Conne? Loin s'en faut
























Nous n’attendions pas Emma Daumas sur ce terrain-là. D’ailleurs, l’espérions-nous quelque part ? Mais voilà qu’elle réapparaît avec un titre inopiné (J’suis conne), qui n’a rien du chef-d’œuvre mais tout d'un tube en puissance, signé Mickaël Furnon. Décidément, l’astucieuse tête pensante du groupe Mickey 3d a le chic pour trousser le refrain évident, celui qui tombe dans l’oreille et séduit par son propos désuet (J’ai demandé à la lune, Indochine) ou baroque (Je m’appelle Jane, Jane Birkin)! J’suis conne surfe sur l’image prosaïque de la blonde bêtasse, qui de surcroît coïncide avec celle d’Emma Daumas - dont on se souvient encore trop qu’elle a fait la Star Ac'… À cette approche en ricochet, Furnon ajoute un thème inusité. C.Q.F.D.!
Si les cons ont été chantés plus que de raison (le classique du genre restant Le temps ne fait rien à l’affaire de Georges Brassens), rarissimes sont les interprètes qui endossent cet état. En 1932, Marie Dubas, l’inspiratrice d’Édith Piaf, ouvrait cette voie insolite : “J’comprends jamais très bien c’qu’on m’dit/ Je suis candide comme une oie/ Ma bêtise m’est v’nue en naissant/ Et j’ai beau fouiller dans ma tête/ J’y trouve rien d’intéressant/ J’suis bête !” (J’suis bête) Soixante années plus tard, poussée par Étienne Daho, Brigitte Fontaine signait son come-back médiatique avec un mea-culpa : “Je ne sais même pas parler une langue étrangère/ Et je suis incapable de passer l’aspirateur/ Parce que je suis conne !” (Conne)
C’est aujourd’hui le tour d’Emma Daumas de s’élancer tout schuss sur ce versant pulvérulent. “J’suis conne/ Mais j’essaie de me soigner/ Les hommes/ Me voient toujours comme une poupée/ Ils regardent mon cu-rriculum/ Et ça les fait rigoler…”
C’est aussi ça, la clef d’une bonne chanson: ne pas se prendre au sérieux, faire preuve d’audace (de l’audace!), de fantaisie, et se jeter à corps perdu dans des refrains singuliers. Bien sûr, Mickaël Furnon n’a pas le génie textuel d’un Serge Gainsbourg (l’ironique hiatus marqué par la chanteuse après la première syllabe du mot curriculum fait forcément songer au maître ès-versification des variétés françaises), mais il en a la clairvoyance. Et le don de trouver les bons interprètes. Qui sait si grâce à cette chanson, et la probante rancœur qu’elle glisse avec humour dans son interprétation, Emma Daumas ne deviendra pas une sorte de BB2008 (une Bardot jeune, ça va de soi, celle des années 63, de L’Appareil à sous, de Je me donne à qui me plaît) ? Car ce titre bête comme bonjour pourrait bien la déprendre de l’image caricaturale qu’elle trimballe depuis son passage dans le télé-crochet de TF1 et lui permettre, à l’instar de sa consœur Olivia Ruiz, d’évoluer sans rougir parmi les héritières d’Yvette Guilbert qui, rappelons-le, brodait d’or les grivoiseries qu’elle chantait.

Baptiste Vignol