Qui a le droit d'faire ça?


Rien n'est plus agaçant que de voir chaque matin le souriant Thierry Freret se réjouir sur iTélé qu'il fasse une douceur d'avril en décembre. Rien, jurions-nous. Et puis l'on tombe hélas sur Patrick Bruel aspergeant L'Aigle noir de neige artificielle comme l'on décorerait un sapin de Noël… Certes il avait déjà jadis bombardé Amsterdam. C'était consternant bien sûr, mais l'acteur, devenu chanteur populaire, avait alors, en pleine «bruelmania», l'excuse de la jeunesse. Et l'on n'est pas sérieux quand on s'imagine, à trente ans, avoir la trempe d'Yves Montand. Mais pourquoi aujourd'hui saccager ainsi L'Aigle noir? Avec une sensiblerie outrée, un pathos prétentieux, une fausseté criante à rendre Lara Fabian folle de jalousie. 
Bruel a connu Barbara. C'est ce qu'il explique partout en évoquant les fax que lui adressait la diva. Peut-être a-t-il alors pensé avoir la légitimité, et le souffle, pour s'attaquer à cet Annapurna. Le problème, en réalité, n'est pas de savoir si l'on peut reprendre ou pas Barbara. D'autres l'ont fait avec grâce: William Sheller bien sûr (qui l'a très bien connue aussi, sans exhiber leur correspondance), Nilda Fernandez (qu'elle appelait «mon cep», ce dont il n'a jamais cherché à tirer avantage) ou bien encore Hervé Vilard qui prouve, s'il était besoin, quel bel interprète il est en s'appropriant C'est trop tard sur sa captation au Théâtre La Bruyère qui vient de sortir sur CD. Non, la seule question qui tienne quand on se glisse dans le répertoire des géants est de le faire avec égard, tact et humilité. Bruel, lui, y saute à pieds joints. Parce qu'il abuse d'un ton qui manque d'aisance et de naturel, qui se voudrait profond, sûrement, mais suscite de la gêne, pour lui, pour Elle, pour tous ceux qui ne connaitraient pas encore Barbara, l'homme qui chantait Qui a le droit ? fait ici la démonstration, en enrobant de chantilly L'Aigle Noir, Perlimpinpin (grand dieu, ces arrangements à la Jeanne Mas!…), Nantes ou Ma plus belle histoire d'amour, qu'on peut contracter le diabète en écoutant des chefs-d'œuvre. Chapeau bas.

Baptiste Vignol


Sheller à son meilleur


S'il était chanté en anglais par un jeune Liverpuldien, cet album bref, calme mais tonique serait salué de par le monde comme celui d'un dandy dont le sang qui coule dans les veines a la rougeur mccartneyienne. Car les musiques de William Sheller, d'une élégance anachronique, percent le ciel et font de STYLUS, sept ans après AVATARS, un disque obsédant, que la platine usera, tissé de paroles délicieuses comme autant de fils d'or, jetées à l'ancienne, à la hâte, ainsi que les poètes écrivaient jadis à lueur d'une mèche qui se recroqueville et dont on peut prévoir qu'elle va bientôt s'éteindre. «Depuis peu que j'ai fait fortune / Je me suis acheté un jardin sur la Lune / Juste du côté que l'on ne voit pas» (Youpylong) sont les trois premiers vers d'un recueil dont la voûte s'étoile peu à peu et s'achève, trente minutes plus loin, sur une histoire extraordinaire (Walpurgis). D'ailleurs, le deuxième titre, Une belle journée, débute par cette peinture: «Rester la nuit pour observer les étoiles / Couché sur le dos dans le frais du gazon»… La troisième plage, Bus stop, n'étant ni plus ni moins qu'un chef-d'œuvre impérissable de la chanson, avec ce plan du véhicule qui s'éloigne, emportant l'être aimé : «Le jour tombe des néons sales / Et le vent devient froid / C'est un point là-bas sous les étoiles / Qui tourne et qui s'en va.» Au cœur d'un disque semblant venu des profondeurs stellaires, William Sheller délivre aussi deux parties instrumentales et dépoussière deux pièces oubliées: Les enfants du week-end, qui était l'inédit de PIANO EN VILLE en 2010, et Comme je m'ennuie de toi qui figurait sur ROCK 'N' DOLLARS en 1975 - le verbe emmerder du deuxième couplet se trouvant ici remplacé par «je les fatigue»: «Ce n'est pas que mes amis m'abandonnent mais / Je les emmerde au téléphone / À leur parler de toi». Si le «symphoman» n'est plus dans la familiarité, il demeure étonnamment proche de nous, avec cette façon unique, oblongue et chaleureuse de prononcer les mots en «-ou»: «Nous n'avons jamais cru ce genre de fables / Comme on en dit partout / Où dansent avec les fous / Des sorcières et des diables./ Vous-même, y croiriez-vous?» (Walpurgis). STYLUS possède l'éclatante beauté des très rares disques où peuvent pointer des larmes.

Baptiste Vignol


Quand les chanteurs fanfaronnent


Les interviews de Benjamin Locoge, il faut s'en délecter. On y trouve toujours un lièvre à soulever. Dans le Paris Match du 26 novembre 2015, le spécialiste des variétés interroge Étienne Daho à l'occasion de la sortie de son quatrième best of L'HOMME QUI MARCHE et prend ses désirs pour des réalités. À l'insolente question du journaliste : «Si vous ne vendez plus d'albums, Universal vous mettra dehors?», le chanteur répond: «Non. Et je vends encore des albums, 200.000 pour le dernier, par exemple…» Non, Étienne. Ce serait bien mais non. Les chiffres sont têtus. Sorti le 24 novembre 2013, LES CHANSONS DE L'INNOCENCE RETROUVÉE s'était alors écoulé à 83 107 exemplaires en cinq semaines. Joli score. Mais passées les fêtes de Noël, l'album n'a trouvé que 31 477 preneurs en 2014. Ce qui fait 114 584 disques au total. On est donc loin des 200 000 claironnés! À moins qu'au cours des onze premiers mois de l'année 2015, 85 000 retardataires se soient rués sur le cédé? Qui sait... Attendons les chiffres qui tomberont sous peu, et qui devraient plutôt tourner autour des 10.000 unités, grand maximum. Mais 125 000 disques, c'est bien, sans dec'! C'est même très, très, très bien. Alors pourquoi s'en ajouter 75 000 au compteur, l'air de rien? La Belgique peut-être. Ou le marché suisse... À moins que ce ne soit le souvenir trop fort des belles années de gloire qui vous rende Marseillais. Ce qui ne serait qu'une risible fanfaronnade de la part d'un Patrick Fiori parait aussi bêta dans la bouche du prince de la pop hexagonale. Dommage donc, Benjamin, d'avoir laissé passer cet inutile cocorico en toute fin d'entretien, car il avait de la tenue.

