Après ça, le déluge


La rengaine écolo semble être devenue un credo. Pas un disque sans son titre verdoyant, pas un parolier qui n’aborde cette thématique. Certains chroniqueurs le regrettent. Olivier Maison, par exemple, s’offusquait récemment dans Marianne que Charles Aznavour (La Terre meurt, 2007) et Michel Fugain (La Terre est servie, 2007) lui consacrent une chanson : “L’écologie […] est le nouveau combat des artistes qui ressemble au combat de trop de sportifs qui ne veulent pas raccrocher les gants. […] L’écologie devrait être une source d’inspiration pour nos artistes. Pourtant, elle semble déjà polluée.”
Dans une de ces chansons à fâcher Olivier Maison, Daniel Lavoie souligne par l’anaphore l’urgence d’un engagement salvateur : “Sauvez les baleines, sauvez les oiseaux/ […] Sauvez la banquise, sauvez les eskimos/ Sauvez-nous/ Sauvez tout […] ce qu’il reste à sauver/ Sauvez le monde entier” (Sauvez, 2007). Mais comment le lui reprocher puisque la Terre prend l’eau?
En 1946, deux duettistes entonnaient : « C'est la saison des chasses,/ Partout dans l'Alaska;/ Remuez vos carcasses/ Il faut partir les gars » (Les trappeurs de l’Alaska). Se souvient-on de Patrice et Mario? Ils connurent d’importants succès jusqu’à l’avènement des yéyé. Mais les jeunes gens d’aujourd’hui savent-ils ce qu’étaient les yéyé… « Tout est éphémère/ La vie, la terre » chantait Jean-Louis Murat (L’éphémère, 1991) ; la gloire et les modes aussi, autant que les glaces de l’Arctique dont on croyait qu'elles étaient éternelles.
Qu’auraient-ils répondu, nos duettistes, si on leur avait annoncé, il y a tout juste soixante ans, que la banquise aurait disparu à l’aube du troisième millénaire ? Ils n’en seraient pas revenus, eux qui voyaient en l’Alaska le promontoire d’un continent inviolable, royaume des Inuits et des ours blancs.
Une mission scientifique symboliquement baptisée Damoclès vient de révéler que la banquise estivale ne sera bientôt plus qu’un souvenir. Il y a vingt ans seulement, cette carapace de glace atteignait trois mètres d’épaisseur. Michel Berger affirmait vouloir s’y réfugier pour fuir le tumulte et la pollution de nos villes : « Je m'en irai dormir dans le paradis blanc/ Où les nuits sont si longues qu’on en oublie le temps/ Tout seul avec le vent… » (Le paradis blanc, 1990). Son épaisseur aujourd’hui s’est réduite de moitié ! Pire : en douze mois, la banquise d’été a reculé de 1,5 million de kilomètres carrés, trois fois la surface de la France. Le résultat est là, sans appel : cette mer de glace aura fondu dans dix ans. Il n’est pas loin le jour funeste où les ours polaires végéteront dans des zoos, tandis que les phocidés s’agiteront sous des chapiteaux, comme dans la chanson de Beau Dommage : “Cré-moé, cré-moé pas/ Que’qu’part en Alaska/ Y a un phoque qui s’ennuie en maudit/ Sa blonde est partie/ Gagner sa vie/ Dans un cirque aux États-Unis…” (La complainte du phoque en Alaska, 1974).
Le réchauffement climatique explique la fonte de la banquise. Lié à l’augmentation des gaz à effet de serre, son amplitude est plus forte aux pôles (+ 5°C depuis un siècle) qu’à l’équateur (+ 1°C). Cet afflux d’eau douce dans l’océan va modifier les climats. « On peut s’attendre à davantage de tempêtes et de canicules », prédit Jean-Claude Gascard, coordinateur du projet Damoclès.
En 1998, Pierre Perret rappelait : « Tous les ans, bonhomme,/ Sept milliards de tonnes/ De gaz mortel CO2/ S’envolent dans les cieux./ L’effet d’serr’ menace,/ Ça fait fond’ les glaces,/ La mer mont’ : c'est sans danger,/ Y aura qu’à éponger » (Vert de colère). Et l’on apprend aujourd’hui que le niveau de la mer devrait s’élever d’un mètre d’ici la fin du siècle…
En attendant, le monde va son train destructeur. La désertification gagne, la déforestation s’accroît, des intempéries meurtrières dévastent des zones géographiques chaque fois plus étendues, flagellées de surcroît par la faim et les épidémies. Les puissants qui pour eux-mêmes ne connaissent nulle modération osent prôner pour les autres l’ascétisme écologique. Songeront-ils un jour à désarmer leurs yachts ? Renonceront-ils aux jets privés ? Que peuvent valoir les assises internationales de Rio ou de Kyoto sans l’adhésion de tous pour un projet de sauvegarde ? Peut-on croire même qu’un Grenelle de l’environnement soit suivi d’effet quand rien ne bouge mais qu’au contraire tout autorise au scepticisme manichéen dont témoigne encore le tollé de bien des chansons d’aujourd’hui ? : « Hou ! hou ! je hue le riche arrogant” maudit Vincent Baguian, “Hou ! je conspue/ Les désirs inutiles, l’opulence imbécile » (Hou hou je hue, 2007). Ne nous resterait-il qu’à « boire un dernier verre à la santé des ours blancs » ? (Une certaine lenteur rebelle, Charlélie Couture, 2006)

Baptiste Vignol