La nostalgie, ça n'existe pas !



D'aucuns diront "Beigbeder vieillit", pire: "il est frappé de nostalgie". Dans le billet hebdomadaire qu'il écrit pour Voici, intitulé cette semaine "L'adieu aux albums", l'écrivain germanopratin regrette, après une déclaration de Thom Yorke où le leader de Radiohead affirme que son groupe n'enregistrera plus d'albums mais proposera désormais ses compositions une par une sur la toile au gré de son inspiration, le temps des disquaires, du vinyl au CD, quand on prenait le temps (notez l'imparfait) d'aller (notez l'intention) acheter sa musique, puis de la découvrir, chanson après chanson, en inspectant la pochette, en lisant les paroles, en consultant les crédits, avant que le téléchargement sauvage n'ait achevé ce produit. Beigbeder nous prie donc d'observer, non pas une minute mais une heure (le temps qu'il fallait selon lui pour écouter un 33 tours) de silence en hommage à quelques disques de sa mythologie (SERGENT PEPPER'S des Beatles, DARK SIDE OF THE MOON des Pink Floyd, PET SOUNDS des Beach Boys... Que de l'ancien!). Et le chroniqueur de conclure: "Quand donc notre civilisation s'apercevra-t-elle qu'Internet est en train de détruire ce que l'humanité avait de plus précieux : le temps ?" Car en cédant aux diktat de l'immédiateté, du zapping, du téléchargement, de la surconsommation (combien de milliers de morceaux un ipod peut-il contenir ?), nous nous sommes (définitivement?) défaits d'habitudes toute simples (aller en librairie, fouiner à la fnac, en quête de découvertes littéraires ou musicales) desquelles pouvait éclore une sensibilité. Cela vaut bien d'être nostalgique, non ? Nostalgie. Ce joli mot qui fâche les auteurs à la mode (allez savoir pourquoi...), les quincas frappés des affres du jeunisme vêtus comme des adolescents et les vieilles idoles qui, ne supportant pas l'idée du temps qui passe, s'excusent, sitôt qu'elles ont évoqué leurs glorieuses années : "Mais attention, hein, je ne suis pas nostalgique. Moi je regarde de l'avant !" C'est ça. N'est-il pas attristant d'entendre tel barbon, telle actrice, telle ancienne muse de Saint-Sulpice prétendre être insensible à ce sentiment? Comme s'il fallait un après à Saint-Germain-des-Prés...
Entre en avoir ou pas, Beigbeder a choisi : il déborde de nostalgie en pensant à toutes ces heures qu'il ne passera plus à écouter les dix nouvelles chansons de nouveaux chanteurs prometteurs, le livret de leur CD à la main. Car tout était là. Dans l'objet.

Baptiste Vignol