Baptiste Vignol


Astrale Anne Sila


Le temps finit toujours par remettre les pendules à leur place comme l'a déjà dit Johnny - qui sort un disque plat ces jours-ci, riche de quelques textes taillés sur mesure mais tiède en mélodies monotones. Cela confirme la théorie selon laquelle une chanson, c'est d'abord une musique qui, lorsqu'elle est futée, gonfle les voiles et souffle de l'émotion. Six mois après la finale de The Voice, Anne Sila, qui aurait du gagner l'émission les doigts dans le nez, et Lilian Renaud, qui l'a finalement emporté, proposent leurs premières chansons originales. L'album du Franc-Comtois (puisqu'il se revendique de ces contrées-là, du Haut-Doubs plus précisément) s'intitule LE BRUIT DE L'AUBE. Un gargouillement, ni plus ni moins. Grossièrement produit, tout a l'air aussi préfabriqué que le clip de Promis, juré où vaquent des figurants caricaturaux dans une vaine débauche de moyens et de clichés hyper datés au service d'un jeune homme, fort sympathique certainement (est-ce d'ailleurs le sujet?) et pétri de bonne volonté mais qui, bien maladroitement, prétend, par sa musique, «ramener en France un peu de la culture nord américaine…» Carrément !  
Si son LP ne sortira qu'en 2016 (parions que cela se produira lors de la prochaine cession de The Voice...), Anne Sila vient de dévoiler son tout premier extrait: Le monde tourne sans toi, dont elle signe la partition. La normalité aurait voulu que cette musicienne (elle a passé dix-sept ans au conservatoire de Valence à étudier la danse, le violoncelle et le piano) déçoive. Après avoir placé la barre si haut, d'entrée, en reprenant Je t'aimais, je t'aime et je t'aimerai lors de son «audition à l'aveugle», l'on pouvait craindre qu'elle ne trouve pas «la» chanson, qu'elle s'égare et livre un produit trop stéréotypé. Au contraire, elle séduit. Avec une fusée volante, astucieusement bâtie sur trois étages, qui, au final, propulsée par la foudroyante finesse de la voix d'Anne Sila, d'une clarté pure, blanche, sidérale, finit par vous emporter, éparpillant dans les étoiles une infinité de petits points d'or. Qui n'a pas souffert d'amour restera à côté. Anne a la grâce, semble-t-il, reine de France et des cieux. Sinon, pourquoi cette chose sur l'oreille?

Baptiste Vignol

Son manège à lui


La chanson française doit être dans un fichu état pour que téloches, revues et radios nationales ne trouvent personne d'autre à inviter ces jours-ci qu'Étienne Daho! Lui qui vient de sortir, après SINGLES en 1995, DANS LA PEAU DE DAHO en 2002 et MONSIEUR DAHO en 2011, ce qui n'est après tout que son quatrième best of en carrière: L'HOMME QUI MARCHE. Mais qui piétine son répertoire... 
Le Montmartrois dont les chansons signées avec Arnold Turboust ont bercé la jeunesse des quincas 2015 (en gros, ceux qui eurent vingt ans entre 1981, date de MYTHOMANE, son premier 33 tours, et 1991, celui de son dernier carton, PARIS AILLEURS) n'a pas produit le moindre hit depuis 2002: Comme un boomerang. Alors il ressasse ses vieilleries, à toutes les sauces et à coups de best of écœurants qui lui permettent pourtant d'être reçu en grandes pompes par des journalistes en prière. Dans son cinquième numéro consacré à Paul McCartney, l'excellente revue Muziq rappelle combien l'Anglais, «plus préoccupé par son avenir que par son autocélébration, n'a pas submergé le marché de ces multiples compilations ou anthologies dont beaucoup d'autres font leur beurre»: trois en quarante-cinq ans de carrière solo, la dernière remontant à 2001 ! Est-il besoin de souligner que le catalogue de Macca est autrement plus riche et lumineux que celui d'Étienne Daho, qui n'en demeure pas moins l'un des plus chics de l'hexagone ?
Le problème, c'est qu'Étienne, comme toutes les anciennes machines à tubes, donnerait tout pour en pondre un nouveau, lui qui sut si bien faire danser la France, et avec élégance; alors qu'un génie comme McCartney, conscient d'avoir déjà marqué l'Histoire, s'est défait de cette obsession. Hélas, le temps qui passe est impitoyable. Aujourd'hui, les gamins de vingt ans ne danseront jamais sur du Daho (ni sur du McCartney), encore moins sur ses «nouveaux» prétendus inédits (La ville et Paris sens interdits) composés jadis, en 88 et 89, que Daho n'avait pas retenus pour ses disques de feu mais qu'il exhume maintenant en singles passables et frelatés. C'est la vie qui va et c'est aussi le signe que nos jeunesses se sont irrémédiablement fanées.

Baptiste Vignol

Sophie n'en finit pas de s'approcher de nous


Du fond de sa riviéra, Sophie Huriaux, dite La Grande, démontre avec NOS HISTOIRES que l'on peut avancer dans l'âge en conservant sur la jeune garde un supplément d'âme et de fraicheur, quand la plupart des chanteurs populaires, passée la quarantaine, s'émousse et tourne en rond, ne trouvant plus que dans le subterfuge d'une chevelure savamment ébouriffée l'illusion de vaincre une inspiration envolée dont les nouvelles chansons n'égaleront jamais les anciennes, finissant par ne ressembler qu'à des petites crottes dans du papier doré. Nul artifice chez Sophie dont c'est le septième album en carrière depuis 1997, mais un art d'écrire et de composer qui se fiche bien de la mode et des griffes du moment. La voix, les mots, les musiques marquent et font des chansons à vue si l'on s'y penche un peu, comme par une fenêtre ouverte. Les années passent, les idoles du Top s'évaporent mais La Grande Sophie s'affine. Elle est devenue, disque après disque, une conteuse moderne de nos vies ordinaires, des portes qui claquent, des doutes («Tu vois, mes doutes / Sont les perles d'un collier / Qui m'étranglent à tout jamais…»), des regrets qui fouettent, de la peur du vide et des émerveillements. Que demande-t-on aux artistes quand ils ont du talent? Qu'ils nous parlent de nous au travers de leurs œuvres.

Baptiste Vignol


Aznavour reste là


Admirable Aznavour. Soixante-huit ans après J'ai bu, l'une de ses premières chansons dont Georges Ulmer fit un succès en 1947, le voilà qui propose, en 2015, son cinquante-et-unième album studio, ENCORES
- Et alors? Hallyday sort bien en novembre son cinquantième LP
Taratata! Chez Hallyday, pas grand chose à garder depuis le gentil Tennessee de Michel Berger. Tandis qu'Aznavour luit, émerveille par sa constance, son goût du quatrain équarri et le soin qu'il donne aux musiciens de l'habiller jazzy. Avec un brin de nostalgie ouvre la porte de ce disque chaleureux au fil duquel la Star, qui fut avec Guy Béart, et bien avant Serge Gainsbourg, le premier auteur «cru» de la chanson française, parle de «sexe», de «ménopause», du «parfum des aisselles» de la femme qu'il aime, ces choses inusitées dans la variété frelatée, n'ayant pas honte non plus de faire dans l'alexandrin quand Gainsbarre, lui, affirmait à Pivot ne pas pouvoir s'abaisser à «ça»... Mais le disque contient aussi des chansons inattendues: Et moi je reste là, sur la mort du monde paysan; Chez Fanny, dédiée aux femmes de l'ombre qui, sous l'Occupation, «savaient y faire / Pour nous éviter l'S.T.O.»: «Depuis on ne parle plus guère / De ces jeunesses sacrifiées / Qui étaient marraines de guerre / De résistants et prisonniers…». Ainsi qu'un nouvel hommage à Piaf, De la môme à Édith: «Elle chantait, j'allais l'entendre / Perdu au rang des promenoirs…» Ils sont devenus rarissimes les hommes qui l'ont côtoyée, et que la grande dame a aimés! Leur parole vaut de l'or. Un disque à l'imparfait, donc, qui chante à la perfection.

