.

Baptiste Vignol

Une contre-pétition est ouverte, signée notamment par d'anciens pensionnaires de la Villa.