L'Enivrante


Ce disque n’a rien d’une simple embellie saisonnière. Il saisit l’essence du temps qui passe et se profile, en un lent foudroiement. Il chante le feu des corps, des souvenirs et des adieux. Il rompt la glace des non-dits quand elle commence à se briser avec de sourds craquements. Il célèbre la vie qui jaillit. L’AN 40 est un vaisseau. Jeanne Cherhal, son capitaine. Après vingt ans de carrière, la chanteuse aux yeux verts s'y montre toutes voiles dehors. Telle une aventurière dont l’armure serait la musique. Son AN 40 est le recueil en dix fusées d’une Femme-envie. Sans tabous ni totems, elle explore tous les thèmes que sa curiosité attise, avec dans son écriture quelque chose d'instinctif, une approche féline. Ainsi peut-elle sans gaillardise dépeindre les ivresses de l’amour (Soixante-neuf), ses eaux vives, ses zigzag et ses divins emportements: «Je te veux comme un glacier millénaire / Tranquille et transparent / A l’opacité passagère / Quand tu te troubles un moment…» (L’Art d’aimer) L'AN 40 n’a rien d'un soleil qui se couche. C’est une aube nouvelle. C'est une anatomie des passions humaines. Un plumage fauve de chansons imbriquées. C'est une principauté. Qui déclare son indépendance. C'est un manteau d'esprits. Le tipi d'une Cheyenne ! En moins de quarante minutes, Jeanne Cherhal, de sa voix claire et sans-façon, cisèle les tourments, les peines et les éblouissements d’une créatrice à fleur de peau. Jamais personne n'avait chanté cet âge d'or avec une telle poésie. L'AN 40 fait déjà partie des très grands albums de la décennie.

Baptiste Vignol