Baptiste Vignol


Escudero visait juste



La lumière s'éteignait, son fils Julian égrainait quelques notes de guitare sur un voile d'accordéon et Leny paraissait sur scène. Les planches, il les traversait lentement, comme l'on va faire son devoir, sous les applaudissements. Chaussé de bottes, il se présentait rasé de frais, vêtu d'un blue-jean repassé, d'une chemise au col déboutonné, pas comme les gens de la télé qui l'ouvriraient jusqu'au nombril s'ils osaient un peu, tant ils se voient beaux, non, celle du carreleur qui s'est habillé après le turbin mais qui jamais ne portera la cravate du sous chef. Planté devant son micro, le poing droit solidement fermé, il chantait d'une voix sourde, profonde, de glaise et fraternelle, les bras posés le long de son corps sec et musclé. Avec cette magnifique gueule de christ en souffrance. Et le public se taisait, pris à la gorge par son regard perçant, fixe et chargé d'âme, d'errances, d'amour et de colère. Ses bras, parfois Leny les déployait, alors ses mains s'illuminaient. Quand il criait «Rachel!», la salle se levait. Et l'on était loin des rappels… Le charisme est un don injuste, conféré par grâce divine. Ce dont n'ont évidemment pas conscience les gugusses de la télé. Avec son air d'être toujours «à côté», Leny Escudero était un conteur magistral.

Baptiste Vignol

La reine Moffatt



En vertu des heures miroirs qui seraient, selon certains, une manifestation de nos anges gardiens, peut-être Ariane Moffatt aurait-elle baptisé ce disque 1h01 (ou bien 11h11) si l'existence ne lui avait donnée qu'un enfant. La numérologie considérant le nombre 2 comme la représentation de l'union, du couple, de la fusion des pôles féminin et masculin, il est permis d'apercevoir dans le titre 22h22 le clin d'œil d'une jeune maman dont la deuxième vie vient d'éclore avec l'arrivée d'une paire de nouveaux nés, Paul et Henri Marcil-Moffatt auxquels cet album est dédié: «Flo, Paul & Henri, voici le fruit de notre début de vie à 4», et qu'on entend babiller dans Matelots&frères, dixième plage du recueil. Treize années, trois disques et dix Félix après AQUANAUTE, la Montréalaise, idole en son pays (nombreuses sont ses chansons remixées par des DJ nord-américains, Poirier, Tommy Kruise, Nautiluss, Bonjay, Dubbel Dutch…), chante ici ses jumeaux mais également le temps qui passe (La nostalgie des jours qui tombent), le désillusionnement (Rêve), les amitiés évaporées (Miami), la violence moderne (Tireurs fous), l'architecture urbaine à laquelle on peut parfois s'identifier (Les deux cheminées - splendide) ou les figures disparues (Domenico - en hommage à Domenico Mike Meduri, célèbre clochard de Montréal mort en février 2014 à l'âge de 82 ans)… Bien entendu, 22h22 contient aussi son tube, ce truc qui t'éperonne, classé numéro un au Québec: Debout, mis en clip par le studio Vallée Duhamel dans lequel dansent ensemble Kimberly Bittner-Quinn et Alexandre Wilhelm. Un album de pop onirique, ambitieuse et technologique qu'aurait pu produire Balavoine s'il avait trente-cinq ans aujourd'hui et qu'Ariane Moffatt vêt de sa voix captivante dans laquelle il est apaisant de s'envelopper comme dans un manteau.

Baptiste Vignol

Rien qu'une chanteuse populaire


Elle a de la voix, Geneviève. Et chante sans calcul ni cérémonie. Pas comme les souris de The Voice à qui l'on demande de chanter fort parce que ça impressionne le public, même si les pauvres ne comprennent pas souvent ce qu'elles clament... Geneviève Morissette, elle, y va tout de go, avec finesse mais sans détour ni trémolos, ce qui donne à son chant une verdeur extrêmement plaisante. Tant et si bien que ses premiers fans la surnommeraient «La Morissette» paraît-il, comme l'on appelle les excentriques depuis La Goulue: la Piaf, la Gréco... Son premier album vient de sortir et porte un titre à la Dufresne : ME V'LÀ. C'est pas peu dire. Ce qui fait son charme surtout, ce sont trois ou quatre vraies chansons (Me v'là, La femme en beige, Tombé su l'cœur, Ça veut pu) dont la force d'émotion se niche dans leur caractère foncièrement populaire. C'est un personnage, Geneviève, alors elle chante des chansons théâtrales, tendues, sauvages, crues, mal élevées, étouffantes, drôles et désespérées que les autres ne chanteraient pas. On le sait, depuis quelques années, c'est au Québec que «ça» se passe question Chanson, poussé par Montréal, cette colline merveilleuse d'Amérique, attirante et punchy, dont on entend d'ailleurs souvent sonner le nom magique dans les «tounes» aussi de la relève québécoise (Ariane Moffatt, Mara Tremblay, Les sœurs Boulay, Peter Peter…). Il est donc assez curieux qu'aucune «pièce» sur ME V'LÀ ne l'évoque, ce nid royal. Même si Paris (Pour moi la France) fut en réalité la source des fantasmes de la chanteuse aux cheveux (trop?) rouge née au Saguenay Lac-Saint-Jean, sur la rive nord du Saint-Laurent. À tel point que ce disque a d'abord éclos le 28 août 2015 de ce côté-ci de l'Atlantique. Un p'tit rien qui en dit beaucoup.

Baptiste Vignol

C'était Téléphone


Être ou ne pas être rock. La question suscite des débats hystériques, parmi la critique s'entend, depuis la naissance du courant vers la fin des années 50. Une chose est sûre, dans cent ans les jeunes gens rebelles se contreficheront du rock'n roll (écrit à l'américaine) autant qu'ils se désintéressent aujourd'hui des premières cantates de Bach. 
Ce soir, dans une petite salle parisienne, trois ex-Téléphone joueront ensemble sur scène. Et ce sera forcément du tonnerre. Qu'on aime ou pas Téléphone. Cette question d'ailleurs enflamme les spécialistes. «Groupe de bal» pour Nicolas Ungemuth du Figaro, «Rolling Stones à la française» pour François Jouffa (le premier de nos journalistes à avoir interviewé Bob Dylan, les Beatles et la bande à Jagger), ce concert capte l'attention générale au point d'ouvrir les journaux télévisés. Qu'il ait fait du rock ou de la variété, voire même de la variété rock, le quatuor parisien dégoupilla entre 1976 et 1985 quelques chansons à la naïveté demeurée intacte trente années après sa séparation. C'était donc du bal de haut vol. Mais on dupe les masses. Ça n'est pas Téléphone qui se reforme, sa bassiste étant avec élégance zappée du projet par ses labadens. Pourtant, par peur de froisser son chanteur dont les refrains valent de l'or, de nombreux commentateurs saluent ces retrouvailles faisant comme si Corine Marienneau n'avait jamais existé. Sophie Delassein n'a pas la mémoire labile, elle met les pieds dans le plat et donne à Corine cette semaine la parole dans L'Obs. «Tous les deux ans, se lasse-t-elle, certains médias évoquent cette “reformation” comme si ma présence au sein du groupe était sans importance.» Le chanteur Alister rappelait hier sur sa page facebook combien son rôle était en réalité décisif: «Pour tous les mecs qui n’y connaissent rien en musique et qui, apparemment, ne comprennent pas l’importance de Corine dans Téléphone, je leur conseille de regarder ce Rockpalast de 1983. Ce qu’on appelle “tenir la baraque”. Gros problème de la critique rock française : ne pas savoir. Pathétique.» 
George Harrison avait coutume de dire que les Beatles ne pourraient pas reprendre la route tant que John Lennon serait mort. C'est kif-kif bourricot avec les anciens «jolis mômes» d'Hygiaphone tant que leur figure féminine, bien vivante, sera évincée d'un quelconque projet de brancher à nouveau l'appareil. Rock ou pas.

