La chanson folk de Fredda

À travers les fentes des persiennes de notre si chère Variété, il faut parfois regarder ce que les médias prennent soin d'occulter. Parmi les artistes dont on prive l'air au public, la chanteuse Fredda qui sortait il y a quelques mois, son troisième disque, L'ANCOLIE (2012). Une voix dont le joli timbre porte des mélodies justes et naturelles comme on pouvait en entendre, jadis, sur les 33 tours d'Anne Vanderlove, de Marie Laforêt ou d'Isabelle Mayereau. Élégant. Frédérique Dastrevigne répond ici à quelques questions naïves nées pendant l'écoute d'un recueil séduisant.


«Fait si chaud l'été à Morin Heights...» En suivant quel parcours découvre-t-on Morin Heigts?
Fredda - Par des vacances en famille chez des amis au Québec à Montréal... Puis direction un chalet dans les Laurentides à Morin Heights justement : station de ski en hiver, chaleur et paysages flamboyants en été. Un havre de paix où le mot amitié prend toute sa signification et où l'on a envie de chanter des chansons.

«Chaleur en été»... Sensation principale décrite dans Y fait chaud de l'Acadienne Lisa Leblanc (« Croire qu'y en a des fous qui pensent qu'on vit dans des igloos / Y fait chaud / Ostie qu'y fait chaud !»). Connaissez-vous la chanson québécoise?
- Oui, celle des années quatre-vingt surtout, mes premières vacances là-bas : Harmonium, les Colocs, Beau Dommage et plus tard, Daniel Lanois avec Jolie Louise, une chanson «franglaise» tendre où l'on le retrouve la double culture de ce pays.

Morin Heights est co-signée avec Marianne Dissard.
- Marianne est une artiste française qui vit à Tucson aux États-Unis. On se connait depuis quatre ans. On s'est connectées par mail la première fois en 2008 via le label allemand que l'on partage "le pop Music". J'ai eu un coup de cœœur pour son premier album L'ENTREDEUX, un beau mélange de chanson et d'«americana», et pour son écriture tendue et sensible. Puis nous nous sommes revues pour des concerts à Paris, à New York, mais c'est à distance, chacune chez nous que nous avons collaboré à l'écriture. Les formules, dans Morin Heights, «Fait si chaud, fait si beau» c'est elle !...


Vous avez chanté à New York?
- Sublime expérience. Nous avons joué avec Pascal Parisot, invité également, à l'occasion d'une exposition au MOMA sur Henri Matisse, d'où l'écriture de la chanson Fenêtre à Collioure. L'expérience s'est faite devant un public de musée, international! C'était très drôle en fait. Je reviens justement d'une tournée américaine qui s'est faite cette fois dans les clubs et au festival South by southwest à Austin (Sxsw), c'était beaucoup plus roots. Là-bas, on branche les guitares et on joue, c'est une bonne école pour la scène.

Vos paroles évoquent des voyages. «Tous ces noms de pays lointains» dites-vous par exemple dans Journal intime, deuxième morceau du CD. Intimes, vos chansons le sont-elles?
- Oui, elles le sont dans cette album, même si elles ne sont pas forcément autobiographiques, à part Morin Heights. Journal intime est un hommage à l'écriture d'un journal intime, genre littéraire que j'affectionne. L'album est inspiré aussi par le Romantisme, et nombreux sont les auteurs poètes romantiques qui ont publié un journal.

Il ne me reste (vous en avez fait un clip) traite du besoin de donner la vie, dont La Grande Sophie a fait un chef-d'œuvre, Peut-être  jamais (2012)...
- Oui, je l'ai écoutée récemment ! C'est un thème que les femmes peuvent aborder aujourd'hui. Pour ma part, je l'aborde de manière spécifiquement féminine en insistant légèrement sur l'horloge biologique.

Puis encore le voyage («J'en ai vu du pays / Franchi bien des frontières...») dans L'Ancolie, chanson de commande écrite et composée par Bastien Lallemant. Pourquoi avoir donné son titre à votre album?
- «L'anémone et l'ancolie ont poussé dans le jardin où dort la mélancolie entre l'amour et le dédain. Il y vient aussi nos ombres que la nuit...» C'est d'Apollinaire. «La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé» disait encore Gérard De Nerval. Ancolie rime avec mélancolie, et c'est plutôt ma référence. L'album est mélancolique, contemplatif. Le paysage est très présent également. J'aime cet état émotionnel.


Est-il vrai que vous avez imposé ce titre à Bastien Lallemant avant qu'il n'écrive la chanson?
- Oui, c'était la seule contrainte. Et Bastien est parti sur le thème de l'éloignement.

«On a connu mon amour / Le décor et son envers» (Pas de jour). L'occasion d'évoquer l'envers de votre disque, les musiciens qui vous accompagnent, parmi lesquels Mocke et Pascal Parisot.
- Mocke, avant d'être le guitariste de Arlt, est le compositeur et l'auteur du groupe Holden dont il a réalisé plusieurs albums. Ce sont tous ses ornements artistiques et guitaristiques dans les disques d'Holden qui m'ont donné envie de le solliciter. Mais Mocke est avant tout un ami qui était là quand j'enregistrais L'ANCOLIE, tout comme Pascal Parisot. Les choses se sont faites ainsi avec les gens, les amis présents du moment.

Les flots bleus. Chanson balnéaire.
- Son point de départ est un extrait des correspondances de Flaubert, alors qu'il suivait une cure au bord de la Méditerranée. Je m'en suis sentie proche car je n'arrive à me ressourcer vraiment qu'au bord de la Méditerranée.

Comment ne pas songer à Matisse, effectivement, mais aussi à Braque ou Derain en écoutant Fenêtre à Collioure, que vous avez donc écrite pour votre performance au Moma. Vous y évoquez «la mer baignée de lumière»...
-Oui, moi j'ai choisi la chanson, la narration. Je suis trop contemplative pour peindre et trop mauvaise en art plastique! Je préfère observer, sentir, écrire et jouer de la guitare.


Pourrait-on en savoir plus sur la chanson Vatanen?
-Eh bien lisez «Le lièvre de Vatanen» d'Arto Paasilinna. C'est un clin d'oeil ! 

Et sur le chevalier Constant?
-Constant, au départ, c'est mon arrière grand-père paternel, émigré en Californie en 1898, naturalisé américain et devenu garçon vacher. Après, la chanson, c'est une fable au milieu des grands paysages du Nevada, l'occasion d'évoquer ces plaines ocres américaines.

Rugir Noël vient compléter une liste sans fin... Entre, disons, Joyeux Noël de Barbara, Noël à la maison de Jean-Louis Murat et Petit Papa Noël de Tino, laquelle choisiriez-vous?
- Je choisis la chanson de Tino ! La seule que je connais.

Présentez-nous Yvan Hiot, l'auteur de Fleur d'ennui.
-Yvan est un ami, co-auteur de mon album précédent, MARSHMALLOW PARADISE. Il a lui-même sorti un très bel album de chansons, L'HOMME INVISIBLE, en 2001. Il est dans la continuité de mon parcours.


Little Brats, enfin, est interprétée par Lou Parisot à qui vous dédiez ce CD. Que ressentez-vous quand vous lisez être une artiste discrète?
- Lou est mon invitée sur cette chanson qui parle d'enfance, l'album est dédié à Lou et Charlie-Rose, mes deux filles. Quant à la discrétion, elle est l'apanage des gens non connus. J'espère que ça va changer.

(entretien Baptiste Vignol)