Critique



“Écrivez vingt livres, un critique vous jugera en vingt lignes, et vous ne serez pas le plus fort” s’attristait Jules Renard en 1898. Quatre-vingt-deux ans plus tard, assommé par des critiques pleines de fiel, Renaud expédierait à sa façon les “journaleux”, ceux “qui parlent pas, qu’écrivent pas, qui bavent” et “foutent [s]a révolte au tombeau”: “T’t’façon, j’chante pas pour ces blaireaux/ Et j’ai pas dit mon dernier mot!” (Où c’est qu’j’ai mis mon flingue ?, 1980)
La fonction de critique a toujours embarrassé les artistes qui, quand paraissent leurs ouvrages, doivent parfois essuyer une glose contemptrice... À tel point qu’à 80 ans, Charles Aznavour reconnaissait : “La critique, la critique/ On a beau dire au fond: Que l’on s’en contrefout/ La critique, la critique/ Vous détruit le moral et vous/ En fout un coup.” (La critique, 2003)
Certains journalistes cependant font œuvre de critique, de culture et de pertinence. Les chroniques d’art d’Hector Obalk (Elle), les papiers littéraires d’Émilie Colombani (Technikart) ou les billets d’Alain Riou (Nouvel Observateur) par exemple donnent toujours envie d’aller voir une exposition, d’ouvrir un roman ou de se plonger dans un film. La ritournelle compte aussi ses experts. Bertrand Dicale en fait partie. Mais en septembre 2008, après 21 ans passés à faire partager sa passion, il a quitté Le Figaro - pourtant devenu grâce à lui un journal de référence pour ce qui concerne la Chanson. Signal inquiétant ?
Sans aucune véritable émission de télévision, avec un Jean-Louis Foulquier récemment remercié, un Bertrand Dicale en jachère (même si l’on peut lire son blog, ou découvrir ses coups de cœur dans l'indispensable Chorus), la chanson semble engagée sur une mauvaise pente… Après dix années de prospérité, elle s’apprête à vivre une période difficile comme ce fut le cas dans les années 90. S’il demeure dans la presse généraliste quelques plumes avisées, deux ou trois émissions convaincantes (dont la toute nouvelle d'Aude Lavigne, “À nous de jouer” sur France Musique), comment ne pas s’alarmer ? La mort du disque annoncerait-elle la fin d’un art vieux d’un siècle ? Sans bon relais médiatique pour le promouvoir ni CD à acheter, les maisons de disques vont prendre l’eau, le public se retrouver sans infos, et les chanteurs bien en peine de se produire. La crise se profile, et la critique n’aura plus rien à critiquer… Le joli tableau. Sauf à redéfinir un nouveau modèle de critique, de production et de diffusion en s'appuyant sur les modes actuels de communication.

Baptiste Vignol