Baptiste Vignol



Chanteur de choc


Essentiel, voilà l'adjectif qu'il faut accoler à LA MAISON HAUTE de Bastien Lallemant sorti début 2015. Chanceux qui le découvrira. Intraitable dans sa qualité, tous les mots y sont à leur place, nombreux, variés, forts ou fins. Depuis combien d'années n'avions-nous pas entendu chose aussi belle, pleine d'espoir et cependant terrifiante que Le vieil amour, chantée avec Françoiz Breut ? Mais Un fils de Dieu jouit également d'une résonance inouïe: «En votre nom, Père, j'ai commis l'abomination / Et pas un mot depuis, plus un bruit, plus un... » Comment ensuite ne pas s'émerveiller du long plan fixe d'Au loin la côte, de l'écriture nette des Ombres, de l'éclatante vastité d'Un million d'années, de l'issue glaciale du Fossé ? LA MAISON HAUTE n'est pas un disque difficile mais d'une grande délicatesse qui confine au raffinement, c'est un album obsédant qui se chante, jamais verbeux, qui s'écoute les yeux fermés et dont les trouvailles autant que le soin parfait des détails éblouissent. Il est bien sûr tentant d'évoquer Serge Gainsbourg. Mais Lallemant est un maître, il n'imite pas.

Baptiste Vignol

Les douleurs d'en face


Certaines chansons en marche sont impossibles à stopper, elles s'écoutent jusqu'à l'ultime note: Manon de Gainsbourg, Il n'y a plus d'après par Gréco, La Folle complainte de Trenet, Bahia de Véronique Sanson, Ton héritage de Biolay, Lindberg de Robby Wood, quelques coulées de Murat, Le venin, Gorge profonde, Nu dans la crevasse, Le voleur de rhubarbe… Le Bas-Auvergnat qui, de son aura magmatique, idéalise aujourd'hui un dialogue avec Rose, Pour être deux, qu'on ne peut arrêter lui non plus. Non contente d'offrir à la chanson française ce bouquet parfumé d'étoiles mortes (Rose en est la parolière sur une musique de Loane), la Niçoise toute en cheveux intègre par-dessus le marché le ballet des fées auxquelles la plus belle voix masculine du pays consentit ses bonnes grâces: Camille, Isabelle, Élodie, Armelle, Marie, Mylène, Jennifer, Morgane et Carla. Un petit film montre l'apothéose en studio. Cette nonchalance de Murat, chargée de finesse féline. Qu'il chante et tout s'éclaire. Trois minutes et deux bises plus tard, sans effusion, la piécette se trouve dans le panier. E finita la commedia.

Baptiste Vignol

-Tu mets un son?


«Un son», pour dire chanson, morceau, titre, plage ou musique, comme d'autres disent sound dans leur langue. Ce mot ridicule en français quand il est ainsi employé, on le trouve à tous les bouts, chez les nougats de la critique, les programmateurs-radio et les gens des maisons de disque. «Vous vous demandez quels sont les sons qui passent en boucle dans l'iPod de Lou Douillon?» La question nous obsède, oui! Autant que celle de savoir à quoi peut bien ressembler ce grand dadais qui chez Barclay, sur facebook, fait l'âne pour avoir du son.

Baptiste Vignol

Comme un fils


La critique a tôt dit que Benjamin Biolay avait la tête farcie de Gainsbourg, mais il lui démontre aujourd'hui qu'il a d'abord Charles Trenet dans le ventre. Outre une pochette hideuse (comment avoir envie d'acheter ce disque-là quand on ne sait pas ce qui s'y cache?), l'initiative de Biolay (sublimes versions de Coin de rue, de La romance de Paris...) est ce qui s'est fait de mieux dans le genre depuis L'EXTRAORDINAIRE JARDIN DE CHARLES TRENET enregistré par Steve Beresford en 1988 (d'ailleurs, comme l'Anglais qui avait clos son hommage par un titre original, Apprenez le français avec Charles Trenet, l'enfant de Villefranche-sur-Saône propose en conclusion de son recueil une gentille révérence: La chanson du faussaire). Car Trenet hante Biolay, mêmes noirceurs, mêmes fêlures, même mélancolie semble-t-il que le grain de Biolay - a-t-il jamais chanté si juste ?- transporte à merveille; quand les manants ne voient que du sautillement chez le Fou de Narbonne... Dans son livret, Biolay publie la fameuse citation de Jacques Brel: «Sans lui, nous serions tous des experts-comptables.» Histoire de souligner qu'il y a Trenet puis les autres. Façon de dire aussi qu'il fait un peu nuit depuis le 19 février 2001. Regret cependant de ne pas trouver ici La Folle complainte, peut-être la plus grande chanson française de tous les temps, que Biolay aurait vêtue de sa belle voix de paille, ni L'Oiseau des vacances, ce soleil oublié. Mais le répertoire de Trenet, c'est Byzance. Raison pour laquelle Renaud par exemple, qui pensa lui consacrer un hommage en 2005, renonça, n'ayant pas le courage de choisir. Quand on lui demandait un autographe, Trenet s'amusait, dans l'instant, à chercher une rime au prénom. «Amitié à Baptiste qui est artiste» m'avait-il dédicacé dans un sourire. C'était bien trop. Qu'aurait-il trouvé avec BB? «Pour Benjamin, "mon" gamin»… Qui sait.

