D'ailleurs


"Le français est une langue qui résonne", chantait Daniel Balavoine en 1978. Riche de ses dialectes, patois et créoles, le français arbore une variété, une résonance c’est vrai, qui témoigne de son histoire séculaire et de ses multiples identités. Quel meilleur porte-voix que le chant pour affirmer sa singularité linguistique et transmettre sa culture?
Les voix d'Afiletta en Corse, de Peio Serbielle au Pays basque, de Richard Desjardins pour le français du Québec, de Jaojoby à Madagascar, d’Edou en Nouvelle Calédonie sont des drapeaux de la francophonie, même si certaines oreilles de France métropolitaine leur restent sourdes. "C'est bien agréable une langue dont on ne comprend rien... C'est comme un brouillard aussi qui vadrouille dans les idées... C'est bon, y a pas meilleur !" notait Céline dans Mort à Crédit.
S'il existe encore 3000 langues parlées sur la Terre, des dizaines sont en train de disparaître, inexorablement. Certaines résistent cependant, voire se libèrent, comme le créole réunionnais, né avec le peuplement de l’île, découverte en 1642, où furent déportés jusqu’au XIXème siècle des dizaines de milliers d’esclaves parlant des langues d'Afrique de l'Est, de Madagascar, d'Inde et de Chine, nourries des lexiques de leurs esclavagistes, français, bien sûr, mais également, pour l'océan Indien, anglais, néerlandais et portugais.
Danyèl Waro est une figure majeure du maloya réunionnais, ce genre musical, blues mascarin, récemment inscrit au patrimoine de l’Unesco. Une voix incomparable, étourdissante, aussi vertigineuse que le cirque de Mafate vu depuis le pic du Maïdo,


portée par une démarche artistique, une perfection rythmique, une esthétique du métissage qui forcent le respect, et l'admiration - c'est notable - de quelques jeunes ambassadeurs de la chanson française. Matthieu Boogaerts, Jeanne Cherhal, Albin de La Simone, Camille Bazbaz, Thomas Pitiot ou Emily Loizeau (qui a enregistré un duo, Dis-moi que tu ne pleures pas, avec Danyel Waro) sont des inconditionnels du personnage.
Danyel Waro vient de sortir son cinquième disque, AOU AMWIN. Son chant est plus envoûtant que jamais, enregistré au plus près, accompagnée ici et là par des complices dont le rappeur sud-africain Tumi Molekane du groupe Tumi & The Volume qui, le 10 juin 2010, chantait avec Shakira pour le concert d'inauguration de la Coupe du Monde de football. Un double CD d'une beauté sidérante, incendiaire, que l’on écoutera en prière ou en tapant du pied sur le sol.


Chaque année, les Victoires de la Musique décernent un prix au «meilleur» album de musique d’ailleurs. Depuis 1994, I Muvrini y a été nominé à six reprises (pour deux victoires), Cesaria Evora à cinq reprises (pour deux victoires), Dan Ar Braz à quatre reprises (pour deux victoires), Rachid Taha à quatre reprises (pour une victoire), Soud Massi à trois reprises (pour une victoire), Amadou et Mariam, Rokia Traore, Idir, Manu Chao, Alan Stivell chacuns à deux reprises… Il est hors de question de remettre en cause le talent de ces lauréats, mais n’est-il pas étonnant, pour ne pas dire scandaleux, que la voix de Danyel Waro n'ait jamais été honorée ? Une preuve supplémentaire de l’étroitesse d’esprit de cette Académie pour qui les musiques du monde se résument à une douzaine d’artistes qui, une fois l’an, se partagent l’opportunité médiatique de s’adresser au grand public, lequel pourtant, cette soirée-là, ne demanderait que ça : découvrir d’autres univers.

Baptiste Vignol