C’est dans un magnifique petit théâtre à l’italienne inauguré en 1823 que Lynda Lemay s’est produite à Nevers ce 23 janvier 2024. Car sa nouvelle tournée passe par toutes les villes de la francophonie. Qu’elle chante à l’Olympia, à Bordeaux, Lausanne, Bruxelles ou sur les bords désertés de la Loire, la Québécoise, sitôt la salle plongée dans le noir, débute son concert en entrant par derrière, dans le dos des spectateurs, avec une chanson d’ouverture qui lui permet, en l’effleurant, de saluer son public et de lui dire au plus près son bonheur de le retrouver. Suivront une trentaine de chansons, de scènettes même (leur durée peut avoisiner la dizaine de minutes) que cette interprète majuscule dévoile telle une vraie comédienne avec une justesse épatante. En effet, que son propos verse dans l’humour (La visite), le mélodrame (De tes rêves à mes rêves), le comique (Le mime), l’ironie (Les souliers verts), la sensualité (J’veux des baisers), les affres du grand âge (Ta robe), la cruauté religieuse (Le bijou) ou le sens de la vie (La grande question), Lynda Lemay vise toujours dans le mille. Remarquablement accompagnée par deux musiciens (Claude Pinault à la guitare et au piano, Marc Angers au violon), dont les chœurs rocailleux l’escortent comme deux drakkars sur les fonds abyssaux de son inspiration céleste, Lynda Lemay aborde tous les thèmes (rien ne l’arrête), les effeuille, les dissèque sans ambage dès lors qu’ils touchent à l’intime, c’est-à-dire au cœur battant de nos vies. À Nevers comme ailleurs, les salles combles succombent au talent pur de cette femme-capitaine dont la longue chevelure, la longue silhouette, les longues notes tenues, la longue élégance – cette élégance qui semblerait presque onduler comme une flamme revêtue de dentelle noire – captivent l’assistance. Alors, chacune, chacun, carré dans son fauteuil, son velours rouge d’un soir, bercé par ces complaintes terriblement humaines et si follement écrites, chacun, chacune se prend à rêver que cette longue et captivante sorcière aux yeux d’amande soit une amie (ce qu’elle est déjà, puisqu’elle recueille les confidences de son public depuis presque trente ans !), une mère, une sœur, même une amante. Après deux heures et demie d’un spectacle qui n’est jamais tout à fait le même selon la ville où elle se trouve puisque Lynda Lemay dépoussière tous les soirs une dizaine de pépites qui le public lui aura réclamée la veille via sa page Facebook, c’est évidemment sur Le plus fort c’est mon père, son titre fétiche, qui la fit connaître des deux côtés de l’Atlantique, qu'elle clôt ces retrouvailles devant une salle qui se sera levée d'un bond, admirative et définitivement ferrée par la poésie d’une artiste à l’impudeur contagieuse.
Baptiste Vignol