Baptiste Vignol


"J'imite très bien ma signature!" (Charles Trenet)

Lecture d'été


Demande-t-on à Maïwenn, quand on la rencontre fortuitement, de quelle manière se tourne un film ? On doit plutôt espérer qu'elle vous propose le premier rôle dans son prochain. Interroge-t-on Philippe Djian sur sa façon d'écrire ? Ernest Pignon-Ernest sur la couleur qu'il utilise pour peindre ses images ? Jean-Marie Perrier sur l'appareil avec lequel il flashait sur Françoise Hardy ? Car il s'agit bien de technique ici. Aux paroliers et compositeurs de chansons, c'est souvent la première question qu'on pose lorsqu'on les croise après un gala, dans un salon du livre ou par hasard dans le train: comment faites-vous pour écrire une chanson ? Comment «ça» vient ? Sans doute parce que la chanson, art de l'immédiateté qui s'apprécie sans avoir besoin d'être initié laisse supposer que sa fabrication est aussi simple qu'est simple son écoute. Sans doute aussi parce que la chanson, dans l'esprit des gens, c'est aussi synonyme de tube, donc d'argent vite gagné. De nombreux essais existent sur le sujet, par Boris Vian (En avant la zizique !), Jacques Bertin (Chante toujours, tu m'intéresses - ou les combines du show-biz), Marcel Amont (Une chanson, qu'y a-t-il à l'intérieur d'une chanson ?), Claude Lemesle (L'art d'écrire une chanson)… Qui donnent des pistes, sans livrer de recette, puisqu'il n'y en a pas. Kent est un artiste, un vrai: il chante des chansons qu'il écrit et compte quelques francs succès, des livres aussi, et des bandes dessinées puisqu'il sait aussi dessiner. Par-dessus le marché, c'est un homme sympathique, abordable, qui vous écoute quand on lui parle. Cette satanée question, on la lui a mainte fois posée... Il vient de publier un chouette petit livre, qui s'intitule Dans la tête d'un chanteur où il apporte des réponses, les siennes, sur ce mystère-là de la création, où il propose des clefs, où il évoque les bons ou les mauvais conseils qu'on a pu lui donner et où il parle enfin des chansons des chanteurs qu'il admire. Un bouquin qui se lit tout seul, comme on écoute une bonne chanson. Pas qu'instructif et drôle, émouvant aussi quand il explique comment lui est venue l'idée d'écrire Je suis un kilomètre, ce bijou.

Baptiste Vignol

Radiographie


Dans un monde normal, Julien Baer, Pierre Schott ou Jean-François Coen continueraient pépères d'apparaitre tous les deux-trois ans chargés d'une cargaison d'airs soyeux qu'ils écouleraient facilement à quarante mille exemplaires au moins, ce qui leur permettrait d'en vivre et d'orner la chanson française de leurs démons. Dans un monde normal, 2014 aurait été l'année de Dominique Dalcan (HIRUNDO); Circé Deslandes, la It girl du moment. Quoi encore? Les Innocents casseraient la baraque avec MANDARINE. Dick Annegarn remplirait l'Olympia. Pareil pour Ariane Moffatt, Mokaïesh, Barbara Carlotti, Lisa Leblanc ou Fred Métayer... Dans un monde normal, le clip des Babas passerait sur W9 et Anaïs n'aurait pas en juin 2015 annoncé sa retraite sur facebook sans que cela n'émeuve aucun chroniqueur - elle qui avait emballé le métier un soir de mars 2006. 



Mais dans nos pays à deux balles, la rengaine ne vaut plus tripette si elle ne tourne pas en radio. Pourtant, des «artistes» «poètes», au sens que leur donnait Verlaine, «fous de vers» et «de musique», s'organisent encore en contrebande! Loin des sentiers battus, Sébastien Polloni affiche leur bravoure, leur aisance, leur désinvolture. «On se rêvait pirates aux allures de dandy / Un peu plus de voilure, un peu moins d'interdits…» Il vient de sortir RAVINES, onze chansons courtes et encaissées que sa belle voix boisée dompte comme les eaux d'un fleuve sur des arrangements clairs de Guillaume Cantillon, l'ancien chanteur de Kaolin. Mieux qu'un espoir, ce premier disque devrait être une promesse. Dans un monde normal.

Baptiste Vignol



À moitié effeuillée


Voilée sa voix mais fraternelle. Sexy aussi quand elle s'ébrèche. Ses mots sont les bons, pour dire l'amour et ses misères, compter les saisons envolées. Les musiques, qu'elle compose souvent, leur vont comme une peau. C'est Pierre Jaconelli qui a orchestré cet album et Jaconelli est un as. Le disque s'appelle PINK LADY. De l'excellente variété. Sauf qu'après l'avoir entamé - combien ? quinze ou vingt fois déjà, impossible d'aller outre la cinquième chanson. Son «N°5». Qu'on écoute et qu'on ré-écoute, à s'en filer le bourdon, devant Rose sur son tabouret. Visage de chat, chevelure idéale et regard d'héroïne. Photographe: Emma Picq. Elle en a de la chance, Emma. Mais Titan qui appelle, l'arrivée du tour, ce fichu bouquin à finir et la porte qui claque - les alizés soufflent fort cet hiver. Toutes ces choses... Je l'écouterai demain, au casque ou dans la caisse. Partie remise. Jusqu'à la cinq. Non mais ce duo ! Soleil des mourants. Rose et Murat. Pour être deux. Drôle de vertige. Quand la plus belle femme du monde nous donne à ré-entendre Jean-Louis au meilleur de sa voix… Sur une mélodie de Loane. Il reste sept titres à découvrir, et Jeanne m'a dit qu'elle aimait beaucoup Maman est en bad. Alors quoi? Zapper la cinq? Sacrilège. Puisqu'un bon disque se prend comme on dévore une nouvelle, de la première à la dernière plage.

Baptiste Vignol

Le cha-cha de l'engagement


Quand Paris Match cause chanson, on trouve souvent des informations curieuses, des points qui mériteraient d'être éclaircis mais qui restent lettres mortes et les rendent donc inutiles. Dans l'article «Les Chedid ainsi soient-ils» [n°3448, du 18 au 24 juin 2015] qui propose un long entretien avec Louis, Mathieu, Anna et Joseph à l'occasion de leur tournée familiale, le père assure: «Je déteste la chanson engagée.» C'est tout à fait son droit, mais cela ne manque pas d'étonner quand on se souvient qu'il a lui-même chanté Le chacha de l'insécurité en 1983, Anne ma sœur Anne en 1984, Le gros blond en 1988, Zap-Zap en 1989 puis Reality show deux ans plus tard sur le même sujet, Bleu blanc rouge et N'oublie pas la capote en 1992, Si Madame nature a les nerfs en 2003… De bonnes chansons bien «engagées», au sens sartrien du terme, qui se chantent au service d'une cause ou qui prennent position sur les problèmes de leur temps sans toutefois faire oublier l'amour des mots et de la musique. Puis Louis ajoute: «Je ne parle pas de Renaud, qu'on soit bien d'accord, mais de gens qu'on a oubliés pour la plupart.» Bizarre, cette précision, alors que nul n'évoquait Renaud. Serait-il devenu impossible aujourd'hui de laisser penser qu'on puisse ne point aimer Renaud? Ou bien serait-ce que l'œuvre de Renaud se limite pour Louis Chedid à ses chansons engagées, ou «militantes», autrement dit qui combattent et qui luttent? Celles qui resteront, Mistral gagnant, Ma gonzesse, En cloque, La pêche à la ligne, Chanson pour Pierrot, Morgane de toi ne sont que chansons d'amour. Dans cet entretien «mené» par Benjamin Locoge, le spécialiste des variétés du magazine, Chedid clôt ainsi sa pensée: «Les chansons militantes, Léo Ferré mis à part, sont très chiantes.» Il y en a pourtant de ratées chez Ferré, tout intouchable qu'il soit. Militantes, engagées… On aurait aimé en savoir davantage sur ce que Louis Chedid entend par ces gros mots. Mais bon, Benjamin Locoge.

