Ils ont coulé Barclay


1986, Claude Nougaro se voit remercier par le label Barclay mécontent des ventes du 33 tours BLEU BLANC BLUES sorti en avril 1985. Quittant la Butte Montmartre, le Toulousain prend le Concorde, vole sur New York et enregistre NOUGAYORK qui paraitra chez WEA en septembre 1987. L’album fait un malheur. S’écoulant à plus de 500 000 exemplaires, il décroche la Victoire du disque de l’année en novembre 1988, Nougaro raflant au passage le trophée de l’Artiste masculin. Il faut voir Nougaro interpréter Nougayork en arpentant tel un taureau la scène du Zénith de Paris devant le métier assis dont une partie l’applaudit la honte au front. Barclay était une enseigne légendaire fondée à la fin des années cinquante par un musicien, chef d’orchestre et compositeur qui la dirigera jusqu’en 1983. Pour avoir joué tous les rôles au sein de son entreprise, Édouard Ruault, alias Eddie Barclay, connaissait le prix du succès. Il y aurait un livre à écrire sur l’histoire de cette maison qui accueillit dans ses studios Charles Aznavour, Alain Bashung, Jacques Brel, Dalida, Diane Dufresne, Juliette Gréco, Jean Ferrat, Léo Ferré ou Michel Polnareff. Suivront Stephan Eicher, Khaled, Benjamin Biolay, Rachid Taha, William Sheller, etc., etc. Dans son numéro daté du 11 février 2021, Paris-Match révèle que Barclay a baissé pavillon, s’étant séparé « fin décembre » de ses vedettes au premier rang desquelles Vanessa Paradis «à la suite des ventes très décevantes des SOURCES paru en 2018.» L’histoire se répète. Mais Benjamin Locoge rassure ses admirateurs: «Vanessa devrait trouver sans problème un nouveau foyer pour ses chansons», annonçant illico que pour les autres victimes de cette charrette, ce seraient jours de dèche... Locoge se trompe de sujet et de cible. Il ne comprend rien à l’époque. Plutôt que de s’inquiéter avec une douteuse commisération du sort des artistes «qui se retrouvent à la rue», il aurait dû faire le job et se demander par exemple comment les dirigeants de Barclay (dont on aimerait connaitre l'envergure des salaires et des avantages, eux qui ne seraient rien, mais rien de rien, sans le talent des musiciens) ont réussi, depuis le départ de Pascal Nègre (qui avait fait d’Universal la première major de France), à dilapider le patrimoine d’une forteresse historique. Barclay s’est donc éteint dans le silence sans que cela n’émeuve grand monde. Serait-ce le sort de la chanson française? Imaginons Gallimard fermer ses portes dans l’indifférence générale...

Baptiste Vignol