Alexandrie, Alessandra


Pourquoi ne pas éviter les sarcasmes quand il s'agit des Victoires de la Musique? Il est vrai que la cérémonie, dont c'était la vingt-septième édition, n'a jamais su devenir attrayante, audacieuse, pertinente, innovante, contribuant plutôt à ringardiser avec ses présentateurs convenus la variété française. Mais ce samedi 3 mars 2012, le programme aurait pu, pour qui n'avait pas lu la sélection des nominés, insuffler un élan, l'animation étant confiée à la très contemporaine Alessandra Sublet. Une nouvelle désillusion tant la jeune femme s'accapara le show, voulait faire la vedette à la place des chanteurs, surjouant sa partition, s'égarant dans un bla-bla lourdingue avec une voix off parfaitement superflue, dansant, parodiant Lady Gaga, donnant, déguisée en Nana Mouskouri, la réplique à Claude François, en somme tellement occupée à se mettre en scène qu'elle priva d'antenne des artistes dont le temps de parole était, lui, fort limité. N'est pas Valérie Lemercier qui veut. Inutile de s'attarder sur les sketchs du dénommé Thomas VDB, jeune homme à qui des gogos ont dû trop dire qu'il était drôle pour qu'il le croie et se noie dans un humour de potache. Au final, on en regretta presque les prestations poussiéreuses de Nagui ou de Michel Drucker. Un exploit! Sinon? La prestation de Camille, sautillante et toute en seins, formidable; Catherine Ringer, punchy, souriante, lumineuse; Brigitte, et sa référence aux «looseuses»; L, suprêmement élégante dans son smoking blanc, n'empêchèrent pas, «comme chaque année, les mauvaises langues de buzzer que beaucoup avaient été prévenus de leur victoire» rapporte sur son blog Gilles Médioni de L'Express. Car c'est la faille des Victoires, l'ombre qui gâche tout : le palmarès n'a pas vraiment l'air d'être inédit pour tout le monde. Le bruit courait par exemple qu'Izia, parmi d'autres, connaissait sa Victoire depuis plusieurs jours déjà. La voir interpréter sa chanson deux minutes après avoir reçu son trophée avec son groupe au complet qui l'attendait sur scène pour faire rugir le son ne peut qu'épaissir le doute. Si la rumeur dit vrai, voilà qui rend outrancière sa surprise d'être la gagnante et franchement scandaleux d'avoir laissé croire aux frangins d'Archimède, auteurs d'un album du tonnerre, TRAFALGAR, qu'ils étaient là en course. Sinon, outre les hommages gnangnans à Michel Berger et Barbara - ah, Zaz hilare massacrant Dis, quand reviendras-tu?... -, que fabriquaient au Palais Benjamin Biolay, dont le disque sur lequel figure Padam, la chanson qu'il est venu chanter faux, a reçu la Victoire 2010 du meilleur album? Zaz, primée en 2011? Alexis HK, quinze ans de carrière et cinq albums au compteur, nominé dans la catégorie "Révélation scène" et venu défendre un morceau, Les Affranchis, qui concourait déjà en 2010 dans la catégorie "Vidéo-clip de l'année"? Et Stromae, et Booba, nominés en 2011... Autant de places qui semblaient pourtant devoir être dévolues à Jean-Louis Murat (GRAND LIÈVRE), Alister (DOUBLE DÉTENTE), Yelle (SAFARI DISCO CLUB), Miossec (CHANSONS ORDINAIRES), Bertrand Belin (HYPERNUIT), Housse de Racket (ALESIA), six grands disques de l'année étrangement effacés des tablettes. Ah! l'arrière cuisine de la chanson française... Gloire à l'ancêtre Hubert-Félix Thiéfaine d'avoir pris le temps de citer les noms de ses compositeurs, JP Nataf, Ludéal, Dominique Dalcan parmi les têtes chercheuses constamment oubliées d'un courant libéré qui fait encore battre le cœur de la production francophone. Enfin, pour évoquer les morts de l'année écoulée dans la traditionnelle séquence «Ils vont tant nous manquer», Allain Leprest, jamais invité aux Victoires, voyait son prénom amputé d'un «l» quand manquait au générique Ricet Barrier... Et Maurice André, aurait-il choisi, pour donner à la cérémonie sa minute funerarium, de jouer l'Ave Maria de Schubert quand il avait dans sa trompette tant de pièces propres à réjouir les trépassés les plus inapaisés? Allain Leprest, Ricet Barrier, Maurice André. Trois figures inconnues d'Alessandra Sublet, alors pourquoi pinailler?

Baptiste Vignol