Baptiste Vignol

Éteindre Drucker


Drucker. 72 ans au compteur. Combien de temps faudra-t-il encore se le farder? Le voilà maintenant qui nous annonce: «Michel Delpech s'éteint doucement.» La charogne. Précisant : «Si je le dis, c'est à sa demande.» Et alors? Drucker est répugnant sous ses sourires faussement humains et cette mégalomanie qui l'oblige à toujours se mettre en perspective. Pas une interview sans qu'il évoque un souvenir qui le concerne, une anecdote qui le mette en valeur, une confession qu'il aurait recueillie. À l'écouter, il serait le confident des plus grands, celui dont ils voudraient tous tenir la main quand l'heure fatidique s'approche… Druckérisons un peu: en 1999, Michel Drucker avait prévu de consacrer un Vivement dimanche prochain à Charles Trenet qui allait fêter son quatre-vingt-cinquième anniversaire et Trenet avait voulu que Pascal Sevran y participe. Étant moi-même complètement dingue de Trenet, Sevran, dont j'étais l'un des programmateurs, m'avait donc gentiment demandé de l'accompagner sur ce tournage. Arrivés à l'heure au studio Gabriel, Pascal Sevran détestait être en retard, nous retrouvâmes Charles Trenet patientant dans un coin, en bas des escaliers, avec Georges, son fidèle secrétaire. «Si c'est comme ça je vais m'en aller» répétait-il, tandis que Drucker terminait l'enregistrement d'une autre émission, avec Alain Prost, ou Michel Leeb... Pascal avait alors attrapé Françoise Coquet par le bras: «Mais enfin, vous ne pouvez pas laisser Charles ainsi comme une bonne attendre dans un courant d'air!» À peine Sevran avait-il fini sa phrase que Trenet tournait les talons, annonçant: «Bon, je m'en vais… D'ailleurs je suis déjà parti!» alors qu'il remontait péniblement les marches qui mènent à l'avenue Gabriel où était garée sa Roll's Royce. Mis au fait du drame qui était en train de se jouer, Drucker interrompit un instant son tournage et, tentant de rattraper Trenet, criait «Charles!» en courant après la Roll's du Fou chantant qui lentement s'éloignait… C'est sans prendre de gants que Sevran lui précisa ce qu'il pensait de son sens de l'hospitalité. Devant achever l'épisode en cours, Drucker dit alors à Sevran, qui n'en espérait pas tant: «Écoute, comme il est parti et puisqu'il faut qu'on fasse un “Vivement Dimanche prochain”, tu es mon invité!» Sans attendre sa réponse, la star des variétés redescendait l'escalier au pas de course pour retrouver Prost ou Michel Leeb, je ne sais plus… Dix minutes plus tard, Sevran, qui ne se séparait jamais de ses «collaborateurs» ainsi qu'il nous présentait quand l'un de nous l'accompagnait, m'avait naturellement demandé de le suivre dans la loge de l'animateur où ils allaient, avec Françoise Coquet, concevoir à la va-vite sa propre émission. La loge était belle, sombre, confortable et Drucker fort aimable. En se déshabillant pour changer de chemise, Michel, torse nu et le ventre plat, interrogea Sevran: «Tu as re-signé pour l'année prochaine?» C'était le mois d'avril et Sevran était en pourparlers. «Non. Pas encore.» «Signe, Pascal, signe. Sois sûr que si tu ne le fais pas, un autre prendra ta place, et personne ne te regrettera. Regarde [Jacques] Martin!» Cinquante ans que le manège tourne avec Michel Drucker. Du balai! Sans parler du fait qu'il ringardise la chanson comme nul ne l'a jamais fait avant lui.

Baptiste Vignol

In extremis


Parce qu'il est sévèrement burné, Christophe Conte, dans sa bafouille sur Cabrel, asticote aussi Charles Aznavour, devant lequel, c'est à n'en point douter, il donnerait du «Monsieur»… Lorsqu'il chroniquait sur France Inter sous l'ombre du brushing effrayant de Pascale Clark, fallait voir comme Conte astiquait les invités de la «journaliste», Shy'm et papy Daho en tête. «Conte démonte Cabrel» donc, mais démontre surtout qu'il n'est qu'un type prévisible, alors que la prévisibilité n'est franchement pas un signe de verdeur intellectuelle. Alors, faut-il seulement rire de ses propos vides? Même pas, la prose est plate à mourir.
Qu'un artiste de la variété s'émeuve publiquement n'est pas ordinaire (tous rêvent encore en secret d'un inutile écho dans les Inrocks); qu'il ait l'esprit libre d'un Baguian (dont Nougaro disait: «Écoutez-le bien, c'est un écrivain de chansons») ajoute du sel. Voici donc ci-dessous la réaction de Vincent Baguian à la boule puante de France Télévision. Quant au disque de Cabrel, qu'en dire encore? Qu'il sonne carrément, comme rarement en France, qu'il abrite des surprises, superbe Voix du crooner, et couve de magmatiques émotions: la contrebasse de Paganotti sur À chaque amour que nous ferons par exemple. D'ailleurs, Conte sait-il seulement qui est Bernard Paganotti?


*

«Critiquons la critique» (par Vincent Baguian).

C'est France 4 qui produit ça. Et avec nos sous de la redevance. Alors, moi, je suis pour la critique, à mort. Mais si c'est pour traiter les vieux de gâteux, les provinciaux de ploucs et dégommer les artistes méchamment et sans aucun argument, je peux faire pareil et sans oseille : critiquons la critique de la même manière.
Christophe Conte est un gros con aigri, sans doute à cause d'un physique ingrat mais gras. Il veut faire parler de lui absolument, mais comme il ne sait rien faire il se fait remarquer en disant systématiquement du mal de ceux qui font. Il vit sur le dos des artistes à la manière des tiques, mais en recrachant son fiel parce que la nourriture n'est pas à son goût. Il est engraissé par nos deniers car des producteurs douteux du service public pensent qu'il dit bien le mal qu'ils n'osent pas dire eux mêmes; et qu'ils en tirent profit. Ce gros Conte dénonce le climat de dépression carabiné qui règne en France sans se rendre compte qu'il en est l'un des contributeurs, adepte du dénigrement qui met les rieurs dépressifs de son côté. L'album de Francis Cabrel ne pouvait toucher un aussi grossier personnage qui ne se gargarise qu'au sang et se croit incorruptible alors qu'il est simplement Inrock inutile (jeu de mot à la hauteur de celui qu'il fait sur le concours Lépine; je ne vais pas me fouler non plus, y'a pas de raison que je lui prouve que j'ai plus de talent que lui, puisque de toute manière il ne le reconnaîtra jamais).

Bruno, neveu de.


Après Brassens et Renaud, la collection «Chansons à la Plume et au Pinceau» des éditions Carpentier s'enrichit d'un troisième volume qu'incarne Jacques Brel. Difficile d'écrire sur Brel, qui n'a pas tellement d'«actualité» trente-huit après sa mort ! Et puis le sujet compte tellement d'ouvrages dont l'indispensable quatuor Tu leur diras de Maddly Bamy, Jacques Brel, une vie d'Olivier Todd, Grand Jacques de Marc Robine et L'aventure commence à l'aurore de Fred Hidalgo. Pourtant, cet opus vise juste, apporte un peu de neuf grâce à son auteur: Bruno Brel. On connaissait du «neveu» né en 1951 deux ou trois 33 tours produits jadis par Canetti, et des chansons de caractère: L'oiseau blessé, Tu étais toute nue, Valse amusette, Ce n'est pas vrai ou Les conquistadors. Sous un autre patronyme, Bruno aurait fait carrière. Mais comment percer outre l'inévitable et massive comparaison que suscite ce nom-là? Les anecdotes livrées par Bruno Brel au fil des 43 billets qui jalonnent ce recueil (comme autant de chansons mises en lumière) touchent par leur fraicheur. Ça n'était pas gagné d'avance dans ce mausolée dégoulinant d'hommages que constitue la souvenance de Jacques Brel. Pas plus d'ailleurs que ne semblait utile l'«exploit» d'écrire un bouquin sur «Jacky» en faisant comme si Maddly Bamy n'avait jamais existé…

Baptiste Vignol

Chanter. Quelle drôle de chose.


