En (l)armes


Tous les enfants du monde jouent à la guerre, aux gentils contre les méchants. Tous se tirent dessus avec de faux revolvers, mourant les bras en croix, les yeux grands ouverts. “L’été sur les plages/ C’tait l’débarquement”, se souvient Renaud: “J’étais les GI’s / T’étais les All’mands / […] Et ma cane à pêche / C’tait un bazooka” (Le sirop d’la rue, 1991)… Pourtant, il est des pays où les enfants sont armés pour de vrai et jusqu’aux dents, vêtus de treillis caca d’oie, trop grands pour eux. Ceux-là ne font pas semblant et s’entretuent pour de bon.
Dans l’Ouganda d’Idi Amin Dada des ados marchent au pas / Certains pensent à s’échapper mais ça ne marche pas / […] Il faut sauver l’enfant soldat” répète MC Solaar dans un morceau dont le titre est la célèbre chanson populaire Au clair de la lune (2007).
2 octobre 2007, en marge de l’Assemblée générale des Nations Unies, l’Argentine, la Croatie, le Guatemala, le Laos, la Mauritanie, le Maroc et l’Ukraine parafent les “Engagements de Paris” qui interdisent d’enrôler des enfants. Ces sept pays rejoignent ainsi les 59 États qui ont signé ces principes en février 2007 lors d’une conférence internationale intitulée “Libérons les enfants de la guerre”. Et Solaar d’insister: “Je parle à la droite, je parle à la gauche, je parle au centre/ Il faut remettre la balle au centre, qu’on s’concentre sur l’enfant soldat”.
Si les guerres n’ont pas d’âge, celui des combattants est régi depuis peu. Selon les Engagements de Paris, même un franc-tireur de moins de dix-huit est un “enfant soldat”.
Au Moyen Âge en revanche, un garçon de sept ans pouvait recevoir une éducation militaire. Écuyer à douze ans, il suivait son chevalier, s’accoutumant au combat avant d’être adoubé. Quelques siècles plus tard, des convois d’adolescents furent envoyés sur le front pendant la Guerre de Sécession. Il y eut ensuite les Marie-Louise, puis des centaines de polonais lors de l’insurrection de Varsovie à la fin de la Seconde Guerre mondiale… Un monument leur rend hommage au cœur de l’ancien ghetto. Les Jeunesses hitlériennes, enfin, en embrigadèrent des milliers pour défendre Berlin. Le reporter John Florea immortalisa ce désastre en photographiant la détresse d’un allemand, prisonnier de guerre à quinze ans. Diffusé par le magazine Time, ce cliché n’aura pas suffisamment frappé les consciences pour que cesse cette ignominie moyenâgeuse.
Le monde des années 1980 fut marqué par les guerres ethniques et les rébellions. Est-ce une photo ou bien un documentaire qui, en 1985, motiva Daniel Balavoine pour son Petit homme mort au combat : « Étendu / Noyé de poussière / Un enfant fixe le néant… » ? Livrés à eux-mêmes dans des pays où la scolarité n’est pas assurée, dociles et corvéables, des dizaines de milliers d’enfants, âgés d’à peine dix ans, furent recrutés par des armées nationales, ou bien alors embrigadés par des factions en lutte contre le pouvoir. Drogués, dressés comme des chiens, on en fait des kamikazes au service d’idéologies. La même année que Balavoine, Renaud rappellait dans une de ses chansons coup de poing: “Déchiqu’tés aux champs de mines / Décimés aux premières lignes / Morts les enfants de la guerre / Pour les idées de leurs pères…” (Morts les enfants, 1985)
Le trafic des armes légères a facilité cet enrôlement. 500 millions de fusils, de pistolets et de mitraillettes seraient en circulation dans le monde. Leur propagation encourage le recours à la violence. “Faciles à se procurer et faciles à manier, les armes légères ont été le principal, voire l’unique moyen de combat utilisé dans la majorité des conflits récents” souligne Kofi Annan.
Un enfant, avec un fusil trop grand / Un enfant marche lentement, à pas hésitants…” (Petit, Bernard Lavilliers, 1988). “Dans dix ans, si jamais y a plus l’enfer” poursuit Lavilliers, “Tu raccrocheras ton fusil / Comme un cauchemar qu’on oublie, apparemment / […] Petit, que vas-tu devenir ?
La réintégration dans la vie civile est justement l’une des priorités des Engagements de Paris. Et l’on sait qu’elle doit passer par l’école !
Ce thème difficile a touché la variété. Voilà qui pourrait lui donner une plus large audience. Alors qu’on l’interrogeait sur son dernier CD, MC Solaar répondait: “Mon fil rouge, ça a été des trucs importants: les enfants soldats, le manque d’eau, les flingues… Peut-être qu’après, les gens iront se renseigner, voir les associations…” Louable intention. Pour appuyer son propos, le rappeur s’adresse au jeune public, trop souvent ébloui par les paillettes et la real TV: “J’te parle aussi à toi l’ado […] / C’est des méninges au minot qu’il faut, pour sauver l’enfant soldat” (Au clair de la lune, 2007). Dont acte.
Il faut également saluer la démarche de Rama Yade grâce à qui s’est tenue, en accord avec l’Unicef, la réunion du 1er octobre à New York - bien que les Etats-Unis n’aient pas signé ces Engagements qui risqueraient de contrecarrer leurs intérêts…
En attendant, les dépêches continuent de tomber. 14 septembre 2007: “Au moins 54 enfants ont été recrutés par les milices qui se disputent le contrôle du Nordkivu, en République démocratique du Congo…”; 25 septembre 2007: “Guy Verhofsstadt (premier ministre belge) réclame l’arrestation du chef de guerre ougandais Joseph Kony, responsable de l’enrôlement de milliers d’enfants soldats…”; 5 octobre 2007: “On dénombre environ 70 000 enfants soldats en Birmanie”, etc.
Les Nations Unies estiment aujourd’hui à plus de 250 000 les enfants, filles et garçons, recrutés illégalement par des groupes armés en Afrique, au Proche Orient, en Asie (Birmanie, Népal, Sri Lanka) et en Amérique Latine (Colombie). Ces enfants soldats, s’ils parviennent à survivre, à grandir et se réinsérer dans la société, auront toujours « au fond des yeux, des éclairs de feu / Déchirés par les barbelés / Et de temps en temps, du cristal de sang… » (Petit, B. Lavilliers).

Baptiste Vignol