Y a celles qui font la chose en bramant en anglais
Parce qu'elles s'imaginent qu'c'est du succès la clef
Y a celles qui font la chose en veillant bien aux rimes
Et comptent chaque pied des vers qu'elles assassinent
Y a celles qui font la chose comme une qui s'égara
Meuglant des airs de Piaf dans une robe d'apparat
Y a celles qui font la chose et badinent à The Voice
- La variété française, c'est aussi du négoce !

Y a celles qui font la chose comme on tape à la forge
Et gueulent dans le micro telle une truie qu'on égorge
Y a celles qui font la chose les mains dans les cheveux
Mais miaulent en play-back : «Mon cœur, ta bouche, je veux!»
Y a celles qui font la chose en rêvant aux Inrocks,
Se couchent chez Drucker et trouvent ça baroque
Y a celles qui font la chose se prenant pour Françoise,
Véronique ou Juliette, Monique Serf et pavoisent.

Y a celles qui font la chose en de longs borborygmes
«S'envolant comme mouette au-d'ssus des paradigmes»
Y a celles qui font la chose en pensant à Queneau
Mais qui bénabarisent des chansons à créneaux
Y a celles qui font la chose et jouiraient que Biolay
Leur écrive un duo d'amour olé olé
Y a celles qui font la chose comme on bronchite «Atchou-
M !». Et puis il y avait l'admirable Patachou.

(La Chose par Patachou)


Ça ne nous a pas échappé

Puisque ça lui arracherait les doigts de taper sur son clavier les cinq lettres de ce prénom, c'est sans évoquer R.E.N.A.U.D., mais en parlant de Bruce Springsteen, d'Axl Rose et de sodomie, qu'Alice Pfeiffer vient de pondre un article stylé sur le grand retour programmé du bandana. Ils sont drôles aux Inrocks.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir, voilà un billet passionnant...)

Renaud, 19 ans, en 1971 :





Le cas caséeux de «The Voice»


Il s'appelle Lilian, il a plutôt l'air gentil, semble modeste, bien élevé et se coiffe d'un béret parfois. C'est son côté terroir - qui dut plaire aux gens de TF1. Il «chante» aussi paraît-il, il a surtout le don de transformer l'or en pâte molle. Ce fromager franc-comtois a pourtant été désigné samedi soir «plus belle voix de France» dixit l'animateur du programme. Tout cela est profondément ridicule, aussi risible que le regard coulant, bien fait, crémeux de sa prof de chant. Son destin sera celui de Christophe Willem, qu'on appelait «la tortue» du temps de sa gloire: deux ou trois disques et puis s'en va. Ce qui est déjà beaucoup. Pointaient pourtant dans ce concours télévisé trois interprètes séduisants: un monsieur blond sachant s'attaquer avec élégance à d'immenses chansons (ça n'est pas donné de reprendre Avec le temps ou La Nuit je mens en y glissant un souffle d'air), un gamin de Montréal, gueule d'amour et jambes de feu sur lequel «coach» Mika mise sans douter, et une artiste hors norme, regard foudroyant, bouille et voix lumineuses, dont chacun connaît déjà le nom: Anne Sila. Samedi soir, pour la dernière épreuve de l'émission, Julien Doré est même venu lui donner la réplique. Et c'est l'ancienne Nouvelle star qui paraissait intimidée. Anne Sila survole son domaine, laissant toujours planer sur ses prestations comme une grâce mystérieuse suspendue par des battements d'aile impalpables. Elle sera si les petits cochons ne la mangent pas une grande dame de la chanson française. Ça tombe bien, Juliette Gréco tire enfin sa révérence.

Baptiste Vignol


Si nue Circé



«Je fais l'amour avec des ex qui s'excusent de m'avoir jetée…» Iconoclaste Circé Deslandes, tellement limpide qu'elle se dévoile toute entière dans des chansons sanguines et décadentes comme dans ses clips olé olé puisque le reflet de ses chairs n'effarouche pas sa pudeur. ŒSTROGÉNÈSE, ce mot astucieusement inventé (le dérivé d'œstrogène étant œstrogénique, n'est-ce pas?), baptise un album étonnant dédié au plaisir, au désir et ses impulsions. Guidée par ses idoles que sont Lolita, Marilyn et Bardot, Circé Deslandes, parce qu'elle avait quinze ans début 2000, séduit sans avoir à tourner autour des mots. Comme nulle ne le chante aujourd'hui, cette jeune femme moderne parle cru, de «bite» ici, de «boules» là, de «trous», de «cul», d'odeurs qui sentent aussi le remugle parfois et d'impatiences fondamentales avec dans la voix une langueur jamais monotone. «Je veux bien me fendre en deux/ Pourvu que ce soit dans tes yeux.» Qu'est-ce alors sinon de l'amour intégral? Voici sur un disque d'enfer quatorze bulles de rêves, de silences et d'espoirs («Il est là, le soleil!»...). Du nectar.

Baptiste Vignol



C'est un joli disque, camarades


Cinq ans après la mort de Jean Ferrat qui émut tant la France, un album de reprises, comme il semble en paraitre tous les trimestres désormais, fête quinze chansons du géant à la voix de violoncelle. Si trois prestations désolent, s'il manque au générique Dominique A dont Les Nomades figure parmi ses dix chansons de chevet (cf. Le Top 100 des chansons que l'on devrait tous connaître par cœur - Éditions Carpentier), DES AIRS DE LIBERTÉ est un recueil digne et plein d'estime.

*

01. Camarade. Tout comme le neuvième 33 tours de Ferrat, sorti fin 1969, débutait avec Camarade, DES AIRS DE LIBERTÉ s'ouvre sur l'évocation d'un rêve meurtri par l'entrée des troupes soviétiques dans la capitale de la République populaire de Tchécoslovaquie une nuit de l'été 68 étouffant le Printemps d'Alexandre Dubcek : «Ce fut à 5 heures dans Prague/ Que le mois d'août s'obscurcit...» Bon choix que de commencer cet hommage par un titre si symbolique, et par la voix de Marc Lavoine habillée par Alain Goraguer, l'orchestrateur de Ferrat.

02. La Montagne. Pendant l'été 64, Ferrat, voulant fuir Paris, découvre Antraigues, hameau d'Ardèche qui deviendra son nid. Sortie d'abord en novembre 64 sur un 45 tours, La Montagne est une chanson sur l'abandon de la terre natale. «Depuis longtemps ils en rêvaient/ De la ville et de ses secrets/ Du formica et du ciné…» On aurait aimé l'entendre par Jean-Louis Murat, mais Cali ne déçoit pas et donne du plaisir à découvrir sa version qui n'accouche pas d'une souris.

03. Aimer à perdre la raison. C'est en duo que Babeth et Mathias Malzieu du groupe Dionysos s'emparent de ces mots d'Aragon mis en musique par Ferrat et qu'on trouvait sur LA COMMUNE, son dixième album, commercialisé en 1971. L'une des plus belles partitions de la chanson française.

04. La femme est l'avenir de l'homme. Voici la meilleure chanson jamais enregistrée par Julien Doré même si Jacques Brel, qui n'aimait pas Ferrat, assénait en 1977, deux ans après sa sortie: «Les femmes ne ressemblent qu'aux femmes/ Et les connes d'entre elles ne ressemblent qu'aux connes/ Et je ne suis pas sûr, comme chante un certain,/ Qu'elles soient l'avenir de l'homme…» (La Ville s'endormait). En 1980, dans Où c'est qu'j'ai mis mon flingue, Renaud dégainait : «J' déclare pas avec Aragon qu'le poète a toujours raison/ La femme est l'avenir des cons, et l'homme n'est l'avenir de rien.» Tatatssin.
Que peut donc bien penser le vainqueur de La Nouvelle star 2007 de ces mises au point-là?

05. Ma Môme. Renaud, justement, avait le profil idéal pour la reprendre, cette chanson qui, sans triompher à sa sortie, deviendra l'un des standards de Ferrat et l'une des préférées du Chanteur énervant; mais Renaud ne chante plus. Thomas Pitiot et Batlik en ont enregistré une chouette version sur leur album LA PLACE DE L'AUTRE (2010). Mais c'est Patrick Bruel qui l'interprète ici, et comment le suivre quand il chante «Ma môme, ell' joue pas les starlettes/ Ell' met pas des lunettes/ De soleil…»? Lui qu'on peut voir avec d'énormes lunettes noires lui manger le visage quand il gare son carrosse rue du Printemps pour aller faire des abdos dans un centre huppé de remise en forme du 17ème arrondissement.


06. C'est beau la vie. Catherine Deneuve chante fort bien, et Benjamin Biolay l'accompagne avec élégance dans cette chanson enregistrée par Ferrat en 1963 après l'accident de voiture qui faillit tuer Isabelle Aubret. «Pouvoir encore te parler/ Pouvoir encore t'embrasser/ Te le dire et le chanter/ Oui c'est beau, c'est beau la vie.» 

07. J'arrive où je suis étranger. En octobre 1994 sortait FERRAT 95 qui contenait seize adaptations de poèmes d'Aragon, parmi lesquelles cette réflexion sur la mort écrite alors que le poète avait 68 ans: «C'est long d'être un homme, une chose/ C'est long de renoncer à tout/ Et sens-tu les métamorphoses/ Qui font au-dedans de nous/ Lentement plier les genoux?» Raphaël n'a pas quarante ans, mais sa reprise tient debout.

08. Que serais-je sans toi? Dès qu'il voulait proposer du Mike Brant dans La Chance aux chansons, Pascal Sevran convoquait Patrick Fiori qui débarquait d'Ajaccio sans se faire prier. À l'époque, Patrick était tout miel et chantait Qui saura sans qu'on n'y trouve rien à redire. C'était avant que Belle de «Notre-Dame de Paris» ne fasse de lui une vedette. Mais pour Que serais-je sans toi où Aragon évoque sa rencontre avec Elsa quelques semaines après avoir cherché à se suicider, il ne faut pas un chanteur de comédie, mais un auteur qui connaisse le poids des mots et possède une voix profonde. Serge Lama aurait été parfait. Comme Bertrand Betsch. Dommage.

09. Tu aurais pu vivre. Cette chanson-là qui figure sur l'album DANS LA JUNGLE OU DANS LE ZOO (1991), Ferrat l'aurait écrite en pensant à Lino Ventura. «Tu aurais pu vivre encore un peu/ Mon fidèle ami, mon copain, mon frère,/ Au lieu de partir tout seul en croisière/ Et de nous laisser comme chiens galeux…» Le chanteur Grégoire en fait un truc bien toiletté. 

10. Je ne suis qu'un cri. En novembre 1985, quatre ans après la mort de sa femme Christine Sèvres, Ferrat revient avec JE NE SUIS QU'UN CRI qui contenait quatorze chansons politiques et crues dont les paroles portaient la signature de Guy Thomas. «Je n'ai pas de fil à la patte/ Je ne viens pas d'une écurie/ Non, je ne suis pas diplomate/ Je n'ai ni drapeau ni patrie…» Pourquoi faut-il que Sanseverino donne toujours l'impression d'avoir un train à prendre quand il chante? Sa version qui dure deux minutes et cinquante-neuf secondes n'est pourtant pas plus longue que l'originale de Ferrat (3'02)!

11. Nuit et brouillard. «Je twisterais les mots s'il fallait les twister/ Pour qu'un jour les enfants sachent qui vous étiez…» Décembre 1963, huit ans après la sortie du documentaire «Nuit et brouillard» de Jean Cayrol et Alain Resnais, Jean Ferrat, lui-même fils de déporté, impose cette chanson dont le titre fait allusion au décret Nacht und Nebel du 7 décembre 1941 selon lequel les déportés devaient disparaître sans laisser de trace «dans la nuit et le brouillard». Chanson-phare pour Akhénaton, Nuit et brouillard figure également dans le top 10 personnel du Réunionnais Danyèl Waro… Hubert-Félix Thiéfaine en délivre une version fidèle.

12. En groupe en ligue en procession. Sur le disque NUIT ET BROUILLARD (1963), une chanson s'intitulait À Brassens, lequel, trois ans plus tard, créera Le Pluriel: «Le pluriel ne vaut rien à l'homme et sitôt qu'on/ Est plus de quatre, on est une bande de cons.» En 1967, parce qu'il était convaincu qu'on pouvait encore changer le monde, Ferrat assurait: «Je suis de ceux de ceux qui manifestent!», concluant sa réponse par «Je n'ai qu'une consolation/ C'est qu'on peut être seul et con/ Et que dans ce cas on le reste.» 
Après Brel (Jaurès) et Brassens (La Supplique pour être enterré...), c'est au tour de Ferrat d'être visité par Zebda.

13. Nous dormirons ensemble promet Natasha St-Pier. «Mon amour ce qui fut sera/ Le ciel est sur nous comme un drap…» Chanson importante puisqu'il s'agit de la première où Ferrat, en 1963, mettait en musique Aragon. Mais Natasha (à laquelle, bien sûr, il faudrait être dingue pour refuser la quiétude d'un sommeil amoureux...) la massacre. C'était pourtant là une nouvelle occasion d'associer à ces airs libertaires l'un de ces artistes «engagés» auxquels Ferrat tendait une oreille camarade, Loïc Lantoine, Yoanna…

14. La Matinée. C'est en beauté, avec Patricia Petibon, que Marc Lavoine clôt cet hommage. La Matinée, Ferrat l'avait enregistrée en compagnie de Christine Sèvres en 1969 sur le 33 tours qui contenait également Ma France (15), cette vaste peinture humaniste et de gauche que nul ne chantera jamais aussi bien que son inoubliable créateur.

Baptiste Vignol